Salah Abdeslam
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Salah Abdeslam en prison à vie ? Pourquoi ce n’est pas certain

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La perpétuité ‘incompressible’ à laquelle a été condamnée Salah Abdeslam, au procès des attentats de Paris, est la peine la plus lourde du code pénal français. Que signifie concrètement cette condamnation ? Dans quel pays Abdeslam purgera-t-il sa peine, alors que le procès de Bruxelles doit encore avoir lieu ? Le point avec Dan Kaminski, professeur à l’École de criminologie de l’UCLouvain, spécialiste du fonctionnement du système pénal et des droits des détenus.

Le parquet national antiterroriste français (Pnat) avait réclamé le 10 juin cette sanction rarissime (la perpétuité incompressible) pour le seul membre encore en vie des commandos du 13 novembre, estimant que cet « acteur-clé » était « resté fidèle jusqu’au bout à son idéologie » et n’avait jamais exprimé « le moindre remords ». C’est « une peine de mort lente », s’est insurgée la défense de Salah Abdeslam, âgé de 32 ans. Cette « perpétuité réelle » rend impossible de demander un aménagement de peine.

Salah Abdeslam en prison à vie? Théoriquement, non

Que cela signifie-t-il concrètement ? « Aucune modalité d’érosion de la peine n’est permise. Par érosion de la peine, on pense à des modalités de libération temporaire, ou à la libération dite conditionnelle », explique Dan Kaminski, expert en fonctionnement du système pénal (UCLouvain). « La peine que Salah Abdeslam a reçue en France exclu ces formes d’érosions multiples de la peine. C’est-à-dire qu’elle empêche toute possibilité d’outil de réinsertion sociale», précise-t-il.

Cela veut-il dire que Salah Abdeslam est condamné à passer le reste de sa vie en prison ? La réponse est non. Théoriquement, il pourrait, au bout de 30 ans passés en prison, demander au tribunal de l’application des peines de revenir sur cette impossibilité.

Dans quel cas serait-ce possible? Le tribunal ne peut réduire la durée de la période de sûreté qu’à certaines conditions, et après avis d’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation chargée de déterminer s’il y a lieu de mettre fin à l’application de la décision de la cour d’assises. Pour pouvoir bénéficier d’un relèvement de sa période de sûreté illimitée, le condamné doit manifester des gages sérieux de réadaptation sociale.

Le tribunal s’assure également que sa décision n’est pas susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public et recueille en amont l’avis des victimes. Il se prononce après l’expertise d’un collège de trois experts médicaux qui évaluent l’état de dangerosité du condamné.

Négociations France-Belgique

On peut en outre se poser la question de savoir où la peine d’Abdeslam sera exécutée. Car il va subir un autre procès à Bruxelles, et cette question se présentera naturellement. Pour Dan Kaminski, le contexte est quelque peu particulier. « Il n’y a pas de règles convenues à l’international pour ce genre de situation. Cela peut faire l’objet de négociations entre les instances judiciaires des deux pays et peut-être également entre les ministres de la Justice. Ce sont, à mon sens, des négociations au cas par cas. »

« Une chose est certaine, quelle que soit la peine qui soit infligée à Salah Abdeslam en Belgique, elle sera probablement absorbée par la peine qu’il a reçue en France. »

« Une chose est certaine, quelle que soit la peine qui soit infligée à Salah Abdeslam en Belgique, elle sera probablement absorbée par la peine qu’il a reçue en France. Car la peine belge ne pourra être que plus réduite, car la notion d’incompressible n’existe pas en Belgique.« 

« Tendance à penser que la France va garder Salah Abdeslam »

Dans ces négociations entre la France et la Belgique, quels facteurs pourraient intervenir ? Des considérations de régime pénitentiaire, d’une part. « Un pays pourrait dire à l’autre: ‘Nous avons un régime plus solide que le vôtre’ », illustre Dan Kaminski. Et d’ajouter : « De la même façon, on pourrait imaginer des enjeux symboliques. Est-ce que dans un pays, on pourrait s’émouvoir que l’exécution de la peine puisse se passer dans l’autre pays, comme si on perdait le contrôle sur l’ennemi ? Il pourrait également y avoir des considérations financières. La France pourrait par exemple se dire que le coût de la détention d’Abdeslam pourrait lui revenir cher. Car le coût de la détention est évidemment important. J’ai du mal à imaginer qu’on fasse exécuter en Belgique une peine qui n’existe pas. J’aurais donc tendance à penser que la France va conserver Salah Abdeslam. Il s’agirait là d’un motif juridique.

Par ailleurs, au vu de la condamnation française, on pourrait se demander à quoi « sert » le procès de Bruxelles pour Abdeslam. Pour l’expert, il convient de raisonner autrement. « Un procès ne sert pas uniquement à exécuter une peine. Même lorsqu’un procès conclut à l’acquittement, il rend d’autres services. C’est un espace de discussions, de construction, dans lequel les parties civiles et les autorités judiciaires sont amenées à collaborer. Cela produit des effets d’apaisement et de métabolisation qui peuvent être indépendants de la peine infligée. Les effets du procès en lui-même, indépendamment de la peine, sont importants. »

D’où vient cette notion de perpétuité incompressible?

La « perpétuité réelle » a été instaurée en 1994 sous l’impulsion du ministre de la Justice Pierre Méhaignerie, marqué par le viol et le meurtre d’une fillette par un homme déjà condamné pour des crimes sexuels. Elle n’avait jusqu’ici été prononcée qu’à quatre reprises, entre 2007 et 2013 à chaque fois pour des meurtres d’enfants accompagnés de viols ou tortures.

D’abord prévue pour ces crimes uniquement, la perpétuité incompressible a été étendue en 2011 aux meurtres ou tentatives de meurtres sur personnes dépositaires de l’autorité publique (forces de l’ordre, magistrats, surveillants de prison).

Après la série d’attentats ayant ensanglanté la France en 2015, la perpétuité « réelle » a été élargie aux crimes terroristes en juin 2016, mais cette loi n’est pas rétroactive. La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait validé en 2014 les peines perpétuelles appliquées en France, estimant qu’elles offraient un espoir, même infime, de libération au détenu.

Les réactions des victimes au verdict : entre « soulagement » et « peur du vide »

« Dix mois de procès, ça aide à se reconstruire. C’est fini, ça va faire un vide », résume Sophie, rescapée des attaques jihadistes du 13 novembre 2015 à Paris, soulagée et les larmes aux yeux après l’annonce mercredi du verdict dans le procès des attentats les plus meurtriers jamais commis en France.

Plus de six ans après les faits, la cour d’assises spéciale de Paris a condamné mercredi soir Salah Abdeslam, le seul membre encore en vie de commandos qui ont fait 130 morts, à la perpétuité incompressible, la peine la plus lourde du code pénal.

Les autres accusés se sont vus infliger des peines allant de deux ans de prison à la perpétuité, avec période de sûreté pour certains et incompressible pour d’autres.

Avant le début de la lecture du verdict, la vaste salle d’audience n’avait jamais été aussi pleine, et les rescapés et proches de victimes – des terrasses de café et de restaurants ciblés par des tirs de kalachnikov, de la salle de spectacle du Bataclan ou des abords du Stade de France – se serraient les uns aux autres sur les bancs de bois, dans une ambiance électrique, loin du grand silence du premier jour.

La lecture des motivations par le président Jean-Louis Périès prendra moins d’une heure. Après ses derniers mots, les premières parties civiles quittent la salle, certains en larmes.

« Les peines sont assez lourdes », estime Sophie, émue. « Ils ne sortiront pas tout de suite de prison. On va savourer, je ressens beaucoup de soulagement ».

« Justice a été rendue »

Elle prend dans ses bras David Fritz, rescapé comme elle de la salle de spectacles du Bataclan, où un commando a semé la mort pendant un concert.

« Je sens que j’ai grandi. C’est important de voir que la justice a été rendue. C’était nécessaire. C’est un moment un peu flottant, comme si on claquait une grande porte ferrée », détaille-t-il.

Pour Bruno Poncet, lui aussi survivant du Bataclan, « c’est un vrai soulagement d’en avoir fini avec le procès. Je suis venu quasi tous les jours. Ça n’a pas toujours été facile. Il y a une peur du vide aujourd’hui mais il est temps d’en sortir », explique-t-il.

Il s’interroge aussi: « Certaines peines peuvent paraître un peu lourdes. Je me pose la question de nos prisons qui sont déjà surchargées. J’ai peur qu’on crée des monstres ».

A l’intérieur de la vaste salle d’audience, des parties civiles s’attardent, certaines semblent très émues. Certains montent sur les bancs de bois clair pour apercevoir le box.

Les trois accusés qui comparaissaient libres, et qui ressortiront libres, affichaient sourires et soulagement.

« Se serrer les coudes »

Philippe Duperron, président de l’association 13Onze15, considère que la « réparation » des victimes « consistait essentiellement dans la tenue du procès, la possibilité offerte de s’exprimer, de déposer leur douleur et leur souffrance. Maintenant, ceci dépend de chaque individu, certains avaient besoin de cette peine » de prison, ajoute-t-il.

« Le chemin face à cette horreur a été de se reconstruire en groupe, et pas individuellement », souligne Arthur Dénouveaux, président de Life for Paris. « On avait besoin de se serrer les coudes et d’entendre ce que la justice avait à nous dire après 6 ans et demi. »

Avant de quitter la salle des pas perdus, les parties civiles viennent émarger une dernière fois avec leur badge, tout sourire pour certains.

D’autres immortalisent l’issue de ces dix mois de procès par une photo, une dernière bise, ensemble. Beaucoup de bienveillance se dégage de leurs discussions.

Nombre d’entre eux rejoignent les deux brasseries face au palais de justice, saturées de discussions dans la nuit.

(AFP).

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