Maarten Van de Velde « Mes plus belles images viennent de ma fragilité »
Photographe sportif aquatique renommé, Maarten Van de Velde s’est spécialisé dans les images de surf. Un sport qu’il pratique lui aussi.
«J’ai probablement fait beaucoup de méditation sans le savoir. Gamin, quand je passais des heures à bâtir un château de sable en regardant l’eau. Ado, quand j’embarquais mon walkman pour m’asseoir sur la plage et sentir le vent. J’entrais alors dans une forme de bonheur sans véritable explication…» Maarten Van de Velde n’a jamais réellement dit adieu à son enfance. Ce gaillard souriant à l’allure typique d’homme de la mer – yeux d’un bleu profond, barbe et cheveux longs – recherche toujours cette même sensation de bien-être inexpliqué lorsqu’il regarde les flots, qu’il se pose sur la grève ou qu’il grimpe sur sa planche de surf.
Début octobre, il a d’ailleurs rejoint un ami installé à côté d’un spot réputé à Croyde, dans le sud-ouest de l’ Angleterre. «Une semaine de vacances», sourit le Coquois, qui a évidemment emporté avec lui son appareil photo. Même en congé, le photographe aime capter ces instants d’union entre l’humain et la vague. «J’ai pourtant encore du mal à me considérer comme professionnel. Je ne suis pas un fan de cadrage ou de retouche, je garde ma liberté et mon style, qui consiste à me fondre dans l’environnement pour être témoin de ce qui se passe.»
C’est précisément ce qu’il fait, ce jour de janvier 2021, alors que le championnat du monde de cyclocross se tient sur la plage d’Ostende. La veille, tandis qu’il en découvre le tracé à la télévision, Maarten remarque que tous les photographes sont agglutinés au même endroit sur le sable. «La vue depuis la mer devait pourtant être dingue.» En pleine pandémie, le public est interdit et les accès média rares ; il part en éclaireur le soir même. «Normalement, je suis très respectueux des règles. Là, la passion a pris le dessus et je n’ai ressenti aucune peur.»
Une heure avant le départ de l’épreuve du dimanche, le photographe s’immerge dans l’eau un kilomètre en amont du parcours et nage pour arriver à se placer juste au bon moment. «Je n’avais pas pris de gros objectif et je ne voulais pas m’approcher trop près des coureurs, mais j’ai pu tirer quelques beaux clichés, notamment avec le Thermae Palace en fond.» Après 45 minutes, la police prie l’homme-grenouille de sortir de l’eau. Il est alors loin d’imaginer que son histoire et ses images feront le tour des médias du monde, des Pays-Bas à la Tchéquie en passant par l’Espagne et la Colombie.
Le sac à dos invisible
D’ordinaire, Van de Velde consacre surtout ses immersions aquatiques à la réalisation de photos de surfeurs. «Je n’aime pas rester sur le sable, où l’on est en sécurité, mais passif et à distance. Dans l’eau, on est actif puisqu’on est sur la planche. On doit plonger sous la vague, se relever, avoir quelques secondes pour enlever le cache de l’appareil, visualiser la situation, voir le surfeur arriver puis prendre le cliché avant de plonger à nouveau. Il faut se battre avec le courant et les flots et pouvoir se concentrer sur énormément de choses à la fois.»
Depuis 2017 et ses premières photos sur l’eau en tant qu’amateur, le trentenaire essaie de limiter les éléments perturbateurs. Plus il est relax, mieux sa créativité peut s’ exprimer. «Les plus belles choses que je puisse créer viennent d’une partie de moi très vulnérable, très fragile, qui doit être respectée au sein d’un environnement sécurisé. S’il y a trop de pression ou d’attente, ça bloque.» Maarten vénère ce respect strict de ses propres limites, celles fixées par ce sac à dos invisible et rempli de pierres pesantes qu’il dit porter constamment et qui le handicape. «J’ai été élevé avec la même ambition pour la vie que n’importe qui, mais j’ai en moi ce désavantage que je dois sans cesse prendre en compte.»
«Je ne me suis jamais senti en sécurité. J’avais des peurs incroyables. Peur d’être séparé de mes parents, peur de ne pas être digne d’être aimé, aussi.»
Maarten a traversé deux lourdes périodes de dépression. A 17 ans, quand un psychiatre lui annonce qu’il est tellement fatigué physiquement et mentalement qu’une grippe risquerait de le tuer. Puis treize ans plus tard, au moment où il enchaîne les crises de panique alors qu’il pense avoir retrouvé un équilibre. Le surfeur attribue l’origine de sa neurasthénie à son enfance. «Je ne me suis jamais senti en sécurité. J’avais des peurs incroyables. Peur d’être séparé de mes parents, peur de ne pas être digne d’être aimé, aussi.»
Inévitablement, dès qu’on se fâche à côté de lui, il se dit qu’il en est certainement responsable. «Beaucoup d’impressions négatives sur moi-même se sont installées très tôt dans mon esprit, au point de penser que j’étais une personne terriblement mauvaise. Rationnellement, je savais que c’était faux, mais c’était si profondément ancré que je n’avais pas accès à cette capacité de raisonner.» Longtemps, cette crainte de ne pas être aimé amènera le natif de Bruges à satisfaire les désirs de chacun, qu’importe s’ils lui conviennent ou non. Peu à peu, il campe dès lors un personnage qu’il n’est pas. Pour se sentir en sécurité. «Je ne voulais pas risquer de perdre le peu d’amour que les autres pouvaient avoir pour moi, j’évitais donc de rentrer en conflit. Je n’ai jamais appris à défendre mes opinions ou à dire à quelqu’un qu’il dépassait mes limites. Certains en ont profité.»
Si ce mécanisme de survie fonctionne durant la jeunesse, il s’enraie à l’âge adulte, notamment lorsque le doctorant en criminologie se voit contraint de s’occuper des tâches administratives d’autres professeurs. «J’ai longtemps continué à me comporter comme le gamin que j’étais sans me rendre compte que j’étais devenu un adulte.» A 17 ans comme à 30, c’est un sentiment d’extrême solitude, une impression d’être totalement incompris qui le font plonger. Chaque fois, il est hospitalisé plusieurs mois. Parfois incapable de soulever un poids d’un kilo. Souvent cloîtré dans son lit, à tenter d’échapper à d’intenses pensées suicidaires.
Quand il en a la force, il se réfugie face à la mer, qui lui tient compagnie, le réconforte, le détend, lui permet d’oublier ce qui ne va pas et lui apporte cette joie dont il a besoin. «Si on me voyait dans la rue, c’est que je me sentais bien, mais je pouvais disparaître pendant des semaines chez moi quand je ne voulais pas que les gens me jugent: pour beaucoup, si on peut se promener ou faire du surf, on peut aussi travailler.»
Le salut arrive sans prévenir en 2019, au retour d’un voyage chez son frère, en Norvège. «Tout à coup, sur la route, quelque chose a changé. Je me suis à nouveau senti envahi d’un beau sentiment de liberté.» Un timing inespéré puisqu’il permet à Maarten Van de Velde d’échapper à un traitement psychiatrique lourd et au quotidien névrosé qui le poursuit depuis des années. «Depuis, on peut dire que je suis stable, même si je connais encore des hauts et des bas. C’est toujours difficile, parce que personne ne voit sur mon visage que je me débats avec des problèmes mentaux.»
Carpe diem
Au printemps 2020, le calme de la pandémie apaise Maarten et lui fait redécouvrir la mer du Nord, qu’il a pourtant délaissée depuis longtemps pour photographier et surfer sur les eaux turquoise où fraient les dauphins d’Afrique du Sud. «J’étais d’abord sceptique: l’eau grise et froide de la côte belge ne m’attirait pas. Puis, progressivement, je m’y suis fait et y ai pris beaucoup de plaisir. C’est en laissant venir les éléments tels qu’ils sont que l’on peut réellement vivre.» Depuis, le photographe travaille principalement pour des médias spécialisés dans les sports nautiques, des clubs de surf ou directement pour ceux qui pratiquent cette discipline. Pour capter l’action, bien sûr, mais aussi l’environnement au sens plus large: un orage à l’horizon, la dureté ou la froideur des vagues, les sportifs qui attendent le moment M en discutant. «J’aime mon job, je n’ai pas l’impression de travailler. La photo est venue à moi comme les plus belles choses dans ma vie: sans que j’aie eu à les forcer. Il faut de la spontanéité, du plaisir, du jeu. C’est de là que tout part.»
Apprécier le présent est d’ailleurs devenu le credo de l’artiste, pour maintenir son équilibre mental. La méditation l’aide, la mer encore davantage. «Dans l’eau, j’oublie ce qui se passe autour de moi. Je pourrais me focaliser sur la plus infime vague au point de passer pour un malade auprès des passants, je m’en fiche. Dans d’autres circonstances, j’aurais toujours en tête ce que les autres pensent de moi, mais là, je peux simplement oublier et redevenir cet enfant innocent qui n’est pas influencé par les éléments qui l’entourent.»
Justement, cet enfant qu’il a pu blâmer et accuser d’être responsable des émotions négatives qui l’envahissaient, Maarten est en train de se réconcilier avec lui. Cela passe, entre autres, par des séances avec différents thérapeutes et par la confrontation à des souvenirs et sensations dont il ne voulait plus entendre parler. «C’est une sorte de thérapie par le traumatisme. C’est difficile, mais c’est important: j’espère enfin pouvoir dire à ce gamin que ce n’était pas sa faute, qu’il ne faisait rien de mal, qu’il n’était pas cette personne terriblement mauvaise.» Et qu’il peut retourner jouer dans le sable ou surfer sur les vagues.
Sa plus grosse claque
«A 17 ans, on m’a demandé si je ne préférais pas justifier mes absences à l’école en prétextant une mononucléose. Cela m’a donné l’horrible impression que je devais cacher que mes problèmes étaient mentaux.»
Son mantra
«Le bonheur n’est pas au bout du chemin. Le bonheur est le chemin.»
Dates clés
2002 «Je deviens champion de Belgique de surf… même si je dois avouer que le niveau était particulièrement faible à l’époque.»
2008 «Je suis diplômé en criminologie et mon mémoire est élu meilleur travail de ma promotion. J’entame ensuite un doctorat que je ne terminerai pas.»
Avril 2017 «Je n’ai ni maison ni voiture, mais j’investis dans la meilleure caméra que je peux m’offrir pour l’utiliser dans l’eau.»
Juillet 2017 «Je viens en aide au champion de surf Kelly Slater, l’idole de mon enfance, alors qu’il vient de se casser le pied en mer.»
2022 «Je suis le photographe officiel du Championnat belge de surf.»
Son plus gros risque
«M’ouvrir publiquement sur ma bataille contre la dépression lors de l’émission télé humoristique Taboe, sur la VRT, en 2018.»
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