Des manifestants, les mains en l'air, font face à la police anti-émeute BRAV-M lors de la 11e journée de grève et de protestation contre une réforme des retraites. © Getty Images.

La contestation, toujours plus violente ? « Nous assistons à un réel changement »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La contestation serait de plus en plus violente, alors que les casseurs sont plus nombreux qu’auparavant dans les manifestations. Décryptage avec Marc Cools, criminologue à l’UGent et à la VUB

La contestation sociale gagne-t-elle en violence, comme elle le donne à penser en France?

D’une manière générale, nous assistons à un réel changement dans le visage qu’offre la contestation, qu’elle se situe sur le terrain social, politique ou économique. Nous sommes passés de formes de contestation de nature essentiellement idéologique à des manifestations ou des émeutes liées à des enjeux très concrets comme le futur des pensions ou une hausse des prix de l’énergie. Le mouvement des gilets jaunes, en France, est illustratif de cette évolution. La dimension violente des mouvements protestataires change aussi de visage: aux métallos ou aux mineurs d’autrefois se substituent des groupes ou des bandes de casseurs, d’extrême gauche ou d’extrême droite, dont le seul but est la provocation violente qui produit un effet d’entraînement sur la masse des manifestants. En ce sens, la violence dans la contestation se professionnalise.

Marc Cools
Marc Cools © National

Assiste-t-on à l’émergence d’un droit de se sentir en état de légitime violence?

On observe ce phénomène dans l’activisme climatique ou dans le mouvement Black Lives Matter. Ils intègrent la vision d’une violence légitime qui se traduit par des actions visant des œuvres d’art dans les musées, le dégonflage des pneus de SUV ou le déboulonnage de statues.

Face à cette radicalisation, la violence d’Etat n’est-elle pas en train de dériver par une brutalisation dénoncée des interventions policières?

Je ne parlerais pas de dérive ou de dérapage mais plutôt d’un durcissement. A ce propos, la Belgique se distingue de la France en matière de maintien de l’ordre. Chez nous, la responsabilité première de la gestion du maintien de l’ordre relève du bourgmestre et de sa police communale, dans une approche de policy community qui ménage une marge de dialogue et de négociation avec les manifestants. Au besoin, appel peut être fait à la police fédérale. En France, au contraire, ce sont avant tout les CRS, force policière spécialisée dans le maintien de l’ordre, dotée d’un équipement et d’une approche plus militaire, qui entrent en action. Il s’agit là d’un modèle unique en Europe, hérité de l’histoire de France, pays des droits de l’homme mais aussi d’éruptions de type révolutionnaire contre le pouvoir comme on l’a vu lors de la guerre d’indépendance de l’Algérie ou de mai 68. Ces CRS, au service d’un Etat fort et centralisé, adoptent une approche plus rude. Ce modèle policier français contribue à une cristallisation de la violence mais je n’y vois pas de dérive et si tel était le cas, cette dérive se situerait des deux côtés.

Le rôle des smartphones et des réseaux sociaux dans la médiatisation d’une contestation violente des événements fait-il office de miroir déformant d’une réalité contestataire?

Ils sont devenus un outil efficace, à la fois de mobilisation mais aussi de diffusion d’incidents ou d’émeutes et représentent de ce fait un facteur de montée des tensions et de radicalisation avec lequel les forces de l’ordre doivent composer.

La disqualification d’une contestation par l’action de «casseurs» ne fait-elle pas de ceux-ci les alliés objectifs du pouvoir? On peut s’étonner de l’incapacité de l’appareil répressif à les neutraliser avant qu’ils n’agissent, à l’instar de ce qui a pu se faire avec les hooligans au football…

Je ne crois pas à l’instrumentalisation, par l’Etat, des casseurs dans le cadre d’une stratégie de la tension

Je ne crois pas du tout à l’instrumentalisation par l’appareil d’Etat des casseurs dans le cadre d’une stratégie de la tension. Ce soupçon relève de la théorie complotiste. L’identification de noyaux durs, mouvants, bien organisés et qui opèrent masqués, reste une tâche policière difficile à mener à bien.

Une certaine adhésion à un recours à la violence comme moyen de faire reculer le pouvoir gagne-t-elle du terrain dans la société?

On évolue, en Belgique, dans un contexte où les structures de l’Etat sont de moins en moins capables d’absorber un mécontentement ambiant croissant et une colère permanente qui se focalisent sur des enjeux très concrets, qu’il s’agisse de la disparition des distributeurs automatiques d’argent, de la hausse des prix de l’essence ou de réalités économiques incontournables comme l’inflation. Ce sentiment généralisé de ras-le-bol peut pousser à manifester une certaine compréhension pour ceux qui empruntent la voie de la radicalisation violente.

La contestation s’engage-t-elle dans une logique d’escalade dans la confrontation?

Oui et on peut distinguer trois phases dans une escalade: un passage de la radicalisation dans les esprits à un extrémisme qui n’exclut plus le recours à la violence, puis au terrorisme comme on l’a connu en Belgique dans les années 1980 avec les Cellules communistes combattantes ou le Front révolutionnaire d’action prolétarienne. Je dirais que le mouvement radicalisé se situe ou approche aujourd’hui du niveau 2 sur cette échelle et que le niveau 3 ne peut être exclu.

Et à la fin, ce sont toujours les forces de l’ordre qui gagneront?

Sauf dans un contexte révolutionnaire, situation extrême qui reste toujours exceptionnelle. La toile de fond actuelle n’est pas sans rappeler les conditions de l’effondrement de la république allemande de Weimar dans les années 1930 où libéraux, socialistes et chrétiens se disputent le centre de l’échiquier politique tandis que les extrêmes, de gauche et de droite, progressent.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire