Philippe Defeyt: « Donner une prime de 980 euros à tout le monde, c’est du gaspillage! »

Les primes énergie octroyées en Belgique posent question. En plus de ne pas être suffisamment ciblées, une récente étude suggère également qu’elles nuisent au pouvoir d’achat des ménages moyens. Pour l’économiste Philippe Defeyt, il manque une volonté politique et des données statistiques pour un meilleur ciblage. « On a bricolé », dit-il.

La prime énergie est-elle nuisible au pouvoir d’achat des ménages moyens ? C’est en tout cas ce que suggère une récente étude de la KU Leuven. Celle-ci établit que les différentes primes octroyées pour aider les ménages à surmonter la crise énergétique réduisent en réalité leur pouvoir d’achat. « Il semble en définitive que ces mesures ralentissent l’indexation. Alors que ces compensations visent à alléger la facture d’énergie, elles influencent aussi l’indice santé. Ce dernier sert au calcul de l’indexation des salaires, qui s’en retrouve moins conséquente. Cela engendre une indexation des salaires moins forte et des allocations moins élevées », conclut l’étude, qui précise tout de même que les primes ont un effet positif pour les 10% des revenus les plus bas.

L’économiste Philippe Defeyt reste dubitatif au regard de ces conclusions. « Le retard de l’indexation est uniquement dû aux mesures sur la TVA. Les autres n’ont pas d’impact. Je reste sceptique quant à cette conclusion, dit-il. Une étude conjointe de l’Université de Gand et la BNB montre au contraire qu’une partie importante des primes vont bénéficier à l’épargne. Donc dire que ça désavantage la classe moyenne, j’ai du mal à l’imaginer. Il faudrait en tout cas davantage étudier cette question avant de tirer des conclusions. »

L’autre grand couac made in Belgium réside dans le cruel manque de ciblage de ces mesures de soutien. C’est d’ailleurs ce point précis qui a été reproché la Commission européenne à la Belgique, dont le budget voit rouge. « D’une manière générale, les mesures prises ne sont pas assez ciblées. Elles gaspillent de l’argent, confirme Philippe Defeyt. Pour certains ménages, une partie de ces aides va se transformer en épargne, et pas en consommation. Par contre, pour une série de ménages -la classe moyenne inférieure-, les aides ne sont pas suffisantes », précise-t-il.

Prime: « On a bricolé »

L’économiste espère que le gouvernement retiendra la leçon pour les éventuelles futures aides. Mais le problème du ciblage ne date pas d’hier. Il se posait déjà pour les aides liées à la crise Covid. Dès lors, pourquoi notre pays ne parvient-il pas à suffisamment cibler son soutien financier à la population ?

« Un, il n’y a pas assez de volonté politique de le faire. Car il y a une double ligne de fracture : entre le nord et le sud du pays, et entre les partis de gauche et de droite. Le résultat, c’est qu’on donne finalement à tout le monde, par facilité politique », analyse Philippe Defeyt. Deuxièmement, quand bien même voudrait-on cibler, on n’a pas nécessairement les données statistiques et les outils administratifs pour le faire de manière efficace. C’est un problème structurel. Par exemple, il manque des données concernant la distribution des revenus fiscaux par ménage. »

Était-il toutefois possible de mieux cibler ? « Oui, par exemple, on pourrait décider de ne pas octroyer les aides aux ménages qui ont des panneaux photovoltaïques. Cela représente 10% des ménages ! Certains vont recevoir des aides supérieures à leur facture d’électricité », note Philippe Defeyt. « Donner 980 euros (196 euros x 5 mois, NDLR.) à tout le monde, il y a quand même un problème. De plus, cette prime qui a été décidée il y a des semaines ne sera versée, au mieux, qu’en décembre. Et il est probable que certains ménages ne la reçoivent qu’en janvier », souligne-t-il. Et d’ajouter : « Il a fallu des mois pour que la prime mazout de 225 euros (aujourd’hui 300) arrive. Il y a quand même un fameux problème. On a bricolé. Sans parler de la situation pour ceux qui habitent des logements collectifs », fustige-t-il.

Quant aux avertissements européens envers la Belgique, Philippe Defeyt n’est pas alarmiste. « Je ne suis pas de ceux qui paniquent de trop. L’inflation reste élevée, et les taux d’intérêts, à ce stade, restent relativement limités. Les taux d’intérêts réels sont négatifs. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’en préoccuper », conclut-il.

Contenu partenaire