Comment le pouvoir d’achat des Belges a évolué ces 40 dernières années
De 1983, date de naissance du Vif, à aujourd’hui, le niveau de vie s’est globalement amélioré en Belgique. Il n’en reste pas moins que la dynamique de progression s’est enrayée au cours des quinze dernières années.
LE CONTEXTE
1983-2023 : cette année, Le Vif (qui ne s’appellera désormais plus L’Express) fête ses 40 ans. Plutôt que de parler de lui, le magazine a décidé de faire ce qu’il a toujours fait de mieux : décoder la société belge. Comment a-t-elle évolué, ces quatre dernières décennies ? Réponses dans notre numéro spécial.
Les années 1970 étaient passées par là avec la crise pétrolière, des pertes d’emplois dans le secteur privé, des pans de l’économie en plein bouleversement et un déficit public en accroissement. Au début des années 1980, les Belges avaient déjà compris que les golden sixties étaient loin et commençaient même à apprivoiser l’idée que la suite serait moins simple pour eux. Quarante ans plus tard, qu’en est-il? Comment le niveau de vie, la situation socioéconomique ou encore la consommation des Belges ont-ils évolué? Les quatre décennies du Vif sont l’occasion de se poser la question et d’analyser, par exemple, si les doutes qui étrennaient cette longue période étaient ou non justifiés.
Pour appréhender ces vastes interrogations, quelques indicateurs valent le détour. Notamment le revenu disponible moyen par personne ainsi que son pouvoir d’achat. En quarante ans, le premier a évolué de 247,4% et le second de 34,7%, selon les données récoltées par l’Institut pour un développement durable. Si le revenu disponible moyen par personne ne tient pas compte de l’évolution des prix à la consommation, le pouvoir d’achat par personne le fait bel et bien, ce qui permet de se forger une idée plus précise de la progression du niveau de vie des Belges.
Une augmentation de 34,7% du pouvoir d’achat ces quarante dernières années, est-ce beaucoup ou non? Chacun jugera. «Ce qui est sûr, c’est que le pouvoir d’achat a nettement moins augmenté au cours de cette période que lors des précédentes, affirme Philippe Defeyt, économiste et directeur de l’Institut pour un développement durable. Mais c’était inévitable tant les décennies antérieures ont été particulières avec, notamment, les fameuses golden sixties. Ceci étant dit, 34,7%, ce n’est pas si mal.»
2008, point culminant
«Dans un contexte de croissance peu porteuse, pour que le pouvoir d’achat augmente davantage, il aurait fallu que les prélèvements diminuent de façon significative, affirme l’économiste Christian Valenduc (UCLouvain). Or, ce ne fut pas le cas de façon nette même si quelques réformes fiscales – dont le tax shift – ont pu modifier les choses. Ou il aurait fallu que les transferts sociaux augmentent sensiblement, au prix d’un certain endettement public. Ce ne fut pas le cas non plus.»
Entre 1983 et 2023, le pouvoir d’achat des Belges n’a pas progressé de façon régulière. La courbe de son évolution est ainsi marquée par une série de dégradations qui reflètent les éléments du contexte macro- économique mais aussi des choix de politique économique des quarante dernières années (sauts d’index début des années 1980, plan global du gouvernement Dehaene dans les années 1990, éclatement de la bulle Internet et crise bancaire et financière dans la décennie 2000).
Ainsi, le pouvoir d’achat en son niveau de 2023 rattrape mais ne dépasse pas encore celui de 2008, année où il a culminé avant de connaître, au cours des quinze années suivantes, des diminutions d’abord, de lents rattrapages ensuite. «Quinze ans sans progression, note Philippe Defeyt. C’est tout de même une sérieuse nuance à apporter à l’augmentation générale sur les quarante dernières années.»
En Belgique, en matière de pauvreté, des choix politiques ont permis de préserver la situation.
Dès lors, comment ont évolué les habitudes de consommation des Belges durant cette longue période? A partir des données disponibles – beaucoup ne le sont pas sur quarante ans – il est possible d’esquisser quelques traits.
Par exemple, les ménages belges sont devenus plus accrocs à la voiture. Entre 1983 et 2022, le parc automobile belge a «bondi» de 2,684 millions de véhicules pour un total, désormais, de 5,947 millions. Ce qui n’est pas négligeable pour 11,635 millions d’habitants fin 2022.
«La croissance démographique joue un rôle dans cette augmentation, affirme le sociologue des mobilités Pierre Lannoy (ULB). Mais celle-ci s’explique également par la progression de l’étalement urbain ou par ce qu’on appelle parfois «l’individuation de la vie sociale». Soit cette idée que les personnes d’un même ménage ont des programmes d’activités différents et incompatibles. Tout cela a participé à faire de la voiture un bien incontournable. Le développement du crédit et du leasing ainsi que l’extension du marché de l’occasion l’ont par ailleurs rendue plus accessible.»
Un avenir plus morose
Globalement, les Belges partent également un peu plus en vacances aujourd’hui qu’il y a quarante ans. La progression, reste toutefois assez mesurée, selon Jean-Michel Decroly, professeur de tourisme (ULB-Igeat), qui pointe à ce sujet l’enquête du bureau économique de la province de Flandre-Occidentale, initiée dès les années 1970. «L’émission touristique, soit la part des personnes qui effectuent au moins un séjour de quatre nuitées ou plus par an, passe, en quarante ans, de 50% à 60%. Autrement dit, chaque année, quelque 40% des Belges ne partent pas. Essentiellement pour des raisons financières.»
Et la pauvreté dans tout cela, comment a-t-elle évolué? La réponse est compliquée, selon les économistes. La faute à des variations dans la «définition» du phénomène et, par conséquent, à l’absence de séries statistiques «ininterrompues». Les spécialistes conviennent toutefois qu’elle est restée, grosso modo, à des niveaux similaires. «Quoi qu’il en soit, ce qu’on voit en Belgique est incomparable à ce qu’on observe dans les pays anglo-saxons, indique Christian Valenduc. Des choix politiques ont permis de préserver la situation.»
Au-delà de la pauvreté, Philippe Defeyt laisse poindre d’autres inquiétudes. «Je remarque qu’on n’a pas encore accepté de payer le prix pour la transition démographique et écologique en cours, affirme-t-il. Les coûts liés au vieillissement de la population, par exemple, doivent encore être financés. Or, on risque d’assister à une progression du pouvoir d’achat plus faible dans les années à venir que celle des quatre dernières décennies.»
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