La vie quotidienne à Niamey a les apparences de la normalité, suspendue à un avenir incertain. © getty images

Au Niger, comment éviter de rajouter du chaos au chaos

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Après les réactions belliqueuses, l’option de la négociation avec les putschistes prend le dessus. Le Sahel n’a pas besoin d’une nouvelle guerre.

Après la réaction très offensive de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui a agité la menace d’une intervention militaire au Niger quatre jours après le renversement, le 26 juillet, du président nigérien démocratiquement élu Mohamed Bazoum, toutes les initiatives convergent pour éviter à la région du Sahel une guerre destructrice. «Dans quelles situations sont aujourd’hui les pays qui ont connu une intervention militaire? Regardez où en sont la Syrie et la Libye?», a ainsi averti le président algérien Abdelmadjid Tebboune le 6 août, jour où expirait l’ultimatum de l’organisation régionale.

Le rappel est pertinent. C’est l’intervention de la France et du Royaume-Uni, soutenus par les Etats-Unis, en 2011 en Libye, qui a notamment conduit à la situation délétère qu’ont connue le Mali, le Burkina Faso et désormais le Niger du fait du développement de groupes djihadistes permis par la prolifération des armes, libérées dans le chaos de la chute du régime Kadhafi. La politique, à l’époque, de Nicolas Sarkozy ruine aujourd’hui celle d’Emmanuel Macron, obligé de renoncer, pays par pays, à la faculté d’influence et aux capacités militaires de la France dans la région. Le discrédit, réel ou surévalué, est tel que la France ne peut plus agir qu’en sous-main, notamment à la Cedeao, pour peser sur l’avenir du Niger et de ses voisins.

Les pays du Sahel figurent en bas du classement mondial de l’indicateur de développement humain de l’ONU.

Médiation américaine

C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis ont pris l’initiative de tenter de renouer les fils du dialogue avec la junte après la condamnation classique de sa prise de pouvoir. «Il est certain que la diplomatie est le moyen préférable pour résoudre cette situation», a soutenu le secrétaire d’Etat Antony Blinken, le 8 août. Dépêchée à Niamey, la sous-secrétaire d’Etat pour les Affaires politiques, Victoria Nuland, a évoqué pour sa part des «discussions extrêmement franches et par moments assez difficiles». Le 7 août, le leader des putschistes, le général Abdourahamane Tiani, a nommé un nouveau Premier ministre en la personne de Ali Lamine Zeine. Une décision qui peut être analysée de façon positive ou négative. Elle incline à l’optimisme parce que cet économiste est considéré plutôt comme une personnalité compétente et modérée. Elle suscite le pessimisme parce que sa nomination relève du fait accompli et qu’elle donne le signal que la junte n’entend pas négocier un retrait du pouvoir.

Cette évolution pose le dilemme: le statu quo à Niamey conduira-t-il, à terme, à une opération militaire de la Cedeao? Ou comment tolérer l’un en évitant l’autre? Une guerre au Niger constituerait sans doute la pire des solutions.

Pour des raisons géographiques. Les pays du Sahel central figurent tous en bas du classement des Etats du monde selon l’indicateur de développement humain de l’ONU: le Burkina Faso en 184e, le Mali en 186e et le Niger en 189e position sur 191 Etats pour lesquels les données sont valables. Tous les pays de la bande sahélienne, y compris le Sénégal, sont dans la même tranche, au-delà de la 150e place, hormis le Cap-Vert (128e).

Pour des raisons sécuritaires. Le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Nigeria, le Cameroun, l’Algérie sont confrontés aux actes de terreur des groupes djihadistes qui ambitionnent de déstabiliser ou de renverser les pouvoirs en place.

Pour des raisons géopolitiques, aussi. Un conflit au Niger entre forces étrangères et corps d’armées des putschistes recèlerait un fort risque de contagion. Les militaires au Mali et au Burkina Faso, eux aussi portés au pouvoir par des coups d’Etat, ont annoncé qu’ils se montreraient solidaires de leurs frères d’armes nigériens en cas d’opération de la Cedeao. Enfin, des Etats qui comptent dans la région, l’Algérie, par son histoire et ses liens tendus avec la France, et le Tchad, par la puissance de son armée, ont exprimé clairement leur opposition au recours à la force. Comment réagiraient-ils face une intrusion de forces nigérianes, ivoiriennes ou sénégalaises dans un pays souverain?

Coup d’Etat au Niger: la Russie en embuscade

La précarité de la zone sahélienne est encore accentuée par le théâtre de confrontations entre grandes puissances qu’elle est devenue ces dernières années, avec la France et les Etats-Unis d’un côté, la Russie de l’autre. Celle-ci, par l’entremise du groupe Wagner conforté dans sa mission en Afrique par Vladimir Poutine malgré les écarts de son patron Evgueni Prigojine, a pris la place de l’armée française au Mali, est soupçonnée de vouloir répéter la même opération au Burkina Faso, et a vu sa présence, plus ancienne, confortée en République centrafricaine. Son obligé dans ce pays, le président Faustin-Archange Touadéra, s’est ouvert la voie de nouveaux mandats après l’approbation par référendum d’une nouvelle Constitution. Dévoilés le 7 août, les chiffres de la consultation organisée le 30 juillet (95,25% de oui, 4,73% de non) soulignent l’équité d’un scrutin boycotté par l’opposition et les organisations de la société civile.

Si on ajoute à ce tableau la situation au Soudan, où les supplétifs du pouvoir russe sont suspectés de soutenir un des deux généraux, Mohamed Daglo dit «Hemetti», qui se sont déclarés une guerre à mort au mépris de l’intérêt de leurs concitoyens, on devine sans peine les dividendes que peut retirer la Russie de l’instabilité au Niger. Sauf que là, convergeant avec celui des pays africains et occidentaux les plus mesurés, son intérêt est d’éviter une escalade guerrière puisqu’elle n’avait pas gagné la sympathie du président Bazoum et ne désespère pas d’emporter celle du général Tiani. La recomposition de l’échiquier politique dans la région est loin d’être terminée.

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