
« Une occasion manquée » : pourquoi le vote des jeunes de 16 et 17 ans au scrutin européen pèsera peu dans la balance (analyse)
Les jeunes de 16 et 17 ans auront la possibilité de voter aux élections européennes, sans inscription préalable, a tranché vendredi le gouvernement. De quelle marge de manœuvre dispose réellement cette catégorie d’âge pour influencer l’issue du scrutin ? Décryptage.
C’est une première dans l’histoire de la Belgique. Le 9 juin 2024, les jeunes âgés de 16 et 17 ans pourront se rendre aux urnes dans le cadre des élections européennes. Cette décision, qui fait de la Belgique le 4e pays européen à élargir ce scrutin aux mineurs, avait été actée en 2022. Mais un flou persistait autour des modalités pratiques. Vendredi, le Conseil des ministres a finalement confirmé qu’aucune inscription préalable ne serait nécessaire pour participer, mais que le vote resterait non obligatoire, contrairement à celui des 18 ans et plus.
Concrètement, à peu près 260.000 jeunes sont concernés par cette nouveauté. Selon les données de Statbel, quelque 241.000 Belges auront atteint l’âge de 16 ans d’ici juin 2024 et pourront se rendre aux urnes, auxquels il faut ajouter les citoyens de l’UE du même âge résidant en Belgique. « Au total, les 16-17 ans représentent environ 2,9% du corps électoral belge pour le scrutin européen, précise Robin Lebrun, collaborateur scientifique au Cevipol, le Centre d’Etude de la Vie Politique de l’ULB. Mais ça, c’est la fourchette la plus haute. Dans les faits, il faudra voir quel pourcentage fera vraiment la démarche d’aller voter. »
Surreprésentation du vote blanc et nul
Même avec une participation maximale, l’influence de ce groupe d’âge sur l’issue du scrutin européen devrait rester marginale. D’autant que leur vote sera dilué dans plusieurs circonscriptions. « Il est peu probable qu’ils impactent l’élection en terme d’ordre des partis ou de distribution des sièges, confirme Robin Lebrun. Mathématiquement, il est quasi impossible que leur participation pèse sur les têtes de listes, qui bénéficient du pot commun. Leur seule influence pourrait résider dans les votes nominatifs (votes de préférence), par exemple s’il y a un ballotage entre le deuxième et le troisième candidat. »
Lire aussi | Élections 2024: voici quand et où voter
Difficile de prédire le nombre exact de mineurs qui souhaiteront exprimer leur voix. Mais au vu de l’abstention grandissante dans les pays où le droit de vote n’est pas obligatoire, les chances d’une participation massive semblent faibles. En Belgique, les derniers sondages réalisés à la sortie des urnes en 2019 ont également montré une prévalence du vote blanc et nul chez les primo-votants – âgés, à l’époque, entre 18 et 23 ans.
Une opportunité d’apprentissage
Le caractère non obligatoire du vote risque également de renforcer les inégalités entre jeunes. « En Belgique, l’éducation politique se fait dans le cercle familial, très peu au sein du milieu scolaire, recadre Robin Lebrun. On peut s’attendre à ce que les jeunes issus de milieux sociaux plus favorisés aillent davantage voter que ceux issus de classes moins favorisées. Cela pourra se traduire par des déséquilibres, voire une surreprésentation de certains partis dans les votes des jeunes. Mais encore une fois, comme l’influence de cette catégorie de votants reste marginale, la potentielle surperformance de certains groupes politiques ne se traduira pas dans les résultats globaux de l’élection. »
Robin Lebrun voit en ce vote non-obligatoire une « occasion manquée » de renforcer la participation politique et la confiance des jeunes Belges en les institutions. « La première élection constitue un moment crucial pour les jeunes, estime le chercheur. Elle contribue à leur socialisation politique et détermine toute une série d’attitudes en tant que citoyen ». En Ecosse, par exemple, la participation des 16 et 17 ans au référendum sur l’indépendance en 2014 a permis, sur le long terme, d’augmenter considérablement l’intérêt et la participation politiques au sein de la population. « En ne rendant pas le vote obligatoire, on manque malheureusement cette opportunité d’apprentissage à grande échelle, déplore Robin Lebrun. Certains jeunes vont bénéficier de cette première expérience, mais pas d’autres. Cela risque de renforcer les inégalités à long-terme. »
« Un calcul électoral »
L’élargissement du droit de vote aux 16-17 ans, mais sans le rendre obligatoire, est en réalité le fruit d’un compromis entre les partis de la Vivaldi. « C’est avant tout un calcul électoral, rappelle Robin Lebrun. Toute modification des règles du scrutin va bénéficier à un parti politique, mais moins à un autre. »
Ecolo, qui peut espérer rafler davantage de voix chez les jeunes générations, a par exemple fait du droit de vote à 16 ans un cheval de bataille. Le vice-Premier ministre Georges Gilkinet a d’ailleurs salué la décision du kern, vendredi. « Une démocratie moderne et vivante, c’est une démocratie inclusive. Nos jeunes sont les premiers concernés par les décisions politiques qui influenceront leur avenir. Leur avis compte. Je me réjouis donc de cette nouvelle opportunité qui leur est donnée d’exprimer leurs opinions politiques ! ». Les Verts veulent désormais généraliser cet abaissement du droit de vote à 16 ans aux élections communales, régionales et législatives.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici