La fin annoncée de Leen Bakker s’inscrit dans une longue série de revers pour les enseignes à succès des années 1990-2000. La concurrence féroce de l’e-commerce et l’arrivée de nouveaux concepts à bas prix bousculent sérieusement les magasins aux modèles plus classiques.
Leen Bakker Belgique va disparaître. La célèbre enseigne, qui a vu le jour en 1985, voit son modèle s’effondrer et doit trouver des revendeurs pour ses 44 points de vente, comme révélé par le quotidien L’Echo.
Si l’annonce choque une nouvelle fois, elle s’ajoute néanmoins à une série de faillites pour des enseignes qui ont connu un succès solide durant les années 2000. Avant Leen Bakker, Casa et Blokker ont également dû mettre la clé sous le paillasson.
Dans un autre registre, les disparitions de Lunch Garden, Cora ou encore Brantano (qui a cependant été repris) témoignent d’un modèle de magasins «à l’ancienne» qui s’essouffle.
Leen Bakker: le secteur des fournitures au point mort
Comeos, la fédération belge du commerce et des services, regrette la fin annoncée de Leen Bakker. «Le chiffre d’affaires du secteur des fournitures ne croît pas depuis plusieurs années. C’est problématique, alors que la tendance est plutôt positive chez nos voisins», fait remarquer Kim Fredericq Evangelista, chief economist.
Dans le comportement d’achat aussi, «on voit que les Belges privilégient désormais des design plus modernes, axés sur la fonctionnalité et l’esthétique. A cet égard, les acteurs scandinaves s’en sortent mieux, observe Kim Fredericq Evangelista. Les meubles multifonctionnels (canapés-lits, rangements intégrés) ont aussi connu une plus forte demande.» En parallèle, la part des ventes en ligne pour le secteur des fournitures en Belgique «est passée de 14% en 2022 à 20% en 2025.»
Leen Bakker: un contexte peu favorable aux produits durables
Si les achats liés à la décoration et à l’aménagement d’intérieur ont explosé durant le Covid, désormais, le marché de l’ameublement, dans sa globalité, fait grise mine. «Aujourd’hui, le consommateur consacre davantage de budget aux loisirs, vacances et expériences, de façon très nette», constate Gino Van Ossel, professeur à la Vlerick School et expert en retail.
Les tensions géopolitiques et l’inflation rendent le consommateur moins enclin à acheter des articles dits durables. «D’autant plus que le remplacement de meubles n’est jamais un achat d’urgence. La vente de peinture, par exemple, connaît aussi des difficultés.»
Dans un marché tendu, le grand gagnant de la disparition de Leen Bakker en Belgique est évidemment Ikea. «Leen Bakker se spécialisait dans l’ameublement, alors que Kwantum, du même groupe (Homefashion), se concentrait sur la décoration. Or, chez Ikea, on trouve ces deux domaines», compare Gino Van Ossel.
Leen Bakker a loupé le train de l’omnicanal
D’après le spécialiste, ce qu’on appelle «l’omnicanal», peu intégré par Leen Bakker, est devenu central dans le comportement d’achat du consommateur actuel et futur. Cette notion vise à offrir une expérience client fluide, cohérente et uniforme, «dans laquelle l’acheteur peut configurer et personnaliser son achat (caractéristiques et options du produit, coût, lieu) avant de se déplacer sur place. A cet égard, Leen Bakker a quelque peu loupé le coche.»
Par exemple, la grande enseigne suédoise, de son côté, a supprimé son catalogue papier, au coût élevé mais dont la lecture était de plus en plus boudée par le consommateur. «Désormais, l’inspiration et l’orientation pré-achat se construisent presque uniquement sur les canaux numériques. Avec de gros frais pour le vendeur. Ikea peut se le permettre, car il réalise le même investissement pour tous ses magasins dans le monde entier. Mais les enseignes nationales, comme Leen Bakker, limitée au Benelux, ne disposent pas de cette possibilité en raison d’un rendement d’échelle plus faible. Dans le même ordre d’idée, le nombre d’indépendants qui ont fait faillite dans ce secteur est énorme», analyse Gino Van Ossel.
Rendement d’échelle, scalabilité et nouveaux acteurs
Autre constat: la politique de prix chez Leen Bakker est restée très traditionnelle, et plus onéreuse que ses concurrents. Récemment, de nouveaux acteurs internationaux ont mis le pied en Belgique. C’est le cas de Jysk, une chaîne danoise qui se veut très bon marché, avec un concept distinct de celui d’Ikea et bénéficiant du rendement d’échelle.
Juntoo, anciennement Overstock, (et également liée à Exterioo) est venue s’ajouter à une concurrence toujours plus surchargée. Cette enseigne belge affiche des prix nettement plus élevés que Leen Bakker, «mais son approche est plus moderne et met l’accent sur des promotions en continu.» Face à ces acteurs qui sont parvenus à se différencier, «Leen Bakker fait malheureusement partie des perdants», observe Gino Van Ossel.
Par ailleurs, en quittant la Belgique, l’enseigne emprunte le chemin inverse à de nombreuses marques plus agressives sur le marché, et qui recherchent de la scalabilité, c’est-à-dire une extension à grande échelle. A ce propos, le spécialiste remarque une consolidation dans le secteur des fournitures. «Les petits acteurs ont de moins en moins de place, au profit de sociétés internationales qui peuvent exporter un concept sans beaucoup d’adaptations nécessaires pour chaque pays. Leurs coûts fixes restent stables, mais le chiffre d’affaires, lui, augmente à chaque nouveau marché investi.»
Le «Target Costing» d’Action fait des dégâts
Cette scalabilité est également adoptée par Action, qui a ouvert la voie à un autre modèle, celui du «Target Costing», et selon lequel l’entreprise, à l’achat de produits, n’accepte pas le coût qui existe et joue sur sa puissance pour le négocier à la baisse. «Grâce à des outils d’IA, elle adapte aussi son assortiment, presque en temps réel, aux tendances d’achat du moment. L’un des concurrents d’Action en Belgique, Blokker, a fait les frais de ce renversement de paradigme, relève le professeur à la Vlerick School. Dans la mode, poursuit-il, Shein applique exactement ce procédé. Jadis, l’entreprise achetait ce qu’elle pensait pouvoir vendre. Aujourd’hui, elle sait à l’avance ce qui se vend bien», résume le spécialiste. Et, ici aussi, Leen Bakker n’a pas pris le train en marche.
Dans d’autres secteurs, les magasins similaires au modèle de Leen Bakker ont déjà disparu, souligne enfin Gino Van Ossel. «Dans l’alimentaire, les hypermarchés Carrefour, Cora, ou Makro tombent les uns après les autres… Dans la mode, Esprit n’existe plus alors que C&A réduit fortement sa présence. Dans l’électroménager, face à la concurrence féroce d’Amazon, le groupe Darty, qui détient Vandenborre, a dû se retirer de certains pays… Alors que son concurrent, Mediamarkt, quitte la majorité des centres-villes.»
Mais pour Leen Bakker, le verdict est définitif. Quarante ans après sa naissance, ce symbole des années 2000 n’a donc pas résisté à la modernisation des acteurs internationaux. Et telle une étagère trop chargée, son modèle a fini par céder sous son propre poids.