Pourquoi tant de haine en Flandre contre la Résistance ?
De la réprobation muette à l’hostilité ouverte, la moitié nord du pays chérit assez peu la Résistance.
Dur, dur d’avoir été résistant en Flandre. Le profil a souvent valu d’y sentir le soufre. Comme s’il avait choisi le mauvais camp durant la guerre : celui de l’antifascisme, de l’extrême gauche, du patriotisme belge, de la bourgeoisie francophone. Sympathies ou fréquentations impardonnables dans les milieux nationalistes flamands qui se sont acoquinés avec l’occupant nazi. Le résistant y passe pour un traître à la cause, entre terroriste et voyou opportuniste suspecté de s’être honteusement enrichi grâce au marché noir, pendant que sur le front de l’Est, le combattant flamingant se battait et mourait pour un idéal.
» Sortie vainqueur de la guerre, la Résistance reste à ce jour la vaincue du souvenir en Flandre. La Flandre ne connaît aucun héros de la Résistance, elle ne connaît que des martyrs de la collaboration « , ont pu écrire les historiens Bruno De Wever et Koen Aerts (université de Gand). » Lorsque je demande à un auditoire des noms de collaborateurs, les réponses fusent « , prolonge le professeur Aerts, » quand je tente l’exercice à propos de résistants, c’est le silence « . Un silence qui en dit long.
Bruno De Wever ne croit pas forcer le trait quand il résume : » En Flandre, le vrai résistant est un résistant mort, celui qui n’est pas revenu des camps. » Ceux qui ont survécu font donc souvent figure de planqués. Ou, pire encore, de ces » résistants de la dernière heure » détestés pour avoir été les suppôts de la traque aux collabos.
Cette ignominie a suffi à rendre les résistants pour longtemps indésirables à la tour de l’Yser, à Dixmude. Hors de question d’inhumer un des leurs dans la crypte du haut lieu du nationalisme flamand, où on finira tout de même par renoncer à accueillir les restes d’un combattant du front de l’Est. Et lorsqu’au début des années 1950, des survivants des camps nazis s’invitent au pèlerinage de l’Yser, les huées et les vociférations obligent le cortège à passer son chemin sous haute escorte policière.
Profil bas. Le résistant flamand doit se résigner à voir un lieu d’exécution parfois vandalisé à la veille d’une commémoration ou sacrifié sans ménagements à l’extension du port de Gand, comme l’enclos des fusillés à Rieme, en 1988. L’évocation d’un engagement contre la barbarie nazie se fait aussi discrète sur les plaques de rue et les monuments de Flandre.
15 juillet 1944, une voiture de la Gestapo s’engage Papegaaistraat à Gand. A son bord, le namurois Albert Mélot, alias » Martin « , gros poisson de la Résistance. Panique à Londres : il faut sauver le résistant » Martin » des griffes de la police secrète allemande. Le grand jeu est sorti. Le véhicule est neutralisé en plein jour, deux gestapistes liquidés, le prisonnier exfiltré. Papegaaistraat, rien ne rappelle cette spectaculaire libération. C’est que les Gantois n’ont pas oublié la centaine de personnes arrêtées et internées en guise de représailles.
Le travail de dénigrement laisse des traces. Jusqu’à inspirer, observe Bruno De Wever, » un sentiment de honte chez certains descendants de résistants, pour les abus commis lors de la répression de la collaboration, vécue comme un scandale dans la mémoire collective flamande « . La parole bientôt donnée aux » enfants de la Résistance » par la VRT/Canvas s’attaquera à un tabou. Pour peu que les langues osent se délier. Geert Clerbout, un des responsables du programme, confie son optimisme : » Notre appel à témoins suscite déjà un énorme retour. » Annonciateur d’une envie de se libérer d’une minorité jusqu’ici silencieuse.
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