Les œuvres de Delphine Somers ouvrent en fanfare ce nouvel espace d’art bruxellois. © urochrome

Urochrome, le nouveau lieu de rendez-vous de la scène underground

Le Vif

Nouveau point de chute de la scène underground bruxelloise, Urochrome redore le blason du centre-ville. Initié par les frères Elzo et Silio Durt, cet espace associant galerie et atelier est l’assurance, pour la capitale, d’une programmation alternative en ébullition.

A peine a-t-on fait quelques mètres dans la rue Grétry, une petite artère perpendiculaire au piétonnier du boulevard Anspach, que c’est le choc. Au loin, on le jurerait, un importun soulage sa vessie sur la pimpante façade de la galerie Urochrome. Stupeur devant cette vision cauchemardesque qui ne manquerait pas de donner du grain à moudre aux opposants à la nouvelle configuration urbaine voulue par la Ville. Heureusement, quelques mètres plus loin, on se rassure en réalisant le trompeur effet de perspective lié à la situation pour le moins particulière de cet espace de création. Urochrome jouxte un «uritrottoir», du nom de ces dispositifs amovibles permettant de maintenir propres des lieux régulièrement arrosés. Plus de peur que de mal, donc. Il reste que l’on connaît peu de galeries bruxelloises qui se seraient accommodées de cet odorant voisinage.

On ne veut pas tomber dans la caricature du lieu underground. Nous ne serons pas bloqués sur la scène graphique punk et trash.

Le duo formé par les frères Elzo (1980) et Silio Durt (1985), fers de lance de la scène underground bruxelloise, n’a jamais été effrayé par les fluides corporels, quelle que soit leur densité – une évidence que le logo de leur carte de visite, une ventouse dégoulinant de vomi, confirme sans ambiguïté. Nourris au skateboard et à la scène musicale alternative, dans la foulée d’un paternel architecte totalement décalé, les deux frangins sont des figures hautes en couleur de la contre-culture bruxelloise. Des deux, c’est Elzo qui s’est taillé la plus grande notoriété. Graphiste, illustrateur, l’homme s’est distingué «sans même savoir dessiner», en bon héritier du punk. Ses compositions marquées par des détournements visuels opérés à partir de sources variées – vieilles bandes dessinées, gravures, cartes postales, documents anciens, magazines oubliés… – ont fait le tour du monde, ne serait-ce qu’au travers de pochettes d’albums réalisées pour le label parisien Born Bad Records. Moins connu mais pas moins intéressant, Silio Durt a forgé une imagerie tout aussi percutante, en partie dénichée dans les jeux vidéo et les films d’horreur, recrachée tant au fusain qu’à l’acrylique ou au pastel. Le tout pour une lave visuelle qui n’est pas sans payer un tribut à la subversion et l’expérimentation du mouvement Cobra. Derrière cette référence, il faut imaginer une mise en contact, pendant les années de formation du cadet, avec le travail du peintre, photographe et sculpteur Serge Vandercam.

Maîtres des lieux

Ce retour sur le devant de la scène peut, d’une certaine façon, être interprété comme la réponse au vide laissé par la fermeture de Plin Tub’, la galerie ouverte par Elzo Durt, en 2004, dans les murs de Recyclart, à l’époque où cette structure socioculturelle était encore adossée à la gare de Bruxelles-Chapelle. «Quand nous avons eu l’opportunité d’installer nos ateliers rue Grétry, on a directement pensé à montrer le travail des gens qui gravitent autour de nous depuis toutes ces années, commente Silio Durt. Le gros avantage, c’est que nous ne dépendons de personne, nous sommes maîtres des lieux, on montrera donc qui on veut et comme on le veut.»

Etonnamment, il n’est pas question de céder à la surenchère. «Si l’axe fort de l’endroit est la figuration, on ne veut pas tomber dans la caricature du lieu underground, confirme Elzo Durt. Nous ne serons pas bloqués sur la scène graphique punk et trash.» On pense à l’esprit du «lowbrow», mouvement apparu dans la sous-culture californienne des années 1970, dont le nom signifie littéralement «front bas» (en réaction au «front haut» renvoyant à l’attitude hautaine des galeristes en vue), caractérisé par une esthétique recyclant comics, publicité, tatouage, street art, voire porn culture.

Chez Urochrome, le logo est raccord au souhait des propriétaires, les frères Durt: «Montrer qui on veut et comme on le veut.»
Chez Urochrome, le logo est raccord au souhait des propriétaires, les frères Durt: «Montrer qui on veut et comme on le veut.» © National

Dans leurs valises, Silio et Elzo Durt ont emmené deux compères, l’artiste textile Deborah Lothe et Nicolas Grolleau de la Petite Fanzinothèque belge. A l’étage, l’open space faisant office d’atelier, le bien nommé «Uro City Center», découvre tout ce petit monde travaillant studieusement côte à côte. C’est là qu’il est également question de rapatrier une presse de sérigraphie destinée à la «promopagande» d’images déjouant les structures habituelles du pouvoir. Au rez-de-chaussée, un grand cube noir, la «Golden showroom», fait place à la programmation artistique du moment.

Avant de fermer ses portes pendant les deux mois d’été et de revenir en force à la rentrée avec le travail de l’excellent Sylvain Bureau, Urochrome donne à voir Antropomorfosen (1), un accrochage reprenant les œuvres de deux artistes brugeois. L’autodidacte Delphine Somers (1985) signe des peintures sur bois nourries à l’iconographie du célèbre Livre des miracles, manuscrit datant de la moitié du XVIe siècle qu’elle détourne sous forme d’anticipations politiques burlesques. Les compositions renvoient aussi vers la mythologie et les figures archétypales. L’ ensemble dessine une imagerie ésotérique envoûtante. Les sculptures de Bart Lescrève (1986), quant à elles, jouent parfois la carte de la fonctionnalité – des lampes à huile en forme de vulve – ou de l’ornement en interrogeant les questions de genre, l’érotisme et la charge implicite du socle.

(1) Antropomorfosen, chez Urochrome, à Bruxelles, jusqu’au 26 juin.

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