Etienne Dubuisson

Provinces, …qui êtes-vous… que faites-vous ?

Etienne Dubuisson Conseiller communal - Fondateur de PROXIMITÉ

Les provinces, dont l’origine latine « pro victis » signifie « territoire des vaincus« , ont succédé aux Départements mis en place par la révolution française. Après l’indépendance, dans la Belgique unitaire, elles assuraient un rôle de proximité intermédiaire important, nécessaire et bien compréhensible, entre le gouvernement national et les communes.

A partir de 1970, notre pays se réorganise en état fédéral. Il se dote de structures supplémentaires, constituées de trois Régions et de trois Communautés tout en maintenant l’existence des provinces[1]. L’article 1er de la Constitution de 1831 qui affirmait que « La Belgique est divisée en provinces » devient « La Belgique est un Etat fédéral qui se compose des communautés et des régions « . Dès cet instant, les provinces, évincées du premier article de la Constitution sont l’objet de bon nombre d’interrogations quant à leurs compétences, leur rôle et même, leur existence.

Le site internet fédéral présente nos provinces de manière peu loquace, ambigüe et sans enthousiasme apparents: « les provinces sont des institutions autonomes« , elles « gèrent tout ce qui est d’intérêt provincial » et sont « soumises[2] » à l’État fédéral, aux Communautés et aux Régions.

La Wallonie qui, dans ses compétences, a le pouvoir de supprimer les institutions provinciales[3], les mentionne essentiellement pour les aspects touristiques et culturels.

En d’autres termes, outre son pouvoir fiscal, chaque province est compétente sur son territoire pour toutes les matières qu’elle estime relever de son intérêt provincial et qui ne relève ni de l’intérêt fédéral, communautaire ou régional, ni de l’intérêt communal.

En résumé, les provinces dont, seul les Conseil provinciaux sont encore mentionnés dans la Constitution[4], n’ont aucune compétence qualifiée de « provinciale » et leur intérêt est par contre « potentiellement illimité et absolument précaire« [5]. Elles se trouvent, en quelque sorte, rétrogradées au rang de subdivision territoriale et administrative, prises en tenailles entre le pouvoir communal et les niveaux supérieurs, constitués du Fédéral, des Régions et des Communautés[6].

Ce flou artistique est à l’origine d’un véritable malaise mais aussi de multiples interrogations et notamment en ce qui concerne l’importance de la structure administrative[7]et politique de ces provinces sans compétence propre. En Wallonie, les conseils provinciaux totalisent 223 mandataires[8], tandis que le parlement régional wallon ne compte « que  » 75 députés et la chambre des représentants, au niveau fédéral, 150! La même incompréhension existe au niveau des exécutifs. Les provinces wallonnes totalisent 22 « ministres provinciaux » ou députés provinciaux. C’est également plus qu’en Région wallonne et Communauté réunies !

Initialement voulues proches des citoyens, les provinces ont aujourd’hui totalement perdu ce contact et sont dans notre état fédéral, victime de leur discrétion. Elles sont souvent considérées, comme le maillon faible d’un territoire également partagé en arrondissements, districts, cantons et communes….sans compter les agglomérations et fédérations de communes, les intercommunales, les « para provinciaux » et les « para communaux », asbl, etc…sans oublier les zones de police et les zones de secours pour lesquelles les gouverneurs de province, fonctionnaires nommés par le gouvernement régional avec l’accord du ministre fédéral de l’intérieur, ont aussi une part de responsabilité.

Comment l’électeur peut-il s’y retrouver dans cet embrouillamini que certains appellent gentiment : « la lasagne institutionnelle » ? … en définitive, qui fait quoi ?….et qu’y fait-on ?

Sur le plan administratif, l’autonomie provinciale, permet notamment, à chaque province d’établir elle-même le statut de ses agents. Il en résulte à l’évidence une multitude de statuts, aux caractéristiques les plus diverses, variant d’une province à l’autre et différentes des échelons supérieurs[9]. L’absence d’un droit statutaire uniforme pour l’ensemble de la fonction publique ni même simplement commun pour la fonction publique du niveau provincial est à l’évidence une surcharge administrative, un frein à la mobilité du personnel, une réduction des possibilités de promotion et par conséquent, un facteur paralysant et peu valorisant.

Cette complexité de l’Etat fédéral a bien évidemment pour autre conséquence de multiplier les tâches administratives. En 2017, la Belgique comptait près de 678000 fonctionnaires[10], ce qui la place au deuxième rang européen au nombre de fonctionnaires par habitant, derrière Chypre et devant la Grèce.

L’image donnée par les provinces à travers leur site internet ressemble le plus souvent à celle d’une agence touristique ou culturelle vantant les excursions locales. Le citoyen ignore le domaine d’intérêt de sa province, son organisation et les aides qu’elle apporte aux communes. Le peu d’information en matière d’actions politiques et économiques ne fait pas apparaitre une valeur ajoutée à la gestion du pays ou de la région.

En matière économique, la Wallonie ne semble guère coopérer avec les institutions provinciales. Force nous est de constater que les provinces ne sont ni partenaires ni même citées dans le plan Marshall 4.0, laissant ainsi la place aux intercommunales, organismes politisés à outrance, non démocratiques, généralement distantes du citoyen et dont certaines sont à l’origine de nombreuses et récentes dérives.

Notre questionnement concernant nos provinces se poursuit encore lorsque le citoyen prend connaissance des motivations avancées pour justifier leurs relations internationales, leurs prospections économiques, touristiques, culturelles, du sport et de l’éducation qu’elles entretiennent avec de lointaines provinces étrangères de Chine, du Bénin, d’Ukraine, du Vietnam, de Tunisie, du Mali,[11]…… Les objectifs et les missions dans le cadre de ces politiques internationales sont repris sur les sites internet respectifs. Malheureusement, les prolongements, les réalisations ou les bénéfices qui en découlent ne font généralement pas l’objet d’un réel suivi ou d’une bonne communication d’intérêt général. Et puis, quelle est la valeur réellement ajoutée par cette « politique internationale » peu détaillée pour l’essentiel et en parallèle à celle organisée par le Fédéral, la Région, la Communauté ou encore par les missions économiques de l’agence wallonne à l’exportation (AWEX)[12].

Il est évident que toutes les facettes de la province ne sont pas reprises ici. Nous ne pouvons pas oublier le tourisme ou l’enseignement provincial, grand consommateur du budget et dont on peut logiquement se demander s’il ne devrait pas relever de la compétence de la Communauté…..

En réalité, on a construit une nouvelle structure fédérale sur les fondations de l’ancien état unitaire. Dans cet édifice, on semble avoir prévu une niche pour maintenir l’existence des provinces, devenues un pouvoir subordonné dépouillé de véritables responsabilités. Pouvoir qui forge l’indifférence par son manque de responsabilité, de visibilité et de bonne communication[13]. Les citoyens ne se sentent pas représentés au sein de ce pouvoir qui à leurs yeux vit pour lui-même ! Les mandataires provinciaux restent des inconnus dont on ignore …..tout, ….jusqu’à leur nom voire leur existence.

Supprimer les provinces ? …est-ce vraiment la bonne question ? Personne n’a la réponse ou plutôt tout le monde en a une mais ce qui est certain c’est que le citoyen, qui est aussi électeur, ne comprend plus sa démocratie, ne comprend plus ses dirigeants et la nébuleuse dans laquelle ils évoluent. Les structures politiques s’ajoutent, se multiplient, se superposent, le pouvoir politique s’en retrouve éclaté et les responsabilités sont disséminées. On ne sait plus comment ni pour qui voter ! Que reste-t-il de la légitimité populaire dans ce patchwork institutionnel ? Sur la route de la fédéralisation, la structure de notre Etat a véritablement déraillé. De plus, au-dessus des niveaux de pouvoir démocratiquement mis en place, nous ne pouvons ignorer la puissance des intercommunales et leur insolente indépendance, devant lesquelles les communes sont dépourvues d’un réel pouvoir de gestion et même d’influence. Ces organismes politisés à outrance, gérés par des nominations politiques soigneusement partagées et qui imposent leurs lois aux citoyens, ne sont-ils pas, dans leur forme actuelle, l’expression d’une déviance de notre démocratie ? Ne s’agit-il pas d’un détournement de la démocratie ?

La démocratie n’est respectée que si elle est en concordance avec les citoyens qu’elle est supposée représenter. Si ce n’est pas le cas, les niveaux de pouvoir et leur manière de fonctionner doivent être revus, corrigés et adaptés voire supprimés.

Un réel changement en profondeur s’impose donc. Il faut agir et agir c’est accepter d’innover, de progresser, de se remettre en question ! Ne pas agir, c’est stagner !

Il ne faut pas tout supprimer mais il faut simplifier, dégrossir les structures, les adapter aux réalités et besoins d’aujourd’hui. Nos professionnels de la politique doivent être reconnectés à la réalité, ils doivent accepter le besoin de réformes, renoncer à leurs privilèges et à la professionnalisation de la fonction politique car in fine, « un pouvoir quel qu’il soit, ne doit pas se survivre pour lui-même; il ne doit même pas survivre par reconnaissance des services qu’il a rendus« [14] .

Agir dans ce sens c’est rapprocher le citoyen du pouvoir politique ! C’est rapprocher les mandataires et les remettre en phase avec leurs administrés….c’est la voie pour doper la démocratie et la participation citoyenne. Ne pas agir serait vraiment assimiler les provinces à un « territoire des vaincus ».

PROXIMITÉ est un groupe rixensartois, indépendant de toute structure politique. Depuis 2006, ses élus siègent au Conseil communal, au Conseil de la Zone de Police et au Conseil du CPAS. Ils ne sont membres d’aucune intercommunale et ont fait le choix de n’avoir aucun autre mandat politique extérieur. Ils entretiennent, depuis plus de dix ans, un dialogue permanent avec les Rixensartois par le biais des « Carnets de PROXIMITÉ ».

[1] Les provinces sont au nombre de dix depuis la quatrième réforme de l’Etat (Jan95).

[2] Site des informations et services officiels : www.belgium.be

[3] Depuis 2014 – Sixième réforme de l’Etat : La Wallonie est compétente pour l’organisation des provinces. De ce fait, elle est en mesure de supprimer les institutions provinciales par décret spécial (à l’exception du Gouverneur de province qui reste le commissaire du Gouvernement fédéral). Notons que la Région est autorisée à créer des collectivités supra communales.

[4] Article 41 et 162

[5] Prof Behrendt – Université de Liège – Etude sur les hypothèses d’avenir des provinces wallonnes – Partie 1 – page 26 §73 -Mar18)

[6] En Région Wallonne, les provinces sont régies par le Code de la Démocratie Locale et de la Décentralisation. (CDLD)

[7] La province de Liège affiche un cadre de 2865 personnes (Ref : site de la province)

[8] Depuis le 1er janvier 2019, la région flamande a réduit le nombre de conseillers provinciaux flamands de moitié (actuellement 175).

[9] Wallex : Circulaire relative aux principes généraux de la fonction publique locale et provinciale – 27 mai 1994

[10]Trends – Public sector – N° 21 – Oct 2017 – (R. Janvier chargée de cours à l’université d’Anvers).

[11]La province du Hainaut a passé un accord avec la province chinoise de Human et celle de Poltava (Ukraine) où elle a même ouvert un bureau de représentation en 2005.

La province du Luxembourg entretient un accord de partenariat avec le département du Zou au Bénin et un accord bilatéral avec la province Heilongjiang en république démocratique de Chine.

La province de Namur entretient un jumelage avec la province chinoise de Jiangsu.

La province de Liège entretient depuis plus de trente ans un jumelage avec la province chinoise de Fujian. Elle entretient également des liens avec des provinces du Vietnam, de Pologne, de Tunisie.

La province du Brabant Wallon entretient un jumelage avec la province chinoise d’Anhui.

[12] La province du Brabant Wallon reconnait que les visites officielles et les accords dans les relations internationales devraient être gérés par d’autres niveaux de pouvoir.(Ref : Prof Behrendt – Université de Liège – Etude sur les hypothèses d’avenir des provinces wallonnes – Partie 1 – page 6 §258 -Mar18).

[13] Ce manquement est reconnu par les provinces elles-mêmes (Ref : Prof Behrendt – Université de Liège – Etude sur les hypothèses d’avenir des provinces wallonnes – Partie 3 – page 19 §252 -Mar18 – déclaration de la province du Brabant wallon).

[14] Delperée : « le Rôle des provinces dans les institutions de demain » propos tenu en 1973.

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