Travailler plus longtemps: les Français ont-ils raison de faire de la résistance ? «La logique d’un report constant de l’âge de la retraite est une voie sans issue»

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La retraite à 64 ou 65 ans? La perspective fait inlassablement monter les Français aux barricades alors que les Belges se préparent à ne dételer qu’à 67 ans. Patrick Deboosere (VUB), démographe, applaudit la résistance et appelle à changer radicalement de logiciel: «Il est incroyable de réduire le vieillissement à un problème financier. C’est le droit de partir à la retraite à 60 ans qui devrait être généralisé.»

Le Français oppose une farouche résistance au report de l’âge de la retraite de 62 à 64 ou 65 ans, là où le Belge partira à la pension à 66 ans dès 2025, 67 ans à partir de 2030. Nos voisins ont-ils perdu la tête?

Pas du tout. Ils ont tout à fait raison de se battre pour un acquis social obtenu au lendemain de la Seconde Guerre. Ce combat est d’autant plus crucial qu’il va beaucoup plus loin que la question des pensions. Il soulève l’enjeu de la solidarité au sein d’une société et pose un autre regard sur l’avenir de la planète.

Travailler plus longtemps pour pouvoir continuer à financer les pensions ne tombe-t-il pas sous le sens?

Absolument pas. Les dépenses en pensions représentent environ 10% du produit national brut (PNB) en Belgique. Le bureau du plan estime qu’elles s’élèveront jusqu’à 14% à 15% du PNB avant de connaître une stabilisation au-delà de 2040 en raison d’une stagnation du nombre des plus de 65 ans et de l’arrivée à l’âge de la retraite de générations moins nombreuses en individus. Le système des pensions est et restera financièrement soutenable, même si on avait maintenu l’âge légal de la retraite à 65 ans. Tout est question de choix politiques.

Repousser impérativement l’âge de la retraite serait-il une mauvaise manière de poser le débat sur l’avenir des pensions?

C’est une façon comptable d’envisager l’avenir des gens. C’est la solution imaginée par des personnes qui appartiennent à la catégorie la plus éduquée et scolarisée de la population, celle qui est en meilleure santé, qui aspire moins à la retraite parce que le travail est souvent pour eux une passion. C’est la solution de certains qui ne se mettent pas à la place de ceux pour qui partir à la retraite est une question de bien-être. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’augmentation de burn-out liés à une pression croissante au travail. Cette façon d’envisager à la légère le report de l’ âge de la retraite est choquante.

Si on vit plus longtemps, n’est-il pas évident que l’on doive travailler plus longtemps?

On ne vit pas plus longtemps mais davantage de personnes vivent plus longtemps, c’est une différence essentielle. L’ homme biologique n’a pas fondamentalement changé depuis ses ancêtres d’il y a dix mille ans, c’est la société qui a changé et qui permet au corps humain de vieillir moins vite grâce à la science et à de meilleures conditions de vie. La façon dont on interprète l’augmentation de l’espérance de vie repose sur un malentendu fondamental.

Dès lors, comment affronter le défi bien réel du vieillissement de la population?

Il est tout de même incroyable que l’on considère comme un problème ce qui est le fruit de deux siècles d’efforts pour améliorer les chances de vivre longtemps et heureux, incroyable que l’on puisse réduire une telle avancée à un problème financier. On devrait plutôt s’en réjouir! On présente trop souvent le départ à la retraite comme le début de l’inaction alors que nombre de retraités restent impliqués dans le travail associatif, le bénévolat, s’occupent de garder leurs petits-enfants ou d’aider des proches à faire leurs courses. Ce facteur de bien-être pour la société, qui permet aussi de soulager certaines dépenses publiques, n’est pas comptabilisé parce qu’il ne relève pas de l’économie marchande.

C’est le droit de partir à la retraite à 60 ans qui devrait être généralisé.

Repousser l’âge de la retraite, jusqu’où aller avant d’arrêter le compteur?

Cette logique du report constant de l’âge de la retraite est une voie sans issue. Aux Pays-Bas, où l’âge de départ à la retraite est lié à la hausse de l’espérance de vie, chaque année supplémentaire d’espérance de vie engendre un allongement de huit mois de la carrière professionnelle, ce qui conduira un jeune d’aujourd’hui à travailler au-delà de 70 ans. En Belgique, la porte n’est pas fermée à un âge légal de la retraite au-delà de 67 ans.

En quoi augmenter l’âge de la retraite serait-il une mesure foncièrement antidémocratique?

Alors que les enquêtes d’opinion montrent qu’une majorité de gens disent qu’ils ne pourront jamais travailler jusqu’à 67 ans, un réel débat public sur l’enjeu des pensions et la question d’un report de l’âge de la retraite n’a jamais eu lieu. Il a été confisqué par les partis qui, en Belgique, avant les élections, promettaient de ne pas toucher à l’âge de départ à la pension. Ce qui est fou dans cette histoire, c’est que c’est toujours au nom des jeunes générations qui les subiront plus tard que l’on introduit de nouveaux systèmes de pension qui ne sont pourtant pas le problème des retraités actuels. Il faudrait au moins donner la parole aux jeunes alors que plus de la moitié d’entre eux font des études supérieures, ne commencent à travailler qu’à 23 ans et n’auront jamais une carrière complète lorsqu’ils parviendront à l’âge légal de la retraite.

© getty images

Envisager le futur des pensions supposerait un changement de logiciel?

Il est temps de rendre à la société quelque chose d’aussi essentiel que la définition du but de l’économie, le défi du bien-être et de la survie de la planète. Il faut sortir de la lecture dogmatique, fondamentalement néolibérale des choses, portée par les institutions européennes et qui veut que la croissance, et non le bien-être des gens, soit un but en soi. Un travail décent est extrêmement important pour l’individu mais il ne doit pas être l’unique but dans la vie. On travaille pour vivre et non l’inverse. Le mantra «maintenir plus longtemps les gens au travail» menace le bien le plus précieux que nous possédons: le temps. C’est le droit de partir à la retraite à 60 ans qui devrait être généralisé.

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