Les «dupes», imitations de produits de luxe, se vendent dans les enseignes de fast-fashion ou sur les plateformes en ligne. © Getty Images

Comment les «dupes» ont conquis la génération Z: «Aujourd’hui, c’est l’image, plus que l’objet, qui prime»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Autrefois honteuses, les imitations de produits de luxe sont aujourd’hui devenues tendance. De la parfumerie au prêt-à-porter, les «dupes» séduisent les jeunes générations, qui les brandissent comme un pied de nez au snobisme incarné par certaines marques.

Une anse iconique, une fermeture originale à cadenas et une finition en cuir digne des plus grandes maroquineries. Ce cabas commercialisé par le géant américain Walmart ressemblait à s’y méprendre à l’emblématique sac Birkin. A quelques zéros près. Alors que le produit phare du créateur Hermès s’arrache entre 5.000 et… 300.000 euros, le «Wirkin» (désormais retiré de la vente) s’affichait à moins de 80 dollars. Une bonne affaire qui est rapidement devenue virale, provoquant une rupture de stock inédite dans les rayons du supermarché américain.

A l’instar du «Wirkin», les imitations de produits de luxe gagnent en popularité sur les réseaux sociaux. Si bien qu’elles portent désormais un nom: les «dupes». Issues de l’infinitif anglais «to duplicate», ces alternatives bon marché aux vêtements de créateurs, parfums ou cosmétiques haut de gamme imitent sciemment les modèles des grandes marques, sans pour autant oser la copie-conforme digne de la contrefaçon. Commercialisés éhontément par les enseignes de fast-fashion (Zara est particulièrement friand des répliques d’eaux de toilette à bas prix) ou en ligne (via les plateformes Shein ou Temu, par exemple), les «dupes» ont conquis la génération Z. Avec près de 700.000 publications sur Instagram et 6 millions de vues cumulées sur TikTok, la «dupemania» s’est d’ailleurs imposée comme une véritable tendance auprès de ces jeunes, qui assument (voire revendiquent) leur inclination pour le «cheap».

Un symbole anti-élite?

Alors que leurs aînés, craignant de devenir la risée de la cour de récré, arboraient timidement leurs répliques de tee-shirts Superdry dénichées dans un souk tunisien, les 15-25 ans exhibent aujourd’hui fièrement leurs «dupes». «La honte a disparu et a laissé place à l’assurance», confirme Elena Poulain, experte en sociologie de la mode. Une tendance qui peut s’apparenter à une «forme de protestation, de dénonciation d’un système capitaliste» incarné par le secteur du luxe, analyse Elise Le Moing Maas, docteure en sciences de l’information et la communication et présidente de la section Relations Publiques à l’Ihecs. Dans un contexte d’inflation généralisée, dénicher les bonnes affaires n’est plus seulement une nécessité, mais est également devenu une sorte de fierté. Selon une étude de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), 50% des Européen âgés de 15 à 24 ans (contre un tiers de la population générale) estiment d’ailleurs qu’il est acceptable d’acheter des contrefaçons (ou dérivés) si le prix du produit authentique est trop élevé.

Mais les jeunes n’ont pas fait pas une croix sur la mode pour autant. Malgré un budget limité, ils restent soucieux de se conformer aux tendances. «Mais aujourd’hui, c’est l’image, plus que l’objet, qui prime, souligne Elise Le Moing Maas. C’est comme les influenceurs qui louent la cabine ou le cockpit d’un avion pour faire croire qu’ils en possèdent un. Ils sont fascinés par le storytelling plutôt que par le pouvoir de l’objet et la symbolique de la possession.» En outre, les jeunes font «totalement fi» de l’artisanat qui entoure un produit, ajoute l’ex-communicante: «Les heures passées à créer un sac unique, une montre ou des chaussures avec un dépôt de brevet les touchent moins que les anciennes générations.»

Zone grise

De quoi faire de l’ombre aux grandes marques? Alors que, chaque année, les produits de contrefaçon coûtent aux industries européennes de l’habillement, des cosmétiques et des jouets un chiffre d’affaires impressionnant de 16 milliards d’euros, les «dupes» semblent moins problématiques. Car, s’ils s’inspirent de leurs codes, ils n’ont pas vocation à se substituer aux produits de luxe. D’ailleurs, sur le plan légal, seule la contrefaçon est 100% répréhensible. En Belgique, elle est sanctionnée par le Code de droit économique, avec des sentences allant jusqu’à cinq ans de prison et 800.000 euros d’amende. Les «dupes», eux, vivotent dans une sorte de zone grise. «Il faut constater au cas par cas s’il existe bel et bien une infraction au droit de propriété intellectuelle, ce qui n’est pas toujours facile à prouver», explique Etienne Mignolet, porte-parole du SPF Economie.

Alors que la proportion de super-riches ne cesse de s’accroître à travers le monde, «les marques de luxe n’ont pas à s’inquiéter de l’essor des « dupes », tranche Elise Le Moing Maas. Elles visent une autre clientèle, qui n’est pas la cible de ces imitations.» A contrario, les «dupes» peuvent même doper l’aura et la visibilité de ces marques de luxe. «Cela s’apparente à une sorte de publicité pour leur modèle et leur savoir-faire, note Elena Poulain. Et les grandes enseignes, comme Jacquemus par exemple, savent parfaitement surfer sur cette vague pour renforcer leur statut.» Comme le disait d’ailleurs Coco Chanel, «la copie, c’est le succès. Il n’y a pas de succès sans imitation».

Dupes: un paradoxe

Cela étant, l’aubaine financière que représentent les «dupes» ne doit pas éclipser leurs potentiels risques sanitaires, alerte Elena Poulain. Les parfums ou cosmétiques à bas prix, par exemple, passent parfois entre les mailles des réglementations. Même les vêtements peuvent représenter un danger. «Dans le faux cuir ou les teintures à bas prix, comme dans les emballages plastiques qui entourent les produits, on peut parfois trouver des substances hautement toxiques, voire cancérigènes», insiste l’experte.

Plus globalement, l’essor des «dupes», commercialisés par des enseignes aux pratiques parfois douteuses, soulève des questions éthiques et environnementales. L’accessibilité des produits peut également encourager la surconsommation ou les comportements d’achats compulsifs. «Certains jeunes se disent « comme c’est pas cher, pourquoi s’en priver? », regrette Elena Poulain. Ils fonctionnent au coup de coeur, achètent plusieurs modèles sans questionner leurs véritables besoins et s’en débarrassent parfois au bout de quelques jours.» Avec un certain paradoxe. «La génération Z prône souvent une approche différente de la consommation, en exigeant des marques transparence et authenticité, souligne Elise Le Moing Maas. Or, le succès des « dupes » va complètement à l’encontre de cette posture

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