Iggy Pop et Catherine Graindorge : rencontre avec le duo inattendu pour leur album The Dictator
La violoniste et compositrice bruxelloise Catherine Graindorge sort un EP de quatre titres en collaboration avec avec… Iggy Pop. Le sauvage rockeur y habille de sa puissante voix de baryton l’electronica tactile de la «hitchcockienne» belge. Rencontre.
Iggy Pop a découvert Catherine Graindorge en novembre 2021. «Je devais choisir une musique pour l’émission de radio que je programme sur BBC6, raconte l’Iguane. Je cherchais dans des milieux créatifs où l’on ne m’attend pas forcément et là, je tombe sur deux titres de Catherine qui m’intriguent et me séduisent, sorte d’expérimentation à la Pauline Oliveros (NDLR: compositrice de musique électronique et accordéoniste américaine). Quelques jours après l’émission, elle m’envoie un e-mail par l’intermédiaire du producteur de la BBC pour me faire part de son enthousiasme.»
La collaboration entre l’Américain et la Belge a débuté dès les premiers mois de 2022. «Après quelques échanges en ligne et deux ou trois coups de téléphone, s’étonne encore la violoniste. Tout s’est enchaîné très facilement. Iggy a enregistré trois textes de son côté pour l’EP, dont un écrit par moi, et m’a fait totalement confiance pour le reste. Il n’a jamais été question de business entre nous.»
De «puissants amis»
Sur The Dictator, morceau phare de l’EP, le violon et les sources électroniques de Catherine Graindorge servent un texte d’Iggy Pop plus en registre spoken word que chanté. Créant un lien entre sa jeunesse dans l’Amérique post-Eisenhower et les derniers troubles trumpistes. Une prise en main du monde par les dictateurs, bien que le texte fut écrit deux mois avant l’agression russe de l’Ukraine. «La pièce musicale de Catherine pour The Dictator avait du swag, du style, un parfum de Mitteleuropa ou de Carl Orff, décrit Iggy. Cela m’a paru opportun de parler de nos « puissants amis » actuels (il rit). J’ai grandi dans l’après-guerre, période de prospérité et de renouveau. Mais comme on peut le lire dans les écrits d’ Allen Ginsberg ou de William Burroughs, le pouvoir pris par Lyndon B. Johnson ou Richard Nixon, après l’assassinat de Kennedy, a suscité un sentiment de « coup d’Etat ». De guerre froide volontaire. Aujourd’hui, Trump, d’un cynisme absolu, me fait penser à ce qui s’est passé en Allemagne à la fin des années 1920 et au début des années 1930.» D’où la force du morceau parfaitement complété par les autres titres, les deux Mud et le Iggy, un instrumental dédié par la Belge à l’ Américain.
Iggy a enregistré trois textes de son côté pour l’EP, dont un écrit par moi, et m’a fait totalement confiance pour le reste.
Romantisme européen
Le titre principal de cette collaboration est accompagné d’un clip, tourné à Anvers. «Quand la Porsche blanche s’est arrêtée devant le studio, ce sont d’abord Henry, le manager, et Spencer, l’assistant personnel d’Iggy qui en sont sortis, se souvient Catherine Graindorge. Quand il est descendu de voiture, il était souriant, détendu. Moi, par contre, j’étais quand même un peu nerveuse. Je savais qu’il n’était libre que deux heures et demie pour mettre en boîte la vidéo. Et même si on était en contact par e-mail et par téléphone depuis plusieurs mois, Iggy est quand même une… star! C’était notre première rencontre physique. D’emblée, il a désamorcé toute tension éventuelle. en me proposant de partager un café et un croissant. Et le tournage s’est déroulé sans nuages.» Hormis ceux, spectaculaires, qui défilent à deux ou trois reprises dans une immaculée chroma vidéo noir et blanc, les visages des deux artistes se fondant en ombres et lumières maîtrisées. Une atmosphère visuelle de romantisme européen à la Murnau.
Aujourd’hui, malgré la gravité de cette proposition musicale, Iggy insiste sur le fait que ce disque est d’abord «un appel à la paix et au bonheur». Quid de l’avenir pro Iggy/Catherine? La Bruxelloise aux multiples projets ne tire pas de plan sur la comète Pop, elle va profiter de l’instant, de la sortie de The Dictator. Qui, pour les historiographes pointilleux, n’est pas sans rappeler la période où Iggy habitait et travaillait avec David Bowie, à Berlin, autour de 1977. Le septuagénaire ne ferme pas la porte non plus: «Catherine dégage une énergie. Quelque chose de fort qui se sent aussi lors de ses performances en live. Et puis, sa blondeur rappelle les héroïnes d’Hitchcock, elle aurait pu jouer dans Les Oiseaux.» Pas de doute, l’Iguane est toujours sous le charme.
Louis Tenrock
The Dictator, par Catherine Graindorge featuring Iggy Pop, distribué par Xango Music.
Collaborations sans frontières
Il y a naturellement la french connection: celles où des musiciens belges comme Nicolas Fiszman, Daniel Romeo, Jean-François Assy, Stéphane Galland, Pascal Charpentier travaillent au passé ou au présent avec des calibres tels qu’ Alain Bashung, Christophe, Francis Cabrel, Bernard Lavilliers, Benjamin Biolay ou Ibrahim Maalouf. Sans oublier les innombrables duos bien au-delà de nos frontières: Arno en était l’un des champions, même si on connaît moins son enregistrement de Moments avec Ray Davies, leader des Kinks. Le lien qui unit des Belges aux Anglo-Saxons célèbres est donc plus rare. On se souviendra tout de même du pionnier Toots Thielemans qui s’est produit en concert, au début des fifties, avec Charlie Parker et Miles Davis. On cochera aussi le passage de Philip Catherine sur un disque du grand Robert Wyatt. La complicité de Telex et des Sparks. Sans oublier, dans les années 1990, cette participation inattendue à un album des bruxellois de Betty Goes Green de sa majesté Lou Reed. Et puis, l’actuel principe de la célébrité est d’attirer ses équivalences belgicaines: Stromae invité par Coldplay à chanter en français sur le titre Arabesque ; Angèle en duo avec Dua Lipa pour un Fever bilingue roucouleur.
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