Le 23 mars, Shou Zi Chew a tenté de convaincre les membres de la Chambre des représentants des intentions inoffensives de TikTok. En vain. © getty images

Vaincre la défiance des Etats-Unis, un enjeu crucial pour TikTok

Maxence Dozin
Maxence Dozin Journaliste. Correspondant du Vif aux Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, TikTok suscite la même défiance chez les Démocrates et les Républicains et multiplie les initiatives pour prouver son caractère apolitique.

Shou Zi Chew se souviendra longtemps du 23 mars après-midi, qui lui aura sans doute semblé bien long. Ce jour-là, le dirigeant de TikTok a dû faire face pendant cinq heures aux membres de la puissante commission de l’énergie et du commerce de la Chambre des représentants aux Etats-Unis. Et pour cause, ils l’ont mis sur le gril en qualité d’ennemi désigné de la nation américaine.

D’origine singapourienne et américanisé (il a étudié à Harvard et est marié à une Américaine), Shou Zi Chew n’est pas parvenu, à l’issue de cette épreuve, à convaincre les hommes et les femmes politiques de la capitale fédérale que l’application chinoise ne constituait pas une «menace à la sécurité nationale» des Etats-Unis. L’accusation est portée tant par le Parti républicain que par le Parti démocrate.

Traitement particulier

Le dirigeant a bien tenté de persuader les élus américains que les données des plus de cent millions d’utilisateurs répartis sur le territoire national seraient bientôt intégralement protégées, car stockées sur des serveurs situés uniquement aux Etats-Unis – aujourd’hui, elles le seraient aux Etats-Unis et à Singapour. Mais ce fut peine perdue.

A l’instar du représentant démocrate du New Jersey Frank Pallone, les députés ont campé sur leurs positions, estimant, malgré le déni en bloc des représentants de la diplomatie chinoise, que «le gouvernement communiste de Pékin aurait toujours le contrôle» sur les données des utilisateurs.

TikTok n’est pas la seule

Les auditions de présidents d’entreprises de la haute technologie n’ont pas été rares au Congrès ces dernières années. L’institution s’affiche soucieuse de protéger le bien-être et les intérêts du consommateur américain dans l’utilisation des différentes applications désormais incontournables comme TikTok ou Facebook. De Mark Zuckerberg, patron de Meta, maison-mère de Facebook, à Sundar Pichai, CEO de Google, diverses personnalités du secteur ont eu à justifier la probité de leurs activités devant les élus.

La tâche de Shou Zi Chew s’est cependant avérée d’une autre ampleur. Il devait ni plus ni moins convaincre que la plateforme qu’il dirige ne constitue pas un cheval de Troie chinois destiné à espionner le public américain et, parallèlement, à l’asservir intellectuellement.

Le sentiment d’hostilité envers la Chine a encore été renforcé par la récente affaire du survol des Etats-Unis par des ballons espions.

Un contexte sensible

Depuis la présidence de Donald Trump en 2016, un fort sentiment antichinois existe parmi les élites politiques américaines. Le département d’Etat considère la Chine comme le principal rival, pour ne pas dire l’ennemi, des Etats-Unis. Un sentiment renforcé par l’affaire du survol du territoire par des ballons espions, début février, dont un avait été abattu par l’aviation américaine. De hauts responsables américains ont assuré, le 3 avril, qu’il avait pu recueillir des informations sur plusieurs sites militaires et les transmettre à Pékin en temps réel.

Le succès de TikTok aux Etats-Unis pose le même genre de questions. Le décret, préparé sous la présidence de Donald Trump en vue d’une éventuelle interdiction et stipulant que la collecte de données sur TikTok pourrait permettre à la Chine de «suivre la localisation d’employés et d’entrepreneurs fédéraux, de créer des dossiers d’informations personnelles à des fins de chantage, et de mener des actions d’espionnage d’entreprise», relève du même registre.

L’initiative fut entravée par des recours juridiques avant le terme du mandat du président républicain. En vérité, la méfiance envers TikTok est largement partagée par les élus démocrates. La Chine est considérée par Washington comme un acteur perfide et, malgré les démentis de Pékin, le soupçon demeure que les entreprises chinoises sont redevables au pouvoir en informations diverses.

TikTok, un service utile

Un autre problème, plus insidieux, préoccupe les représentants politiques américains, et devrait, selon certains, les inquiéter bien davantage. TikTok, qui se présente comme une application de divertissement vidéo à contenu court, utilise des algorithmes destinés à diffuser des contenus variés à destination de publics ciblés. Beaucoup ignorent cependant que ces algorithmes sont calibrés différemment entre les marchés américain et chinois.

Alors que le service chinois Douyin favorise la diffusion de vidéos à contenu éducatif à destination des adolescents, les algorithmes américains proposent en majorité un contenu de divertissement frivole, dont d’aucuns estiment qu’il participe à «décérébrer» toute une génération de jeunes gens outre-Atlantique. Quoi qu’il puisse en être, et que la menace soit considérée comme de court ou de long terme, les responsables politiques américains sont persuadés que l’application chinoise n’est pas un acteur bienveillant. Ils envisagent donc qu’elle soit bannie aux Etats-Unis.

Sentant le vent tourner, Shou Zi Chew a pris les devants et opté pour une stratégie offensive. Il a ainsi diffusé, le jour même de son audition au Congrès, un message à l’ensemble des abonnés de TikTok aux Etats-Unis, les invitant à questionner les motivations de leurs représentants politiques, qui menacent d’ «interdire un service bénéficiant à toute une communauté, notamment des petites et moyennes entreprises qui utilisent TikTok pour se faire connaître».

Les menaces sur l’existence de TikTok aux Etats-Unis, où le service est déjà banni chez les employés administratifs de 42 Etats, ne sont pas inédites. Le pays où elles ont conduit à la mesure la plus radicale est l’Inde. New Delhi en a interdit l’usage, ainsi que d’une cinquantaine d’autres applications chinoises, en juin 2020, pour des raisons de sécurité, après un affrontement meurtrier entre les armées chinoise et indienne à la frontière himalayenne.

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