Pierre-Yves Jeholet
Pierre-Yves Jeholet estime que l’avènement de la majorité azur a permis d’entrer dans un nouveau paradigme, un nouvel état d’esprit. © BELGA

Pierre-Yves Jeholet, un ministre de l’Emploi inerte? «On nous dit qu’on ne fait rien, mais on nous critique sur tout»

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Depuis un an, Pierre-Yves Jeholet (MR) occupe le poste ô combien stratégique de l’emploi au sein du gouvernement wallon. Mais ses opposants lui reprochent un manque de stratégie, précisément.

C’est peu dire qu’au mitan du mois de juillet 2024, le rôle endossé par Pierre-Yves Jeholet (MR) au sein du gouvernement wallon pouvait rapidement être identifié comme un poste charnière. La Déclaration de politique régionale (DPR) présentée quelques jours plus tôt par le MR et Les Engagés transpirait cette volonté de remettre la Wallonie sur des rails nouveaux. Exit la gauche, la Wallonie allait sortir de l’ornière et se rallier à l’objectif des 80% de taux d’emploi à la fin de la décennie.

Pierre-Yves Jeholet, qui venait de clôturer son mandat de ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, héritait de compétences décisives: l’Emploi et de la Formation, mais aussi l’Economie, l’Industrie et le Numérique. Tout un programme. «Il est vrai que ces compétences sont importantes, cohérentes et liées entre elles, considère le libéral. En Wallonie, comme à Bruxelles bien entendu, nous avons toujours un taux d’emploi bien trop faible.» Selon les estimations de Statbel, il se chiffrait à 66,8% au premier trimestre de cette année. C’est un peu plus que les 61,9% bruxellois, mais toujours loin des 77,9% de la Flandre.

«Cette réforme, on l’assume, on n’est pas résignés, le but étant qu’un maximum de personnes retrouvent un emploi.»

Ce rôle prépondérant l’expose à la critique. Pierre-Yves Jeholet, c’est le bad cop du gouvernement Dolimont, entend-on à gauche. Tous les partis l’affirment: l’emploi est un enjeu central. Mais le libéral brandirait le bâton plus volontiers que la carotte. Quant aux dimensions économique et industrielle de son portefeuille, lui reproche-t-on encore, ce serait le néant ou presque. Manque de vision, de concertation, de stratégie: les critiques fusent et le font sourire. «C’est paradoxal. On nous dit qu’on ne fait rien, qu’on n’a pas de politique, mais on nous critique sur toutes les mesures prises», répond Pierre-Yves Jeholet.

Après tout, fait-il remarquer. «Je m’étonne que l’opposition, les syndicats ou certains corps intermédiaires soient surpris. On a évalué une série de dispositifs et travaillé sur des réformes. Certaines sont lancées, d’autres sont en cours, d’autres encore sont à venir. Mais franchement, on n’a surpris personne.»

«Changement de paradigme»

Dès la campagne électorale, «le message était clair, tant au MR que chez Les Engagés, d’ailleurs». A savoir? «Il fallait un changement culturel, un changement de paradigme. Que soient remis au cœur du débat le travail, le mérite, l’effort par rapport à l’inactivité, qui a été trop tolérée et soutenue.»

Les ex-partenaires, socialistes en particulier, ne sont pas épargnés. «Avant, on avait droit à une certaine fatalité, alors qu’on a des atouts à valoriser en Wallonie. Faux indicateurs défavorables, on nous resservait la même excuse, celle d’une région industrielle qui a souffert, du fait qu’il allait falloir du temps, etc. Les aides européennes existent depuis très longtemps et elles ont bénéficié à la Wallonie. Mais avec quels résultats? A-t-on redressé notre économie?»

Avec le gouvernement, Pierre-Yves Jeholet a dès lors mis en place –ou s’apprête à le faire– une série de réformes. Toujours, répète-t-il, dans l’idée d’opérer un «changement de paradigme» en Wallonie.

Le grand bouleversement provient du fédéral, tout d’abord. Il s’agit bien sûr de la limitation des allocations de chômage dans le temps, qui entraînera des conséquences majeures en Wallonie. «A nouveau, ne faisons pas comme si c’était une surprise. Cette réforme, on la voulait. On l’assume, on n’est pas résignés, le but étant qu’un maximum de personnes retrouvent un emploi ou s’en rapprochent.» Là, la Région a son rôle à jouer.

Rationaliser, clarifier, responsabiliser

Côté emploi et formation, le premier gros morceau est donc «une réforme systémique, qui doit marquer un changement culturel. Celle du Forem et de l’encadrement, de l’accompagnement des chercheurs d’emploi.» Ce projet-là est sur les rails. Dans les grandes lignes, rappelle le Hervien, il s’agit de proposer un accompagnement beaucoup plus rapide et personnalisé du chercheur d’emploi (ne dites pas «demandeur»). «Dès qu’il est inscrit, il est contacté. Un plan d’action qui devient obligatoire, avec un suivi très régulier de la personne. Dans un délai maximal de quatre mois, on doit proposer une offre d’emploi, un travail, une formation qualifiante ou encore un parcours d’intégration socioprofessionnelle. En parallèle, il y a des contrôles et des sanctions, trop peu appliqués jusqu’ici.»

La notion de responsabilisation est omniprésente. Celle du politique, qui adopte les réformes, assure le Hervien. Celle des employeurs, bien sûr, mais aussi celles des acteurs publics que sont le Forem, l’Ifapme, les Cisp (Centres d’insertion socioprofessionnelle), les Mire (Missions régionales pour l’emploi), les Maisons de l’emploi, les ALE (Agences locales pour l’emploi). Enfin, «et c’est le changement de paradigme», une responsabilisation accrue des chercheurs d’emploi.

Pierre-Yves Jeholet annonce une série de réformes à venir. © BELGA

Autre «réforme systémique»: celle de la formation professionnelle, de l’enseignement qualifiant et de l’alternance. Une note d’orientation a été avalisée le 12 juin par les gouvernements wallon et communautaire, de concert. La mécanique est enclenchée. «En fait, c’est plus d’entreprises à l’école, un décloisonnement de l’enseignement, fédérer la formation, renforcer les synergies entre la Wallonie et la FWB, etc.»

La formation en alternance en particulier «est un moyen sous-utilisé. Or, il convient bien à certaines personnes qui n’ont pas un parcours scolaire classique. Je veux vraiment valoriser les métiers techniques, technologiques et manuels, dont on aura besoin encore très longtemps.» L’idée étant toujours de pouvoir rebondir, s’élever, se rapprocher du marché de l’emploi, selon Pierre-Yves Jeholet.

«C’est paradoxal. On nous dit qu’on ne fait rien, mais on nous critique sur toutes les mesures prises.»

Une réforme, qui fera parler d’elle, sera présentée d’ici à la fin de l’année. Il s’agit de «réformer l’écosystème de proximité». Des collaborations nouvelles devront se mettre en place entre le Forem et les CPAS. Mais il existe une panoplie d’autres opérateurs, avec leurs spécificités «comme les Cisp, les ALE, les maisons de l’emploi. Je veux que ces opérateurs travaillent ensemble et probablement que certains soient rationnalisés. Il faut que chacun se consacre à une situation à un moment donné, par rapport à une personne qui n’est pas à l’emploi.»

Pour la fin de l’année également, Pierre Yves-Jeholet annonce encore une réforme des aides à la formation dans les entreprises, qui peuvent donner lieu à des effets d’aubaine, voire à des fraudes (Le Vif du 19 juin). Il s’agit encore, dans son esprit, de simplifier, rationnaliser, accroître la lisibilité et, in fine, l’efficacité.

Qu’en est-il des ambitions du libéral sur des volets plus économiques et industriels? C’est avant tout sur ces dimensions que l’opposition dénonce un manque de stratégie. «Bon, ce sont des discours un peu stériles et puérils. Beaucoup de choses sont faites et d’autres viendront. Si je travaillais à la hâte, on me reprocherait ma précipitation. Moi, ce que je veux, c’est créer davantage d’activité économique, d’emploi privé et faire sauter le plafond de verre des PME.»

Né sous la précédente législature de la fusion de trois outils (Sowalfin, Sogepa et SRIW), Wallonie Entreprendre est désormais le bras armé économique et financier de la Région.

La conjoncture n’est guère favorable, précise-t-il, «étant donné le contexte géopolitique et budgétaire et l’effet post-Covid que nous subissons encore». Mais une feuille de route a bien été constituée et approuvée pour Wallonie Entreprendre. «Cela doit constituer un levier pour améliorer la croissance, l’activité des entreprises, l’innovation.»

Task-force défense

Un forum industriel a été mis sur pied, argumente-t-il encore, réunissant les fédérations concernées et les ministres compétents dans les matières abordées. «Il s’est réuni deux fois, une fois sur l’innovation, une fois sur l’énergie. Un troisième forum arrive. Cela sert à définir une stratégie, identifier les freins, trouver des solutions.»

Avec l’aéronautique, le spatial, les biotechnologies ou le nucléaire, explique-t-il, le secteur de la défense demeure évidemment central en Wallonie, puisqu’on y retrouve 1,8 milliard de chiffre d’affaires annuel dans ce secteur, alors que le total belge se chiffre à deux milliards. Une task force défense a vu le jour et s’est réunie pour la première fois au printemps. Là, il s’agit avant tout de «répondre aux besoins de notre armée, mais aussi des armées européennes et de l’Otan, en pouvant bénéficier et capter des investissements européens.

Parmi les projets que Pierre-Yves Jeholet dit avoir dans ses cartons figure encore une révision de l’écosystème de l’innovation et de la recherche. «On est reconnus, mais on a développé au fil du temps diverses structures et on a un peu dilué l’effet levier des moyens publics investis.»

Conséquence: ce que le ministre de l’Economie a en horreur, à savoir un manque de lisibilité et d’efficacité. Objectif: ce qu’il semble particulièrement affectionner, c’est-à-dire la rationalisation, l’efficience et une meilleure utilisation des moyens publics.

Stéphane Hazée (Ecolo): «On peine à voir la stratégie»

«Depuis un an, on est baigné dans une ambiance idéologique. La communication du gouvernement repose sur l’idée d’un grand changement en cours. Mais occuper le terrain médiatique avec cette petite musique, ça ne fait pas une politique», considère le chef de groupe Ecolo au parlement de Wallonie.

Pour le Namurois, «sur le terrain économique, on peine à voir la stratégie. Et sur le terrain de l’emploi et de la formation, on a massacré à la tronçonneuse, avec un ministre qui se profile comme un déménageur. On tape aussi sur des outils comme les cellules de reconversion, au mépris des chiffres, sur les  Centres d’insertion socioprofessionnelle (Cisp), les Missions régionales pour l’emploi (Mire), les agences locales pour l’emploi (ALE).» Ce n’est pas que le paysage de l’emploi et de la formation ne doit pas gagner en efficacité et en lisibilité, pour le député régional, mais il y aurait dans le chef du gouvernement et de son ministre un manque de concertation avec les acteurs. «Et un mépris des évaluations, malgré ce qu’ils disent.»

Côté économie, commente Stéphane Hazée, la feuille de route de Wallonie Entreprendre, le bras armé de la Région, a bien été livrée au printemps, «un peu au forceps. Quelques grands axes se dégagent. On parle beaucoup de défense, d’intelligence artificielle, d’aéronautique, de spatial, par exemple.» Ces secteurs, assure l’écologiste, méritent d’être soutenus et développés. Mais «ils sont fortement soumis à la conjoncture internationale. Ils semblent devenus plus prioritaires que d’autres, pourtant nécessaires à l’autonomie stratégique de la région wallonne: alimentaire, santé, biotechnologies, cybersécurité, technologies vertes, etc.» Il regrette que le secteur de la construction et de la rénovation soit mis en difficulté par une réforme plutôt abrupte du système des primes, annoncée en février.

Chez Ecolo, on entend aussi déconstruire les chiffres avancés. «On apprend que Wallonie Entreprendre va investir 2,5 milliards d’euros en cinq ans. C’est annoncé comme une grande ambition, mais compte tenu de l’indexation, cela reste des montants comparables aux années précédentes.» Quant au fond, Stéphane Hazée regrette que les enjeux environnementaux ne constituent plus une priorité, selon lui, de même que la politique ESG (environnement, social et gouvernance) des entreprises et l’économie circulaire, «abandonnée».

Christie Morreale (PS): «On a ce sentiment qu’ils naviguent à vue»

«Je suis constructive: si je dois donner un bon point, c’est pour avoir mis Jean Hilgers (NDLR: l’ex-directeur de la Banque nationale) à la tête de Wallonie Entreprendre. C’est un grand professionnel qui va travailler pour l’économie, à défaut d’avoir un ministre de l’Economie et de l’Industrie», lâche la cheffe de groupe PS au parlement de Wallonie.

Le gouvernement Azur reste trop passif face à des chiffres de l’emploi et du chômage qui suivent une courbe défavorable, depuis leur entrée en fonction, estime-t-elle. «L’emploi, ça ne se décrète pas, mais les conditions propices, ça demande du travail. Et là, je suis vraiment surprise par cette inertie. On a le sentiment qu’ils naviguent à vue.»

Le secteur de la défense constitue un bon exemple, pour la socialiste. Le ministre fédéral est nationaliste, ce qui appelle à la vigilance. «La Flandre, elle, a sa feuille de route, alors que c’est la Wallonie qui a incontestablement une grande longueur d’avance dans ce secteur. Mais il faut pouvoir venir avec des propositions sur le terrestre, sur l’aéronautique, etc. Réunir le secteur, fixer des objectifs, tracer une feuille de route. Bon, un groupe de travail a enfin été créé, mais on ne voit toujours pas les résultats.»

Qu’il s’agisse du secteur pharmaceutique, des biotechnologies, de la construction ou d’autres atouts wallons, Christie Morreale affirme ne pas identifier de cap auprès du ministre de l’Economie et de l’Industrie. «Or, s’ils ont ajouté l’industrie à ses compétences, cela signifie quelque chose, en principe.»

«Il n’y a rien. Pas de feuille de route industrielle et économique, pas de stratégie sur la défense, ni sur les petits commerces, pour lesquels ils ont coupé des moyens. Pour la construction, leur communication sur la réforme des primes a été catastrophique, pour le secteur et pour les finances. Il n’y a pas non plus de vraie réaction par rapport à la crise causée par l’instabilité internationale», résume Christie Morreale.

Celle qui fut ministre de l’Emploi et de la Santé sous le précédent gouvernement insiste: «Les conditions pour l’emploi, on les crée. Il faut favoriser le dialogue, instaurer des méthodes de travail, réunir les opérateurs, tracer une feuille de route. Cela demande beaucoup, beaucoup de travail. Là, je ne vois pas grand-chose», regrette la Liégeoise.

Germain Mugemangango (PTB): «Le gouvernement de l’emploi précaire»

«En phase avec le fédéral, ce gouvernement a annoncé qu’il atteindrait 80% de taux d’emploi. C’était au cœur de sa communication. Or, c’est l’inverse qui se passe», pointe Germain Mugemangango, chef de groupe PTB au parlement de Wallonie. Tout n’est pas imputable à la majorité, concède-t-il, par exemple lorsque Cora annonce des fermetures en masse. «Ce qui est surprenant, cependant, c’est la passivité politique quasi totale: peu de déclarations, peu d’actes posés.»

Les aides aux entreprises existent pourtant. Il n’est pas contre l’idée d’y remettre de l’ordre, en soi. «Mais il faut les conditionner. Cora a profité de millions d’euros, mais peut menacer de licencier 1.800 personnes.»

En parallèle, dénonce le député PTB, les PME sont menacées par un manque de soutien. La Cour des comptes, par exemple, relevait en juin qu’il subsiste un trou de 58,5 millions d’euros pour satisfaire les aides et primes à l’investissement déjà validées. «Ils sont d’accord pour aider les multinationales, mais diminuent le soutien aux PME, qui sont non délocalisables presque par définition. En plus, honnêtement, c’est quand même l’électorat naturel du MR en principe.»

Germain Mugemangango estime également que le gouvernement et son ministre, «non seulement ne soutiennent pas l’emploi qui existe, mais en détruisent en plus». Comment? Notamment en effectuant des coupes dans les subsides facultatifs. «Leur vision est linéaire: ils limitent les dépenses. Mais cela met de nombreuses associations en difficulté. Elles remplissent des missions sociales, mais en plus cela représente beaucoup d’emplois.»

Le député régional exprime aussi des inquiétudes quant à la réforme des emplois APE et  de leur non-indexation pour les emplois des pouvoirs locaux. «On parle d’aides-soignants, de personnel de nettoyage, de puéricultrices. Au lieu de produire de l’emploi, ce gouvernement les menace.»

«Cerise sur le gâteau», les structures de mise à l’emploi et de formation sont mises en cause «sans concertation, ce qui est un vrai problème. Ce n’est pas le gouvernement de l’emploi, mais de l’emploi précaire». Pour Mugemangango, le gouvernement devrait être bien plus proactif en matière de création d’emploi, typiquement au moyen d’investissements publics qui concerneraient la construction.

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