Avec la production de 500 000 voitures électriques par an, Elon Musk, ici en visite sur le site de l'usine de Grünheide en septembre 2020, bouscule le monde de l'automobile allemande. © GETTY IMAGES

Allemagne: les ambitions pharaoniques de Tesla

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

A une trentaine de kilomètres de Berlin, une gigantesque usine sort de terre comme un champignon. Elon Musk prévoit d’y construire, à partir de juillet, jusqu’à 500 000 voitures électriques par an. S’il surmonte tous les obstacles…

Lorsqu’il visite son usine en chantier, au début de l’hiver, Elon Musk explique, à la stupeur de son public allemand, s’être « fait installer un lit » au milieu de l’immense bâtiment en construction pour s’imprégner de l’atmosphère des lieux. Le choc des cultures, si on en croit les dernières déclarations du manager californien auréolé du nouveau succès de sa fusée SpaceX, est visiblement réciproque. A moins de trois mois du démarrage prévu de la production en juillet, le bouillonnant entrepreneur d’origine sud-africaine attend toujours l’intégralité des permis de construire qu’il a dû déposer auprès de la bureaucratie germanique, dont la lenteur est légendaire. Excédé, Tesla a d’abord publié une lettre ouverte pour dénoncer les retards administratifs avant d’envoyer, mi-avril, un document de dix pages au tribunal administratif de la région, expliquant que chaque mois de retard pris sur la production coûtera à l’Europe un million de tonnes de CO2. « Avec une production de 500 000 voitures électriques par an, Tesla fera économiser quinze millions de tonnes de CO2 à l’Europe », selon les calculs de l’entrepreneur, à raison de trente tonnes de CO2 économisées par voiture tout au long de son cycle de vie, pour 250 000 kilomètres de conduite. A Berlin, l’argument ne semble pas avoir fait mouche.

Elon Musk a fait savoir qu’il se passera des services du syndicat IG Metall et du sacro-saint principe germanique de la cogestion.

Ses déboires avec la bureaucratie locale ne sont pas les seuls obstacles auxquels se heurte Elon Musk dans son projet pharaonique de Grünheide, à l’est de Berlin. Eau, logements, personnel qualifié… La liste des freins auxquels se heurte l’industriel laisse redouter quelques retards dans la réalisation de son projet. Lorsqu’il annonce en novembre 2019 avoir opté pour le site de Grünheide – à proximité du nouvel aéroport international BER de la capitale – pour y installer sa prochaine Gigafactory, Elon Musk provoque un électrochoc en Allemagne. Loin des sites historiques de Stuttgart (Daimler), Munich (BMW), Ingolstadt (Audi) ou Wolfsburg (VW), la région de Berlin n’a aucune tradition dans le domaine automobile.

Musk a jeté son dévolu sur un terrain de 302 hectares de forêts de pins, appartenant du temps de la RDA à la redoutée police politique du régime, la Stasi. Une équipe de cinq cents personnes y aurait formé des terroristes pour le combat contre l’ennemi capitaliste, ouvert lettres et paquets en provenance de RFA et entreposé les biens de citoyens est-allemands passés à l’Ouest. Pour Berlin, isolée au coeur d’une région pauvre et loin du tissu industriel du pays, l’annonce est une aubaine. Le projet est une accumulation de superlatifs: 500 000 voitures doivent y être produites, dans un premier temps le modèle Y, puis le 3. A terme, l’usine de production couplée à « la plus grosse usine de fabrication de batteries d’Europe » doit embaucher 40 000 salariés. Coût total des travaux: 5,8 milliards d’euros.

Eau et environnement

Le projet est un électrochoc pour l’industrie automobile allemande. « Il a fait du bien à l’ensemble du secteur, assure Frank Schwope, analyste spécialiste de l’auto- mobile à Nord LB (Norddeutsche Landesbank). Depuis l’annonce de Musk et la crise du diesel, les constructeurs allemands courent derrière Tesla pour tenter de rattraper leur retard dans l’électrique. »

Pour Elon Musk pourtant, dès le début, les difficultés s’amoncellent. Il se heurte d’abord aux réticences des riverains, quelques centaines de personnes vivant au milieu d’un paysage idyllique de forêts et de lacs aux eaux transparentes. La première bataille porte sur les 80 hectares de bois que veut raser l’industriel. Les réticences sont telles que même les Verts prennent la défense du projet, doutant de la valeur environnementale d’une « forêt de pins plantée artificiellement ». Surtout, les besoins en eau inquiètent dans une région menacée de désertification à moyen terme, après trois étés de sécheresse due au réchauffement climatique. Elon Musk annonce une consommation annuelle de 1,4 million de mètres cubes par an, soit la consommation d’une ville de 30 000 habitants. Les associations de défense de l’environnement croisent le fer, mobilisent les riverains et l’opinion publique… Il en faudrait davantage pour impressionner l’entrepreneur. Musk prend le risque de démarrer les travaux, avant même d’avoir reçu l’ensemble des autorisations nécessaires.

La question de l’eau est loin d’être réglée, d’autant que pour loger les salariés de Tesla, il faudra construire massivement dans la région. Quelque 8 000 logements seront nécessaires à court terme, 25 000 logements par la suite. De quoi accroître la concurrence autour du précieux liquide.

Des ingénieurs débauchés?

Les concurrents de Tesla suivent de près l’évolution des travaux. Dans un pays à la démographie en berne, le risque de fuite d’une partie de leurs ingénieurs vers Tesla n’est pas négligeable. Surtout pour Volkswagen. « Un certain nombre des ingénieurs de VW, notamment les jeunes, pourraient être tentés de rejoindre Tesla pour vivre dans la capitale plutôt qu’à Wolfsburg, estime Frank Schwope. Pour la région, qui souffre d’une véritable pénurie en emplois industriels, l’usine d’Elon Musk est une chance incroyable. »

L’hémorragie semble pour l’heure contenue, même si quantité de postes restent vacants chez Tesla, à en croire les annonces qui circulent depuis des mois sur les réseaux sociaux. Reste que VW vient de modifier son règlement interne, qui permettait aux salariés de prendre un congé sabbatique hors du groupe avec l’assurance d’être réintégré ensuite. Le puissant syndicat de la branche, IG Metall, est aussi sur les dents depuis qu’Elon Musk a fait savoir qu’il se passera de ses services et du sacro-saint principe germanique de la cogestion.

Dans ce contexte, la production pourra-t-elle bien démarrer en juillet comme prévu? Frank Schwope est convaincu que oui, « avec dans un premier temps, sans doute, une production symbolique, histoire de montrer que Tesla respecte ses engagements, souligne l’analyste. De mon point de vue, la production va réellement démarrer vers la fin de l’année. »

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