Carte blanche

Travail du sexe: Là où l’ignorance tue

A la veille de la « Journée internationale de lutte contre les violences faites aux travailleurs-euses du sexe (TDS) », ce 17 décembre, une trentaine d’associations tirent le signal d’alarme en publiant un texte intitulé : « Travail du sexe, là où l’ignorance tue ».

Dès 2003, les meurtres en série commis par Gary Ridgway à Seattle voient naître, à l’initiative des 1ères concernées, le Sex Workers Outreach Project et l’organisation d’une veille en mémoire aux victimes du serial killer.

Depuis, le 17 décembre est inscrit au calendrier de nombreux pays et constitue la « Journée Internationale de lutte contre les violences faites aux travailleur.euses du sexe (TDS) ». Journée soutenue notamment par les Nations Unies, l’OMS, l’ONUSida, Amnesty International et de nombreuses autres organisations internationales et associations de terrain.

Une grande indifférence

Seize ans plus tard, cette « célébration » demeure pour les TDS et les associations actives à leurs côtés, l’occasion de rendre hommage aux TDS disparu.es, et surtout de faire savoir et connaître internationalement les faits de violences (verbale, physique, psychologique, institutionnelle ou encore policière) toujours et encore à ce jour, exercés à leur encontre.

Bien qu’en Belgique aucun chiffre officiel ne relate des faits de violences exercés spécifiquement à l’encontre des TDS, les constats portés par ces dernièr.e.s et les associations actives auprès de celles-ci sont plus qu’inquiétants et démontrent une nouvelle fois que les violences qu’elles subissent se déroulent majoritairement en silence, dans la plus grande indifférence et invisibilité.

A Bruxelles, de multiples violences

Sur le territoire des communes de la Région bruxelloise, connues pour tolérer l’exercice du sexe tarifé, de multiples violences envers les TDS s’observent.

Pour le territoire de la Ville de Bruxelles, l’installation soudaine d’une grille sur un trottoir rue des commerçants bloque désormais l’accès à la rue de part et d’autre. Privatisant l’espace public, de telles mesures, prises sans concertation, ne se soucient guère des répercussions qu’elles peuvent avoir sur les citoyens dont font partie les TDS. Ne disposant pas des codes d’accès, elles se retrouvent davantage exposées aux possibilités d’agressions liées au fait qu’elles peuvent se retrouver coincées sur un trottoir, sans voie d’issue. De plus, un tel dispositif les oblige à emprunter des rues parallèles réputées peu sécurisées.

Alors que les TDS circulent dans l’espace public qui leur appartient autant qu’aux autres, elles se retrouvent rejetées dans un jeu de ping-pong entre communes à devoir exercer leur activité dans des zones peu sécurisées, en proie aux insultes et aux menaces ; filmées et exposées sur les réseaux sociaux ; exposées aux harcèlements des passants, habitants et clients ; empêchées par certains riverains de fréquenter les structures d’aide psycho-médicosociale situées dans le quartier ; sans compter la police et ses méthodes d’amendes à recouvrement immédiat.

Sur la commune de Saint-Josse, les violences prennent la forme d’agressions quotidiennes. Le quartier Nord est désormais réputé pour son insécurité ambiante et comme

un espace de non-droit. Dernièrement, deux TDS sexagénaires ont été agressées violemment dans leur carrée, dans le but de voler leur gain de la journée. Également, chaque jour des clients sont agressés par des bandes urbaines, créant un climat de peur et leur fuite ; soit une perte grave de revenus pour ces TDS déjà extrêmement précaires, qui se retrouvent, pour une partie d’entre elles, sans moyen de survie. Ces TDS, principalement des femmes migrantes, parfois sans-papiers, regrettent de ne pas voir la police plus présente, et d’être niées voire méprisées par les pouvoirs communaux.

Une volonté de rendre les TDS invisibles

Loin d’être cantonnées en région bruxelloise, les multiples violences exercées à l’encontre des TDS ne sont propres ni à un quartier, ni à une ville. A Charleroi, depuis 2014, les TDS sont obligées par le pouvoir communal d’exercer sous un pont sans éclairage ni sanitaire, pour laisser leurs anciens espaces à la spéculation immobilière et à des complexes commerciaux tel que Rive Gauche. Même chose à Anvers, où sous couvert d’une régulation contrôlée autour de la fameuse Villa Tinto, toutes les TDS ne rentrant pas dans les conditions imposées d’exercice (avoir des papiers européens) se retrouvent chassées et exclues dans des zones encore plus reculées, en dehors de la ville, sans aucun dispositif de sécurité.

En synthèse, sur le terrain, nos associations constatent régulièrement des interventions tardives voire tout à fait inadéquates de la part de la police. L’attitude de nombreuses autorités locales est marquée par un déni de l’existence de cette violence et un refus de concertation. Certaines communes prennent ou permettent des mesures sans se rendre compte de l’impact sur les conditions de vie et de travail déjà extrêmement dangereuses de nombreux.euses TDS. Leur volonté de les rendre invisibles crée davantage d’insécurité pour tous : les TDS, les associations travaillant avec elles et les riverains. Ainsi, dans certains quartiers, ce sont la spéculation immobilière, les marchands de sommeil, les bandes urbaines, les quelques trafiquants de drogues et d’armes qui dictent la loi.

Relancer les concertations

Face à ces constats alarmants, il nous semble urgent de réagir de façon concertée avec le pouvoir politique. Si on veut éviter que la gestion de la prostitution ne se limite plus à la politique de la « patate chaude » où des communes essayent avant toute chose de se débarrasser des TDS en les faisant fuir sur la commune voisine, il faut en priorité que ces communes se parlent entre elles à ce sujet et acceptent de dialoguer avec les premier.e.s intéressé.e.s. De telles concertations ont existé par le passé. Il est donc tout à fait possible de relancer un tel dialogue intercommunal, tout comme mentionné d’ailleurs dans le cadre du dernier accord de gouvernement bruxellois. Nos organisations, qui travaillent au quotidien avec des TDS, en appellent par conséquent à la Région et aux communes concernées à relancer ces concertations.

Cette journée est pour nos associations l’occasion de se rappeler, d’honorer tout.e.s celles et ceux parti.e.s trop tôt, mais aussi de revendiquer et d’exiger : – que les TDS soient entendu.e.s et respecté.e.s dans leurs Droits Humains, – que les TDS puissent s’exprimer par elles / eux-mêmes, – que les TDS aient une place dans le débat public, – que cessent toutes les politiques de criminalisation envers les TDS.

Sans ça, les TDS continueront alors à remplir les rubriques de faits divers de femmes et d’hommes magnifiques, mort.e.s dans le plus méprisant des cynismes.

Signataires :

Union des Travailleu(r)ses du Sexe Organisé.e.s Pour l’Indépendance (UTSOPI), asbl Alias, Espace P…, Médecins du Monde, Furia, Fédération bruxelloise francophone des institutions pour toxicomanes asbl (Fedito Bxl), Diogènes, Conseil Bruxellois de Coordination Sociopolitique (CBCS), Violett, Fédération Laïque des Centres de Planning Familiaux (FLCPF), Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familiaux (FCPPF), Réseau d’Aide aux Toxicomanes (RAT), Modus Vivendi, Dune, Le Projet Lama asbl, La Liaison Antiprohibitionniste, Transit, Collectif Manifestement, Douche Flux, Fédération des Services Sociaux, UTOPIA BXL, RainbowHouse Brussels, Observatoire du Sida et des Sexualités, Genres Pluriels, Genres d’A Côté, Santé Mentale & Exclusion Sociale – Belgique (SMES-B), Tels Quels, Cavaria.

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