Depuis 2020, la dynamique urbaine boostée par les jeunes est retombée, voire tuée dans l'oeuf par la crise de la Covid. © GETTY IMAGES

Immobilier: le désamour des villes va-t-il durer?

Comme partout ailleurs, Covid oblige, les grandes villes belges sont délaissées au profit des campagnes. Mais gare à un éventuel retour de manivelle porté par la vaccination.

L’exode urbain n’est pas un phénomène neuf. Les agents immobiliers le connaissent bien, qui y voient des raisons sociétales, générationnelles et économiques. « C’est le schéma classique, décrit Jean Houtart, de l’agence Les Viviers, qui prend l’exemple de la première ville du pays. Célibataire ou en couple, le jeune primo-acquérant cible Bruxelles. Puis vient le premier enfant, le deuxième. L’appartement devient trop petit, le besoin d’un jardin se fait sentir. » Difficile de trouver une maison de deux ou trois chambres et son jardinet à moins de 500 000 euros dans la capitale, poursuit le courtier. A prix équivalent, la périphérie offre plus d’espace habitable, un plus grand jardin et plus de façades. Ceux qui ont moins de moyens s’en vont plus loin encore, le long des grands axes qui les relient à Bruxelles.

Attention de ne pas se laisser emporter par la parenthèse du confinement, qui tronque la réalité.

Récemment, de nouvelles préoccupations sont nées dans l’esprit des jeunes acquéreurs. « Environnementales et liées à la mobilité », pointe Renaud Grégoire, notaire à Wanze (Liège) et porte- parole de Fednot, sa fédération professionnelle. « Contrairement à leurs parents, l’idée de faire la navette entre une maison à la campagne et un boulot en ville les a rebutés. Et puis, un grand jardin et une grande maison, c’est de l’entretien. » Les prémices d’un retour à la ville ont gagné Bruxelles, mais aussi Anvers, Gand, Mons, Namur ou Liège, liste le notaire, et ce depuis quelques années déjà. « Liège, c’est le symbole du retour à la ville, avec des quartiers qui renaissent sous l’impulsion de jeunes qui s’y installent, rénovent, recréent une vie sociale. » Mais depuis 2020 et la crise sanitaire, cette dynamique urbaine retombe un peu, observe Me Grégoire. « Elle a été freinée, si pas tuée dans l’oeuf, avec la crise de la Covid. »

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Rush sur le Brabant… flamand

Les confinements printanier et automnal ont pesé sur le moral des Belges enfermés chez eux. Une envie de respirer, d’espace, de « mise au vert » les a titillés tout au long de l’année écoulée. « Aujourd’hui, on n’est pas au stade où ils décident de vendre leur bien en ville pour filer vers la campagne, tempère Renaud Grégoire. Mais ceux qui sont à l’achat ont clairement pris le pli de cibler soit la périphérie des villes, soit des quartiers plus verts en leur sein. A tel point que la villa 4 façades, boudée jusqu’en 2019 encore car désuète et énergivore, a repris des couleurs. » Un constat que le notaire porte pour l’ensemble de l’année 2020, « mais qui s’est ressenti davantage à partir du mois de juin, quand les effets de la crise sanitaire ont commencé à affecter le marché immobilier ».

En Brabant wallon, c'est à Genappe que la hausse des prix médians a été la plus forte, atteignant près de 25% sur un an.
En Brabant wallon, c’est à Genappe que la hausse des prix médians a été la plus forte, atteignant près de 25% sur un an.© BELGA IMAGE

Raphaël Mathieu, CEO du jeune réseau d’agences We Invest, atteste d’un rush sans précédent vers la périphérie flamande. « C’est la sortie de Bruxelles, la proximité immédiate avec la capitale qui ont motivé nombre de familles à y rechercher des biens à vendre, indique-t-il. Les prix y ont grimpé en flèche entre 2019 et 2020, c’est ahurissant. » Au 3e trimestre 2020, d’après l’office national de statistique Statbel, une maison coûtait en moyenne 549 250 euros à Overijse, 525 000 à Rhode-Saint-Genèse et 449 000 à Tervuren, toutes trois bien placées dans le top 10 des communes flamandes les plus chères.

Après ce premier cercle ultracouru autour de Bruxelles, c’est l’indétrônable Brabant wallon qui a récolté les faveurs de ces citadins en mal de campagne. « A commencer, une fois n’est pas coutume, par ses communes traditionnellement plus abordables, aux extrêmes de la Jeune province », remarque Renaud Grégoire. D’après l’analyse de ses confrères brabançons, publiée fin février, c’est en effet à Genappe que la hausse des prix médians a été la plus forte, atteignant près de 25% sur un an, à 322 000 euros pour une maison. Idem pour Jodoigne, où le boost frôle les + 20% à 287 500 euros, et Hélécine, + 17,9% à 230 000 euros. « Ces entités moins prisées le sont devenues en un an de temps, et la demande ira grandissant en 2021 également », pronostique le notaire.

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Bruxelles, mais pas que

En dehors de Bruxelles, l’exode urbain accentué par la crise sanitaire se marque aussi à Anvers. Surtout pour les acquéreurs qui en ont les moyens. « De manière générale, le triangle Gand-Bruxelles-Anvers est très populaire. Mais c’est surprenant de voir combien la périphérie d’Anvers, qui n’était pas particulièrement demandée avant le premier confinement, est devenue the place to be, témoigne David Chicard, de Sotheby’s Realty. A Brasschaat, entre autres, les jeunes s’arrachent la maison de papa et maman dont ils ne voulaient pas entendre parler avant. » Leurs parents, eux, rebroussent chemin, ajoute le directeur du département immobilier de la maison de ventes en Belgique, et ciblent la métropole, son port, ses nouveaux quartiers. « C’est leur chance de vivre une seconde jeunesse », abonde Raphaël Mathieu, qui observe le même chassé-croisé générationnel sur les marchés qui l’occupent.

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Un jardin et un bureau

« Presque à tous les coups, et je suis catégorique, c’est le jardin qui est l’élément déclencheur de l’exode urbain« , affirme le patron de We Invest. Mais un autre élément se greffe à ces attentes: la possibilité d’aménager un coin bureau pour télétravailler. « C’est surtout le second confinement, tirant en longueur, qui a eu cet effet sur les critères de recherche des acquéreurs. On a vu des mezzanines transformées en deux bureaux et non plus en une chambre et un salon télé. Des troisièmes chambres reconverties, des bibliothèques convertibles. »

Le télétravail a également suscité chez certains l’envie de pousser leurs velléités acquisitives toujours un peu plus loin le long des grands axes (E411, E40…), dans des zones reculées qu’ils n’auraient pas considérées avant. « Si on travaille deux jours par semaine chez soi, cela rend les trajets plus supportables les trois autres jours de la semaine », acquiesce Jean Houtart. Mais attention de ne pas se laisser emporter par la parenthèse du confinement, qui tronque la réalité, prévient David Chicard. « Quand tout le monde sera vacciné et que la vie va recommencer, les trajets vont se rappeler aux gens. Cela va faire mal à certaines personnes qui se sont aventurées un peu trop loin du bureau », glisse-t-il, évoquant le cas de ces clients qui ont jeté leur dévolu sur une propriété à une bonne heure de Bruxelles (sans embouteillages), emportés par la conjoncture actuelle et une vie sans navette.

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