Terre-Neuve veut doubler sa production pétrolière d’ici à 2030: un bienfait économique, un risque écologique. © reuters

A Terre-Neuve (Canada), malgré le pétrole, la misère règne

Ludovic Hirtzmann Journaliste correspondant au Canada

Terre-Neuve est aux prises avec de grandes difficultés économiques. La province ne cesse pourtant de développer son industrie pétrolière offshore, au mépris de toute considération environnementale.

« C’était mieux avant», ont coutume de dire les plus anciens à Terre-Neuve. Avant, c’était avant que Terre-Neuve, un dominion britannique, n’intègre le Canada en 1949. «L’Union avec le Canada est venue saper le secteur manufacturier. L’ élimination des barrières tarifaires a ouvert le marché aux concurrents plus puissants et efficaces du Canada continental. […] Plusieurs fabricants locaux ont dû fermer leurs portes», relate le ministère du Patrimoine (Culture) du Canada. «Faux, confie le professeur Alex Marland, politologue à la Memorial University de Terre-Neuve. Dire que les choses allaient mieux avant 1949 est un mensonge. L’adhésion au Canada a donné accès à toutes sortes de programmes sociaux qui ont considérablement atténué les terribles difficultés économiques auxquelles sont confrontés de nombreux pauvres à Terre-Neuve-et-Labrador (TNL).»

Terre-Neuve est très riche en ressources naturelles, celles-ci sont exportées et appartiennent de plus en plus à des non-résidents.

Dans un Canada dont la croissance économique est insolente depuis plus de deux décennies, Terre-Neuve-et-Labrador fait figure de parent pauvre. L’île de Terre-Neuve compte 498 000 habitants sur 111 000 km2 et son pendant continental, le Labrador, seulement 27 000 habitants sur près de 294 000 km2, soit près de dix fois la Belgique. Le taux de chômage endémique varie entre 11 et 14%, environ trois fois plus que le Québec. «Terre-Neuve est beaucoup plus rurale que les autres provinces. Bon nombre de ses travailleurs sont dans des industries saisonnières responsables des taux de chômage mensuels élevés», confie Doug May, économiste à la Memorial University.

TNL est au bord de la faillite. Le Premier ministre de la province, Andrew Furey, a nommé l’an dernier à la tête d’une équipe de relance économique de sa province une ancienne PDG de Postes Canada et du Royal Mail britannique à la réputation de cost killer, Moya Greene. Après huit mois de travaux, elle a rendu ses conclusions dans «The Big Reset» (La grande réinitialisation), un rapport de 342 pages, qui débute par un long constat d’échec: «Les dépenses du gouvernement ont augmenté de 4,97 milliards de dollars, en 2004-2005, à 8,97 milliards de dollars, en 2020-2021. Nous dépensons 25% de ce que nous gagnons annuellement et 11% de nos revenus ne servent qu’à payer notre dette.» Si les fondamentaux restent mauvais, un an plus tard, le déficit budgétaire a diminué grâce à la hausse des prix du pétrole.

Manne pétrolière

La mauvaise santé économique de l’île ne manque pas d’étonner, car Terre-Neuve est un lieu d’exploitation de pétrole. La province contribue pour 5% à la production canadienne. Selon la régie de l’Energie du Canada, «en 2021, les ressources restantes de pétrole brut de TNL étaient estimées à 2,26 milliards de barils». Au mois de novembre, le gouvernement a octroyé cinq nouveaux permis d’exploration pétrolière (sur 38 prévus) à ExxonMobil, BP, Equinor et QPI. Aucun critère environnemental n’est réclamé. Or, ces licences ont été délivrées dans des endroits qui chevauchent des refuges marins, non protégés de l’exploration au Canada.

Terre-Neuve veut doubler sa production pétrolière d’ici à 2030, avec 650 000 barils par jour. Ottawa a donné le feu vert à un autre programme pétrolier, Bay du Nord, qui doit donner «un important coup de pouce économique à long terme», souligne l’économiste de la Banque TD, Rishi Sondhi. Mené par le norvégien Equinor et le canadien Cenovus, ce projet de creusement de soixante puits situés à 500 kilomètres à l’est de la capitale Saint John’s est aussi une entreprise risquée: puisque les forages s’effectueront à plus de mille mètres de profondeur, une fuite pétrolière est possible. Son objectif? Extraire trois cents millions de barils en trente ans. «Ce sera le projet le plus propre et le plus écologiquement protégé de ce genre dans l’histoire du Canada», a écrit la ministre du Développement économique rural du Canada et députée de TNL, Gudie Hutchings, sur Twitter.

Malgré quelques voix dissonantes, les Terre-Neuviens approuvent le projet. «Toute occasion de stimuler l’emploi et les revenus du gouvernement est positive pour la province», estime Alex Marland. L’octroi de nouveaux permis pétroliers par le gouvernement de Justin Trudeau intervient à un moment clé, la guerre en Ukraine, afin de faire croire aux Européens que le Canada pourra, à terme, livrer plus de pétrole à l’Europe pour l’aider.

Diversification nécessaire

Sur la scène intérieure canadienne, Bay du Nord se présente comme une bouée de sauvetage pour un TNL dont les industries traditionnelles ne paient plus. La plus emblématique, la pêche, ne rapporte plus qu’un milliard de dollars par an, à mettre en perspective avec les 8,1 milliards de dollars, l’an dernier, perçus comme recettes du pétrole. L’or noir paie, mais «il y a relativement peu d’emplois directement associés à la production de Bay du Nord», note Doug May. Seuls 2,4% des habitants travaillent pour ce secteur. Plus de 80% des Terre-Neuviens sont employés dans les services.

Moya Greene estime que TNL souffre de sureffectifs dans les services publics, eu égard à sa faible population. Le rapport Greene suggère une diminution de 5% des dépenses du gouvernement, la réduction des subventions aux établissements d’enseignement supérieur et de santé, et un impôt pour les contribuables aux revenus les plus modestes, jusqu’ici non imposables. Ce remède de cheval d’une Canadienne ultralibérale ne peut pas cacher la mauvaise gestion chronique des gouvernements terre-neuviens successifs. En 2010, la province s’est lancée dans un projet pharaonique de barrage hydro-électrique, à Muskrat Falls, dont les coûts de réalisation, équivalentes à une année de recettes pétrolières, ont doublé.

Tout développement doit tenir compte de la configuration géographique de TNL. La suppression de certains services publics, de santé notamment, est risquée dans un territoire immense, constitué de bourgades isolées. Doug May rappelle que si «Terre-Neuve est très riche en ressources naturelles, ces ressources sont exportées et appartiennent de plus en plus à des non-résidents». Et de conclure: «Le gouvernement provincial doit trouver un moyen d’augmenter ses rentes à partir de ressources telles que le minerai de fer, le nickel et l’électricité produite par l’énergie hydraulique.»

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