Le Silence des Agneaux © Jonathan Demme

Voyage dans la tête des psychopathes : « La plupart ne se rendent pas compte de leur manière tordue de voir les choses »

Le Vif

Hannibal Lecter était un psychopathe, c’est évident. Mais votre patron pourrait tout aussi bien en être un, au même titre que votre voisin. Il existe autant de formes de psychopathie qu’il n’existe de psychopathes. Mais ils partagent tous une caractéristique identique : ils n’ont peu ou pas de conscience.

Ils peuvent mentir sans se trahir et ils vous manipulent sans jamais se sentir coupables. Mieux vaut les tenir à distance.

Pourtant, vous avez de réelles chances d’en croiser un : selon des estimations (prudentes), 1% de la population mondiale souffrirait de psychopathie, même si seule une très faible partie d’entre eux se transforme en criminel effroyable ou en meurtrier. Cela dit, chacun d’entre eux provoque des dégâts dans son entourage. Certains accablent leurs familles, d’autres terrorisent leur nation.

1% de la population mondiale souffrirait de psychopathie

Comment reconnaitre un psychopathe et comment établir un diagnostic ?

Les psychopathes ne naissent pas avec une marque sur le front et ne ressemblent que très peu aux méchants des films. De prime abord, ils apparaissent au contraire comme des êtres polis et ils vous charment avec leurs paroles sucrées. Après quelques temps (parfois très longtemps), vous vous rendez comptez que quelque chose cloche mais vous ne savez pas quoi. La psychopathie existe depuis toujours mais il a fallu attendre le 19ème siècle pour mettre un nom dessus. En 1801, le docteur Philippe Pinel est le premier à décrire la psychopathie en observant des patients aux comportements impulsifs et destructeurs mais avec des capacités de raisonnement intactes. Ils peuvent raisonner et avoir des comportements complètement hystériques en même temps. Il lui donnera le nom de « manie sans délire. »

La psychopathy-checklist-revised (PCL-R ou liste de contrôle de psychopathe) tourne autour de deux axes : l’axe de la personnalité et l’axe du comportement.

L’axe de la personnalité reprend les caractéristiques interpersonnelles (mensonge, manipulation, langage, leur douceur, trop d’amour propre) et les caractéristiques affectives (froideur, manque de remords et de profondeur émotionnelle, aucune prise de responsabilité pour son propre comportement). Les caractéristiques affectives déterminent surtout si l’individu souffre de psychopathie.

L’axe du comportement est constitué de deux éléments : un mode de vie impulsif (irresponsabilité, tendance à se fixer des buts irréalisables, besoin de stimuli variés et parasitisme) et un comportement antisocial flagrant (troubles du comportement dès le jeune âge, délinquance juvénile, difficulté à se contrôler et violations des conditions.)

La checklist de Hare contient 20 éléments en rapport avec chacune des quatre facettes.

Les psychologues cliniciens peuvent attribuer un score de 0, 1 ou 2 pour chaque élément, en fonction de sa fréquence d’apparition. Les individus avec un score supérieur à 26 souffrent de psychopathie. Quiconque obtient un chiffre supérieur à 30 est considéré comme un psychopathe primaire.

Un spectre des troubles

« La PCL-R est en général considérée comme l’instrument de mesure pour la psychopathie. Néanmoins, le ‘modèle des quatre facteurs’ est tout de même critiqué » explique le psychologue clinicien Francisco D’Hoore. « Certains trouvent le modèle trop statique. Ce serait supposer qu’un psychopathe ne change jamais alors que ous avons observé que certains traits de caractère précis s’atténuent en prenant de l’âge. La psychopathie est très hétérogène. Il existe des psychopathes primaires et secondaires. Les premiers souffrent de lacunes plus fortes dans le domaine de la personnalité tandis les seconds montrent plutôt des troubles du comportement. Tous les psychopathes sont différents, de la même façon que chaque personne atteinte d’autisme est différente. »

Existe-t-il donc un « spectre de la psychopathie » ?

« Pour le moment, la psychopathie n’est pas reprise dans le DSM-5, le manuel de diagnostic des troubles mentaux, en raison du caractère statique de la classification de Hare. En effet, certaines indications font penser que la psychopathie est, en réalité, un trouble dynamique. Certains suggèrent de l’envisager comme un spectre, mais ce n’est pas encore le cas.

Tous les psychopathes sont différents, de la même façon que chaque personne atteinte d’autisme est différente.

Aucune empathie

Pour mettre au point sa liste, Robert Hare s’est servi de ses études et de ses conversations avec des psychopathes internés dans son hôpital psychiatrique. Ces individus viennent généralement de familles aisées qui ont les moyens de les placer dans un établissement qui étudiera leurs cas, au lieu de les laisser pourrir dans une cellule. Cette étude a donc eu lieu dans un environnement clinique, et pas dans la réalité du quotidien.

La plupart des psychopathes vivent librement et réussissent à rester en dehors de la sphère criminelle ou s’entirent sans accrocs. Ils passent à travers les mailles du filet et sont très rarement diagnostiqués. Les chances de voir un chef d’entreprise narcissique ou votre voisin imbu de lui-même frapper à la porte d’un psychologue sont quasi nulles. Ils ne sont pas, ou très peu capables de se remettre en question. Si quelque chose ne va pas, c’est de la faute de leur entourage. Ils ne voient que leur propre réalité et ne peuvent pas se mettre à la place des autres. Ils n’ont aucune empathie.

Des psychopathes accomplis

Les psychopathes semblent surtout attirés par les positions de pouvoir. D’après une étude, 4%du monde de l’entreprise est aux mains de psychopathes. Ils réussissent souvent à se frayer un chemin vers le haut en jouant des coudes et à coup d’interventions douteuses. « Les chefs d’entreprises sont ce que nous appelons des  »psychopathes accomplis » », indique Francisco D’Hoore. « Différents facteurs déterminent s’ils seront couronnés de succès ou s’ils finiront en prison. Leur statut socio-économique et leur niveau d’intelligence peut avoir un rôle. Contrairement à ce que nous pensons souvent, les psychopathes sont souvent moins intelligents que la moyenne. Les personnages fictifs comme Hannibal Lecter véhiculent une fausse image.

Tout dépend aussi de la façon dont vous voyez les choses. Dans un environnement professionnel, vous pouvez interpréter ce sentiment d’orgueil qui émane du psychopathe comme « de l’assurance, du leadership et du charisme. » La politesse et le charme superficiel se traduisent par « d’excellente capacités de communication et une grande force de conviction. » Son impulsivité et sa tendance à se fixer des buts impossibles sont perçues comme « une approche visionnaire et des capacités stratégiques. »

« Si vous ne travaillez pas en collaboration étroite avec un psychopathe, vous ne voyez qu’un masque. Si vous le lui enlevez, vous vous retrouvez face à une toute autre personne. Lorsqu’elles sont à la tête d’un département, ces personnes sont également responsables de la basse des performances chez les employés : il y a une forte hausse du taux d’absentéisme, beaucoup de mutations et de conflits dans l’équipe, et un sentiment accru de stress.

« En résumé, dès qu’un individu atteint de psychopathie dirige une équipe, il a irrémédiablement un effet négatif sur le bien-être de ses collègues. Cela dit, avoir un patron insensible ne signifie pas forcément que vous avez affaire à un psychopathe. Certains êtres sont capables de réorganiser sans scrupules etcela ne les empêche pas de dormir. Certains directeurs ont très peu d’humanité en eux mais ils ne sont pas autant des psychopathes. »

Test post-traumatique

L’histoire a prouvé que les psychopathes réussissent facilement à se frayer un chemin vers le sommet. Certains d’entre eux sont même capables de convaincre les foules et de les rallier à leurs côtés.

Les tyrans historiques étaient-ils des psychopathes ? Difficile à dire car aucun diagnostic n’a été établi à l’époque. Mais vu qu’ils présentent souvent une série de troubles comme le narcissisme, nous pouvons conclure qu’ils disposaient d’une force énorme de conviction et qu’ils étaient donc capables de rallier les gens sous une même idée. Adolf Hitler, pour n’en citer qu’un, a été élu démocratiquement et nous savons tous ce qui s’est passé ensuite.

« Les Allemands ont vu en Hitler un personnage fort, capable de sortir le pays de la misère. Certains éléments peuvent évidemment nous faire penser qu’Hitler était un psychopathe », indique-t-il. « Il avait cet air froid, ce côté impitoyable. Il cherchait des boucs-émissaires sur qui rejeter la faute. Mais était-il déjà un psychopathe à son élection ou l’est-il devenu à la suite à d’évènements antérieurs ? Entre 50 et 70%des psychopathes souffrent d’un état de stress post-traumatique (ESPT) qui trouve son origine dans leur enfance. Hitler a inévitablement souffert d’un ESPT en raison de la violence dont il a été victime pendant sa jeunesse. Il était fréquemment la cible de son père colérique. »

Quand on étudie ce qui s’est passé sous pendant le règne d’Hitler, cela reste tout de même hallucinant de voir qu’autant de gens se sont laissés entrainer dans la fantaisie d’un moustachu aux frustrations grosses comme une montagne. Ses électeurs ne pouvaient quand même pas tous être de simples moutons ! Comment est-ce que des gens dotés d’un regard critique se sont-ils fait avoir par un psychopathe ?

Hitler savait mieux que quiconque manipuler les foules et déclencher des hystéries de masse.
Hitler savait mieux que quiconque manipuler les foules et déclencher des hystéries de masse.© Knack Historia

« Il existe un écart important entre les paroles d’un psychopathe et ses actions. Mais les gens ne voient pas le décalage au premier abord. La majorité d’entre eux ne sont pas des psychopathes et supposent que tout le monde pense comme eux. C’est pourquoi la psychopathie reste si longtemps dans l’ombre. Lorsque que quelqu’un nous sourit, nous partons du principe qu’il est amical. La plupart ne perçoivent la manière de raisonner tordue des psychopathes et ces derniers arrivent à anticiper les limites de notre cadre référentiel. Grâce à cette capacité, ils peuvent manipuler les foules en déclenchant des émotions vives et créer des hystéries de masse.

La pédagogie noire

La majeure partie des patients atteints de psychopathie trainent leurs traumatismes depuis leur (petite)enfance ou leur adolescence. Cependant, il existe d’autres catégories de psychopathes. Certains appartiennent par exemple à « La pédagogie noire ». Ce genre de familles place le pouvoir au centre de tout. Elles conditionnent l’enfant à rechercher à maintenir une forme de pouvoir. Génération après génération, elles arrivent généralement à s’imposer dans des positions clés de la société.

« Dans ce genre de familles animées par une recherche impitoyable de pouvoir, les enfants reçoivent depuis leur plus jeune enfance une éducation où tous leurs sentiments sont détruits. » explique Jan Storms. « Certains enfants arrivent à vivre ainsi et arriveront peut-être à assouvir leur soif de pouvoir. Mais une telle éducation détruit les enfants plus sensibles. Ils développeront également d’autres troubles psychiques. »

Nous pouvons voir la « pédagogie noire « comme un prolongement de l’éducation au sein des castes de chevaliers au Moyen-Âge. Les enfants des chevaliers et cavaliers perdaient souvent leurs pères à un jeune âge, tués lors d’un combat. Perdre un parent si jeune était un évènement traumatisant pour eux. Ce traumatisme personnel associé au fardeau familial est tel que dans certains cas les enfants s’endurcissent et se transforment en psychopathes. Ils considèrent les gens qui montrent leurs émotions comme des gens faibles et idiots. Pour les psychopathes, la seule méthode intelligence pour survivre est de rester sans pitié. Ils ne réfléchissent pas plus loin.

Meurtriers, sadiques et démons

Dans des cas plus rares, certains psychopathes développent un caractère démoniaque : les meurtriers, les sadiques, les pires monstres de notre espèce. « Il s’agit d’un véritable état de maladie. Heureusement, cette sorte de psychopathe ne court pas les rues », déclare Jan Storms.

« Ce sont des êtres qui font tout leur possible pour arriver au pouvoir et en profiter pour organiser un bain de sang. Je peux vous parler de la liste célèbre de « meurtriers de masse historiques. Cette liste est très controversée mais en ce qui me concerne, Léopold II, Pol Pot et Staline en font partie. Ce genre de dirigeants divise les foules, crée la confusion et dépeint une image si intense de l’ennemi que les gens sont prêts à partir en guerre. Ces individus ne font que mettre en place une conscience collective négative.

Voyage dans la tête des psychopathes :
© Knack Historia

« Comparez cette conscience collective à l’atmosphère d’une ville. Lorsque vous vous promenez dans une ville, vous ressentez une certaine ambiance, positive ou négative. En général, tous les habitants la ressentent plus ou moins de la même façon. J’étais à Amsterdam le jour de l’assassinat de Theo Van Gogh. Lelendemain, une atmosphère irréelle pesait sur la ville. Ce n’est pas un sentiment inventé, c’est cette conscience collective que nous expérimentons tous. En favorisant l’ignorance et en faisant ressortir des émotions négatives chez le peuple, vous pouvez influencer cette conscience collective. Ce sont des instruments dont les psychopathes démoniaques raffolent. Ce genre de comportement ne ressemble absolument pas à un comportement humain normal. »

Dissociation de masse

Mais lorsque les gens sains d’esprit sont confrontés à des situations violentes, ils ont tendance à se dissocier. Lorsque vous êtes confrontés à un méfait trop violent, nous l’ignorons pour nous en protéger. Cette méthode a un avantage immédiat : les émotions ne vous frappent pas de plein fouet. Mais à long terme, les émotions risquent de vous ronger. Si vous voulez échappez à l’étreinte de ces dirigeants psychopathes, vous devez trouver la force de regarder ce qui se passe et en critiquer les fondements. Ne plus détourner le regard ou se laisser entrainer dans l’ignorance. Les gens avec un bon fond ont tendance à s’assoupir car ils ne se rendent pas compte que tout le monde n’a pas de bonnes intentions.

Cela explique peut-être pourquoi les peuples laissent parfois les choses dégénérer avant de se révolter. Ils ne répliquent que lorsqu’ils sont mis dos au mur et que la situation est devenue catastrophique. Ils se réveillent et l’ordre naturel des choses se rétablit. Mais ce chaos laisse des dégâts incommensurables. « Il existe toujours des gens qui se rendent compte de l’horreur, qui préviennent le peuple, mais généralement ils parlent dans le vide. Lorsqu’on devance trop la foule, on ne reçoit aucun soutien. Ces gens sont souvent traités comme des parias. »

Madame la psychopathe

Les tyrans et meurtriers de masse sont en général des hommes. Mais est-ce que la psychopathie est une maladie uniquement masculine ? Cela ne semble pas être le cas. En effet, de nombreuses études ont été conduites chez les femmes psychopathes mais il est évident que la psychopathie se traduit différemment chez elles. Les femmes montrent moins souvent des traits d’agressivité physique et ont donc moins vite affaire à la justice. Chez elles, la psychopathie se traduit surtout par un comportement manipulateur et émotionnellement instable. Elles s’attaquent principalement à leur environnement direct.En général, il est admis que les femmes psychopathes sont moins nombreuses que mais les estimations sur cette proportion divergent fortement. Une chose est sûre : un psychopathe, qu’il soit un homme ou une femme, impose en un rien de temps une ère de chaos et de confusion qui laisse finalement derrière lui que désolation.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire