Salah Abdeslam. © Belga

Réclusion criminelle à perpétuité incompressible pour Salah Abdeslam: retour sur 10 mois de procès

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Au terme de près de dix mois d’audience, la cour d’assises spéciale de Paris a rendu son verdict mercredi. Seul survivant des commandos des terrasses et du Bataclan, Salah Abdeslam est reconnu coupable de tous les chefs d’accusation retenus contre lui. Il écope de la plus lourde peine prévue par le Code pénal français: la réclusion criminelle à perpétuité incompressible.

En début de soirée, les juges ont commencé à lire le verdict et à répondre aux 121 questions sur lesquelles ils ont délibéré. Ils ont considéré que Salah Abdeslam était bien coauteur des faits, que même s’il n’est mort cette nuit-là, il est tout aussi responsable que les autres terroristes.

En ce qui concerne les 13 coaccusés présents au procès (cinq autres encore sont présumés morts en Syrie, un sixième est incarcéré en Turquie, tous ont été jugés par contumace), la cour d’assises a répondu « oui » à toutes les questions de culpabilité soulevées par 19 des 20 accusés pour leur rôle dans les attentats du 13 novembre 2015.

Mohamed Abrini, 37 ans, écope de la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans. Proche de Salah Abdeslam, il a participé aux préparatifs des attentats de Paris ainsi qu’à ceux de Bruxelles. Il a notamment transporté les terroristes à Paris en novembre 2015. Il a également participé aux attentats de mars 2016 à Bruxelles et Zaventem. Faits pour lesquels les deux hommes, ainsi que plusieurs des autres coauteurs, seront jugés en octobre prochain.

Peines très lourdes aussi prononcées à l’encontre de Oussama Krayem et Sofien Ayari. Ils sont condamnés à 30 ans de réclusion avec une période de sûreté des deux tiers. Oussama Krayem devait normalement se faire exploser lors des attentats du 22 mars à Bruxelles. Mais alors qu’il était sur le point d’embarquer dans la rame de métro en direction de Maalbeek, il a changé d’avis et a laissé Khalid El Bakraoui poursuivre seul l’opération. Il a finalement été arrêté en même temps que Mohamed Abrini.

Sofien Ayari, lui, a été arrêté le 18 mars 2016, soit quatre jours avant les attentats de Bruxelles, en compagnie de Salah Abdeslam. Le 15 mars, il avait participé à la fusillade de la rue du Dries à Forest, la planque où il se cachait avec Abdeslam. Jugés pour ces faits en avril 2018 à Bruxelles, les deux hommes avaient déjà écopé de 20 ans de réclusion.

Considéré comme le logisticien des attaques, Mohamed Bakkali, 38 ans, avait fourni des planques et des voitures aux terroristes. Il été condamné à 30 ans de prison, dont il devra purger les deux tiers intégralement.

Hamza Attou et Mohammed Amri, les potes de quartier de Salah Abdeslam qui n’avaient pas hésité à venir le chercher à Paris pour le ramener à Bruxelles, mais qui ont toujours affirmé qu’ils n’étaient au courant de rien avant les attaques, écopent de quatre ans de réclusion. Quant à Ali Oulkadi, qui a véhiculé Abdeslam jusqu’à Schaerbeek, où il s’est caché dans un appartement, sa peine a été fixée à cinq ans.
L’Algérien Adel Haddadi, qui a été arrêté en Autriche avant de pouvoir commettre un attentat, a été condamné à 18 ans de prison, dont il devra purger au moins les deux tiers. Son compagnon Muhammad Usman, également arrêté en Autriche, écope de la même peine.
Farid Kharkhach
, 39 ans, était jugé pour avoir fourni de faux papiers d’identité belges à des terroristes. Il est le seul à avoir été acquitté d’une accusation d’association terroriste. Au lieu de cela, il a été reconnu coupable d’association de malfaiteurs et condamné à deux ans de prison.

Le Belge Yassine Atar a participé à tous les préparatifs des attentats. Il est le frère cadet d’Oussama Atar, qui aurait organisé les attentats et recruté des kamikazes. Il est aussi le cousin des frères El Bakraoui, qui se sont fait exploser à Bruxelles. Il écope finalement d’une peine de huit ans, dont les deux tiers devront être purgés. Ali El Haddad Asufi est condamné à dix ans de prison, dont il devra purger les deux tiers en entier, car il a, avec Atar et Mohamed Bakkali, préparé les attentats et fourni notamment des armes aux terroristes.

Dessin représentant l’avocat des parties civiles Claire Josserand-Schmidt, écoutant Salah Abdeslam, premier suspect des attentats du 13 novembre 2015, Pris, 30 mars 2022

Abdellah Chouaa a lui été condamné à quatre ans de prison dont trois avec sursis. Il était aide logistique de la cellule terroriste, mais aussi chauffeur de Mohamed Abrini.
Les six autres auteurs ont été condamnés par défaut à des peines allant de 30 ans à la perpétuité. Il s’agit d’Ahmad Alkhald, Oussama Atar, Ahmed Dahmani, Fabien Clain, Jean-Michel Clain et Obeida Aref Dibo. Neuf auteurs, dont le commandant opérationnel des attentats Abdelhamid Abaaoud, ont été tués dans les attaques ou lors d’actions policières ultérieures.

 « Je ne suis pas un assassin »

Lundi, avant que les 9 magistrats (dont quatre suppléants) ne se retirent dans un lieu secret pour délibérer, Salah Abdeslam s’était une dernière fois exprimé sur les faits qui lui étaient reprochés et sur sa responsabilité envers les victimes et leurs proches. La plupart d’entre eux avaient trouvé la force de venir raconter à la barre de ce qu’avaient vécu, vu et entendu au cours de cette nuit d’horreur mais aussi leur calvaire de survivant ou le vide abyssal laissé par l’être cher qui leur a été arraché. Autant de récits, aussi poignants que révoltants qui ont confirmé la dimension hors-normes de ce procès.

« Mes premiers mots seront pour les victimes. Je vous ai présenté mes excuses. Certains vous diront qu’elles sont insincères, que c’est une stratégie (…) comme si des excuses pouvaient être insincères à l’égard de tant de souffrance », avait formulé Salah Abdeslam.

« La perpétuité est sans doute à la hauteur des faits, mais pas à la hauteur des hommes qui sont dans le box. L’opinion publique pense que j’étais sur les terrasses occupé à tirer sur des gens, que j’étais au Bataclan. Vous savez que la vérité est à l’opposé », avait encore argumenté le Français de 32 ans. « J’ai fait des erreurs, c’est vrai, mais je ne suis pas un assassin, je ne suis pas un tueur. Si vous me condamniez pour assassinat vous commettriez une injustice ».

© AFP

Des excuses, des regrets, des condoléances, c’est aussi ce qu’avaient exprimé tour à tour les autres accusés, débout dans leur box. Des hommes impliqués à des degrés divers dans cette macabre opération et à qui le président de la cour, Jean-Louis Périès, avait donné une dernière fois la parole avant de clôturer les débats. Outre les remords, certains d’entre eux avaient aussi manifesté leur « confiance en la Justice ».

Attitude ambivalente

Salah Abdeslam, on s’en souvient, était resté quasiment muet durant toute la durée de l’instruction. Lors de son premier procès, celui pour la fusillade de Forest qui s’était tenu à Bruxelles en 2018, il avait adopté une attitude déroutante, entre détachement et victimisation. Dès la première audience, il avait aussi remis en question la légitimité de la Justice des hommes pour juger les combattants de l’Etat islamique.

A Paris, au fil des audiences, il est enfin sorti de cet insupportable mutisme mais il a continué à afficher une attitude ambivalente, oscillant cette fois entre arrogance, en tout début de procès, et compassion sur la fin. Comme lorsqu’il a présenté, en larmes, ses « condoléances et (ses) excuses à toutes les victimes ». 

A l’audience du 18 mars, il avait affirmé qu’il n’avait pas prêté allégeance à l’Etat islamique lorsqu’il avait convoyé les commandos jusqu’à Bruxelles, au cours de l’été 2015.  « Non, je ne faisais pas partie de l’Etat islamique. J’étais dans le même état d’esprit que les Ukrainiens qui vivent hors d’Ukraine et qui soutiennent leurs compatriotes (…). A cette époque, Abdeslam Salah, c’est pas le mec qui a envie de se faire péter. J’allais au casino, j’avais une copine, tout ça… ». A d’autres moments, comme lorsqu’on lui demandait qui était le cerveau des attentats, il reprenait la posture de « combattant », justifiant son « no comment » par le fait qu’il n’était pas « une balance ».

« Ce n’est pas parce que les gens ne font plus partie de ce monde que je dois rejeter la faute sur eux. Je ne balance pas ». Malgré l’insistance de ses avocats, il campait sur ses positions. « Il y a quelqu’un derrière tout ça. Mais je ne répondrai pas. Qu’est-ce que ça change pour la cour ? » avant de ponctuer sa réplique par un laconique « la vérité sera établie le jour de la résurrection. »

Au cours des débats, il avait également expliqué avoir renoncé à actionner sa ceinture explosive dans un bar du XVIIIe arrondissement de Paris par « humanité ».  » Quoi qu’on en dise, ce procès n’aurait pas du tout été le même si Salah Abdeslam avait gardé le silence. Il y aurait eu un profond sentiment d’échec si tel avait été le cas », avait fait valoir vendredi son avocat Martin Vettes lors des ultimes plaidoiries. 

Reste que son attitude inconstante avait semé le doute sur la sincérité de ses propos. Pour le parquet national antiterroriste, qui a requis la réclusion à perpétuité incompressible, les intervention de Salah Abdeslam s’apparentaient davantage à un « numéro d’équilibriste » exécuté par un criminel qui « cherche systématiquement à minimiser les faits ».

« Pas un psychopathe »

Investis d’une bien difficile mission, les avocats de Salah Abdeslam ont tenté au fil des audiences de lui (re)donner un visage humain pour lui éviter la peine la plus lourde du code pénal. Une peine, a souligné l’une de ses avocats, Me Olivia Ronen, qui n’a été prononcée que quatre fois pour des crimes commis sur des mineurs par des hommes tous reconnus « psychopathes au sens psychiatrique du terme ».  Or, Salah Abdeslam, a insisté la pénaliste, n’est « ni psychopathe ni sociopathe », il n’est qu’un « exécutant déserteur » qui n’a « pas tué ». 

Me Ronen est revenue longuement avec son confrère Me Martin Vettes sur « l’évolution » au cours des dix mois d’audience de celui qui s’était présenté au premier jour comme un « combattant de l’Etat islamique » mais qui s’était montré capable de quitter « cette carapace qu’il s’était consciencieusement construite en détention » pour finir par présenter aux victimes des « excuses sincères ». « Sanctionner Salah Abdeslam à la hauteur de la souffrance des victimes, c’est la loi du talion », avait ajouté sa consoeur Me Vettes.

Les juges de la cour spéciale ne lui ont pourtant reconnu aucune circonstance atténuante, aucune excuse. Ils ont considéré Salah Abdeslam comme coauteur des attentats de Paris, complice de meurtres, de tentatives de meurtre et d’enlèvements, le tout dans le cadre d’une bande organisée. La cour n’a pas non plus accordé de crédit à la déclaration selon laquelle Abdeslam a décidé de ne pas faire exploser sa ceinture de bombe par « humanité ».

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