2. Procedere in verticale, Giuseppe Penone (1985). © ADAM RZEPKA

Une exposition anniversaire pour le Macs

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Pour marquer deux décennies d’existence, le Macs a invité Laurent Busine, son fondateur et ancien directeur, à imaginer les contours d’une exposition anniversaire. En découle une proposition déroutante, entre poésie et solipsisme, qui tourne le dos à l’époque.

Le monde serre les fesses en proie à un déluge de maux, qu’ils soient sanitaires, climatiques, énergétiques, économiques ou guerriers. Sans parler du statut du réel lui-même, sur lequel plus personne ne semble s’accorder. Conséquence logique: la planète et la réalité tremblent sur leurs bases. Qu’à cela ne tienne, Laurent Busine a choisi de dérouler «l’exposition la plus légère de toute [sa] carrière» à la façon d’un contre-feu au pessimisme ambiant. Insistant sur la «charge de beauté» dont le site du Grand-Hornu peut se targuer, le fondateur du Macs – le Musée des arts contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles – loue les origines laborieuses du terrain de jeu avec lequel il renoue pour l’occasion.

1. Study H.M, Daan van Golden (2004). © philippe de gobert
2. Procedere in verticale, Giuseppe Penone (1985).
2. Procedere in verticale, Giuseppe Penone (1985). © ADAM RZEPKA

A ses yeux, cet ancien charbonnage s’est désormais transformé en une sorte de «folie», du nom de ces «lieux de divertissement et d’agrément installés dans un jardin» pour le plus grand plaisir des aristocrates et des bourgeois des siècles précédents. D’emblée, il annonce la couleur de son programme déroutant qui convoque des signatures plastiques de premier ordre, de Louise Bourgeois à Sigmar Polke: «Nous ne voyons pas les images du monde de la même façon et chacun construit son univers de manière singulière en y incluant, comme dans les contes, des réalités bien différentes: le souvenir incertain y côtoie la fugace espérance.» Pas question non plus de se raccrocher au langage pour entrevoir un horizon commun. «Si la langue parlée nous semble être la plus claire façon de communiquer, ce n’est pas sans connaître les pièges qu’elle contient: confusions, jeux de mots, double sens…», ajoute l’intéressé qui accentue la sensation de vertige sous nos pieds.

3. Sans titre, Bernd Lohaus (2004).
3. Sans titre, Bernd Lohaus (2004). © FONDATION BERND LOHAUS

Difficile usage

Au-dessus de la mêlée, celui qui est également directeur honoraire du musée confesse être libéré du besoin de convaincre à tout prix. En résulte une exposition, Les Fabriques du cœur et leur usage (1), qui perturbe le visiteur. D’un côté, il ne peut qu’applaudir le parti pris poétique courageux consistant à tourner le dos aux problématiques actuelles. Cela faisait bien longtemps qu’on n’avait plus vu un projet développé à l’échelle d’une institution tout entière faire fi des questions de colonialisme, genre ou domination. En ce sens, Les Fabriques du cœur rafraîchit le regard. De l’autre, le curieux se perd à travers les rouages cérébraux de Busine, hanté par la crainte de la tyrannie intellectuelle, qui l’enjoignent à se faire lui-même artiste en interprétant la silencieuse scénographie. Se servant du conte, «cette façon de placer le merveilleux au même stade que le normal», comme fil rouge, le commissaire aligne un assemblage de métarécits imagés qui monumentalisent sans que l’on comprenne toujours pourquoi des éléments sans qualité particulière – une affiche en toile de lin signée Jal pour la Société nationale des chemins de fer français, une publicité sur carton pour la firme Gevacolor, des photographies d’amateur, une radiographie de main baguée…

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4. Lagutrop - Livre ouvert, extrait de la vidéo, Natalia De Mello (2012).
4. Lagutrop – Livre ouvert, extrait de la vidéo, Natalia De Mello (2012). © dr

Ce patchwork est aussi temporel, l’œil se promène des bronzes de Constantin Meunier aux gravures XVIIIe d’un Jacques Fabien Gautier d’Agoty, en passant par l’œuvre d’une plasticienne comme Laure Prouvost. L’impression que dégage la visite est celle du repli solipsiste, à comprendre comme cette attitude du sujet à considérer que sa conscience propre est l’unique réalité qui vaille. Une attitude qui renvoie vers Stéphane Mallarmé forgeant le mot «ptyx» de toutes pièces sans jamais en préciser la signification. Au lecteur de se débrouiller – rapporté à l’exposition, c’est le sens du «et leur usage» du titre – et tant pis si on ne lui a pas appris à se faire confiance.

5. Portraits des amoureux du jardin Sainte-Claire, extrait de la vidéo, Nicolas Gruppo (2000).
5. Portraits des amoureux du jardin Sainte-Claire, extrait de la vidéo, Nicolas Gruppo (2000). © dr

Sans boussole

Le parcours s’agence selon une série de chapitres aux intitulés poétiques sous-titrés comme des romans: Au commencement, Rassembler ce qui est épars, Or tous deux étaient nus… Ces dénominations valent pour seuls explicatifs. Chaque section propose une constellation d’œuvres traitant de thématiques simples, de la solitude à la naissance du monde, en faisant un détour par le paysage et la maison. La partie Le septième jour – Où l’on voit que l’existence est sœur de la solitude s’avère emblématique du propos. Une bouleversante installation vidéo de David Claerbout (lire encadré) y côtoie un tableau d’Henri de Braekeleer, L’Atelier, et des photographies de Juliette Delaporte.

Sans boussole, le regardeur découvre l’agencement comme une énigme, d’où percent néanmoins quelques fulgurances, bien incapable d’en deviner les arcanes. Plusieurs autre salles confirment cette impuissance de l’esprit, tant et si bien qu’on choisit de se libérer de toute volonté d’interprétation: c’est seul qu’on regardera les œuvres en elles-mêmes et pour elles-mêmes. Une autre perspective s’ouvre alors, scandée de nombreux temps forts. Que ce soit le One Man’s Mess is Another Man’s Masterpiece, une projection de diapositives de Pierre Bismuth, renvoyant vers Marcel Duchamp, qui plaide pour la transformation d’une surface de verre endommagée en œuvre d’art, les tremblantes natures mortes de Giorgio Morandi ou encore l’époustouflant Saint-Georges de Luc Tuymans, toile spectrale au chromatisme exsangue qui pose indirectement la question de la passivité du spectateur face à la violence du monde. «In this dark time / Could you take my hand», chante l’artiste post-pop Aime Simone sur l’album Say Yes, Say No. Laurent Busine, lui, a sans doute l’oreille rivée sur Musiq3.

(1) Les Fabriques du cœur et leur usage, au Macs, à Hornu, jusqu’au 19 mars.

The Close

S’il est une œuvre qu’il ne faut pas rater au fil de Les Fabriques du cœur et leur usage, c’est bien The Close (2021) de David Claerbout, une projection vidéo, noir et blanc, soulignée par une installation sonore de six canaux répartis dans l’espace. Ce qu’on découvre sur le grand écran est stupéfiant à bien des égards, soit un mélange complexe entre ce qui apparaît au premier regard comme des images d’archives et la manipulation numérique de ce matériel. Il est question de la vie dans une ruelle, un cul-de-sac si l’on s’en réfère au titre, d’un quartier pauvre du début du siècle précédent. Des enfants jouent, des adultes vaquent à leur tâche, tous sont conscients de la caméra. Soudain, au son du Da Pacem Domine d’ Arvo Pärt, la caméra s’approche d’un petit protagoniste en le cernant au plus près de son être au monde. «D’ objet, l’enfant devient sujet», commente Laurent Busine. On pourrait presque ajouter que le gamin bidimensionnel accède à une présence dans l’espace, son statut passant de l’image à la sculpture, de l’ancien au contemporain. Cette métamorphose téléguidée par l’artiste belge s’apparente à une fascinante et suspecte reconstruction du temps perdu.

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