Procès des attentats à Paris : un premier enquêteur à la barre déjà interrompu par Abdeslam © belga

Procès du 13 Novembre: Abdeslam affirme avoir renoncé à « enclencher » sa ceinture explosive

Le Vif

Salah Abdeslam avait lui gardé le silence pendant l’enquête, de manière quasi constante. Aujourd’hui commence son interrogatoire sur le fond du dossier des attentats du 13 novembre.

Je n’ai tué personne et je n’ai blessé personne », a affirmé ce mercredi Salah Abdeslam, le principal accusé du procès des attentats du 13-Novembre, au début de son premier interrogatoire sur le fond du dossier, cinq mois après l’ouverture de l’audience. « Depuis le début de cette affaire, on n’a cessé de me calomnier », a ajouté le Français de 32 ans, lors d’une déclaration spontanée devant la cour d’assises spéciale de Paris. « ‘Calomniez, calomniez’ conseillait Voltaire, il en restera toujours quelque chose. » À l’avenir quand un individu sera dans un métro avec une valise explosive, et qu’au dernier moment, il veut faire marche arrière, il saura qu’il n’aura pas le droit de faire ça, car il sera enfermé et humilié. » L’accusé a confirmé son adhésion et son soutien au groupe terroriste État islamique. « Le monde occidental impose son idéologie au reste du monde. (…) Pour nous les musulmans, c’est une humiliation », a-t-il déclaré. « Je supporte l’État islamique, je suis avec eux, je suis pour eux, je les aime. »

« Les personnes qui n’ont tué personne, on ne peut pas les condamner comme si on avait les têtes de l’État islamique, ce n’est pas possible », a-t-il déclaré. « En réalité, on se dit ‘j’aurais dû l’enclencher ce truc’ (..), on se dit ‘est-ce que j’ai bien fait de faire marche arrière ou j’aurais dû aller jusqu’au bout?’

« Je ne suis pas le seul (parmi les accusés) à parler de marche arrière, on a entendu plusieurs personnes dire +moi je ne suis pas capable, je me suis ravisé+ », a-t-il répondu.

Salah Abdeslam justifie sa radicalisation rapide par sa « peur de Dieu et de l’enfer

« 

Interrogé par l’avocate de l’association française des victimes du terrorisme, maître Josserand-Schmidt, partie civile, Salah Abdeslam a justifié sa radicalisation, décrite comme rapide par plusieurs intervenants, par sa « peur de Dieu, de l’enfer et du châtiment de Dieu ». « Au départ, je profitais de la vie. Grâce à ce qu’il s’est passé en Syrie, ça a commencé à m’intéresser, j’ai voulu les aider même si je n’étais pas pieux. »

L’accusé a également mis en évidence l’influence importante de son frère, Brahim Abdeslam, terroriste décédé lors des attentats de novembre 2015, sur sa participation aux attaques terroristes. « C’est aussi grâce, ou à cause, de mon frère, c’est lui qui m’a tiré vers ça. J’avais confiance en lui. Je savais qu’il ne voulait pas ma perte », a-t-il témoigné. Interrogé sur la confiance que lui a témoigné le groupe terroriste État islamique alors qu’il n’avait jamais entrepris de voyage en Syrie, l’accusé l’a justifiée par la confiance que lui exprimait son frère. « Je n’avais pas de contact avec l’État islamique », a-t-il précisé.

L’avocate a également demandé à l’accusé pourquoi il ne s’était jamais rendu en Syrie. « À cause des attaches que j’avais ici en Belgique, mes parents, ma fiancée, j’étais dans une impasse, je ne pouvais pas les abandonner. Je ne savais plus quoi faire », a répondu Salah Abdeslam.

Interrogatoire de fond

Pour ce premier interrogatoire, prévu sur deux jours, le seul membre encore en vie des commandos qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis (banlieue parisienne) ne sera questionné que sur la période antérieure à septembre 2015. Les principales énigmes en suspens le concernant – quelle était sa mission exacte, a-t-il renoncé à actionner sa ceinture d’explosifs – devront donc attendre les prochains interrogatoires. La cour d’assises spéciale de Paris va pour l’heure s’intéresser au basculement dans la radicalité du Français de 32 ans, lui qui avait la réputation d’un « fêtard », adepte des casinos et des boîtes de nuit. Salah Abdeslam devrait aussi être interrogé sur le séjour en Syrie de son frère Brahim – futur tueur des terrasses parisiennes – début 2015, et sur son ami Abdelhamid Abaaoud, qui deviendra le coordinateur des attentats parisiens. Un « chouette gars » avec qui il avait perdu contact, avait-il assuré aux policiers belges en février 2015. La cour tentera enfin de faire la lumière sur un mystérieux voyage qu’il a lui-même fait en Grèce l’été suivant, avec l’un de ses coaccusés.

Depuis mi-février et le début des interrogatoires des 14 accusés présents devant la cour, deux d’entre eux ont déjà exercé leur droit au silence. Le Suédois Osama Krayem d’abord, pour qui « ce procès est une illusion », et qui a refusé pendant de longues semaines de comparaître avant de reprendre place dans le box mardi, puis le Belgo-marocain Mohamed Bakkali. « Ma parole est toujours suspecte, elle n’a pas de valeur », a-t-il expliqué, résigné, à la cour.

« Soldat »

Salah Abdeslam avait lui gardé le silence pendant l’enquête, de manière quasi constante. Il avait parlé une fois pour dédouaner un coaccusé, une autre pour se lancer dans une tirade religieuse. Mais depuis le début du procès, il a déjà largement fait connaître sa position : le premier jour, en se présentant comme un « soldat » de l’Etat islamique, puis plus tard, en déclarant que « le 13-Novembre était inévitable », à cause des interventions françaises en Syrie. Avant d’appeler au « dialogue » pour éviter d’autres attaques, sous le regard atterré des parties civiles.

Parfois virulent au début, Salah Abdeslam a ensuite « joué le jeu » du procès, s’accordent à dire les parties civiles. Avec pour exception une absence du box pendant plusieurs semaines – avec certains de ses coaccusés – pour protester contre l’absence physique à la barre des enquêteurs belges. A l’audience, autant son « pote » Mohamed Abrini (« l’homme au chapeau des attentats de Bruxelles ») est expressif dans le box, autant Salah Abdeslam ne laisse rien transparaître quand on parle de lui. Tout juste avait-il baissé la tête quand la femme d’un de ses coaccusés avait fondu en larmes pendant son audition. « Cette personne-là (Salah Abdeslam), elle m’a aussi volé une partie de ma vie », avait craqué la femme de Mohammed Amri, l’ami qui a pris sa voiture la nuit des attentats pour ramener le « dernier homme » du commando à Bruxelles. Les auditions de trois proches de Salah Abdeslam sont prévues mercredi – sa mère, sa soeur et son ex-fiancée. Mais leur venue, à la barre ou en visioconférence, reste incertaine.

Décrit comme « influençable », « fêtard », « sensible et aimant » par des proches

En l’absence de la mère, de la soeur et de l’ex-petite amie de Salah Abdeslam, initialement attendues comme témoins lors de son audition mardi devant la Cour d’assises spéciale à Paris, la Cour a procédé à la lecture de deux lettres écrites par la mère et la soeur de l’accusé. Les procès-verbaux d’auditions de ces trois intervenantes ont également été lus.

« Je n’ai pas eu la force de venir témoigner aujourd’hui », écrit la soeur de l’accusé dans un courrier daté du 6 février. Elle y déplore par ailleurs la « diabolisation » dont ferait l’objet son frère et souligne, comme l’accusé l’a lui-même déclaré lors de son audition, qu’il « n’a tué personne ». Salah Abdeslam est également décrit comme « sensible et aimant ».

La mère de Salah Abdeslam a également adressé une missive à la Cour, datée du 17 janvier. « J’aurais aimé me présenter à vous par respect pour les familles des victimes et pour la cour, mais je n’en ai pas la force », écrit-elle. « Je mesure la gravité des faits, mais je n’en reste pas moins une mère qui a élevé ses petits. Avec mon mari, nous les avons éduqués du mieux que nous pouvions et dans les valeurs d’un islam modéré. »

Sa lettre dévoile également le lien de proximité qui unissait Salah Abdeslam à son frère Brahim, terroriste du commando du 13 novembre, et à Abdelhamid Abaaoud, cerveau des attentats terroristes.

« Six ans après, je reste inconsolable comme vous », poursuit-elle dans son courrier. « J’ai l’espoir que vous examinerez le dossier de la manière la plus juste. Je constate que mon fils n’a tiré sur personne et ne s’est pas fait explosé. J’aimerais qu’il ne paye pas pour ceux qui se sont fait exploser. »

Des procès-verbaux d’auditions ont également été lus lors de l’audience. L’ex-petite amie de Salah Abdeslam, le décrit lors de ses auditions comme « un gars gentil, intelligent, avec de la conversation. » Elle explique également que l’accusé n’était pas pratiquant lors de leur relation. « Il n’a jamais été pratiquant. Je l’ai fréquenté plus de 8 ans et il n’a jamais parlé de religion, sauf peut-être sur la fin. Il en parlait un petit peu, mais pour moi, c’était des paroles en l’air », avait-elle témoigné. Elle précise par ailleurs qu’il était « fêtard » et avait de « mauvaises fréquentations ».

Selon la jeune femme, l’homme originaire de Molenbeek était « influençable » et aurait été amené à participer aux attentats par Abdelamid Abaaoud, considéré comme le chef opérationnel des attentats du 13 novembre 2015. La jeune femme s’est dite « choquée et horrifiée par ce qui s’est passé », selon le procès verbal.

Appelé à réagir à la lecture de ces témoignages par le président de la Cour, Salah Abdeslam a répondu: « Vous souffrez, mais nous aussi on souffre ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire