Un an après les élections du 9 juin 2024, leurs vainqueurs n’ont pas fait que monter dans les gouvernements. Ils ont aussi répété que ce n’était pas leur faute si les autres avaient échoué, et que cela ne le sera pas s’ils échouent.
Depuis les élections basculantes du 9 juin, Bart De Wever a fait savoir qu’il sauverait la Belgique.
Dans son bureau du 16 rue de la Loi, aux francophones de RTL il dit, devant un drapeau belge et un drapeau européen, que les économies sont nécessaires pour éviter la faillite au royaume, et le MR et Les Engagés sont d’accord avec ça. Depuis le même endroit mais sous un autre angle, aux Flamands de VTM il dit, devant son sceptre anversois, que les réformes du chômage et de la maladie marquent la fin des transferts nord-sud et sont une réforme de l’Etat en soi parce qu’elles ne toucheront vraiment que les Wallons et les Bruxellois, et Vooruit et le CD&V sont d’accord avec ça.
Georges-Louis Bouchez, lui, a fait savoir que la gauche, c’était fini en Belgique, en Wallonie mais aussi à Bruxelles, où il ne parvient pas à s’associer avec la gauche. Maxime Prévot a fait savoir qu’il préférait s’en aller courir le globe que de continuer à tourner en rond sur des échasses de Mélan ou d’Avresse.
A Bruxelles, Paul Magnette a fait savoir qu’il avait perdu les élections et que personne ne voulait gouverner avec lui mais qu’il serait constructif, tandis qu’Ahmed Laaouej a fait savoir que lui, il n’avait pas perdu les élections et qu’il ne voulait pas gouverner avec la N-VA mais qu’il serait constructif.
Les écologistes ont fait savoir qu’ils allaient réfléchir.
Le PTB n’a rien fait savoir, à part qu’il n’est d’accord avec rien, et il espère que personne ne remarque qu’il a perdu les élections en Wallonie et qu’on l’oublie un peu.
DéFI n’a rien fait savoir non plus, parce que personne ne le remarque plus, même s’il voudrait qu’on ne l’oublie pas.
Mais ce n’est pas tout.
Ils font des choses, mais elles consistent surtout à défaire ce qu’ils accusent les autres d’avoir fait.
Ils ont fait savoir que ce n’était pas leur faute
Parce que pour se figurer la politique belge à notre époque, un an après les élections basculantes du 9 juin 2024, il faut s’imaginer une charpente assemblée sur trois axes, au faîte de laquelle trônerait, heureux comme un astre malgré son visage de pluie, Bart De Wever, Premier ministre des Belges et patron de tous les Flamands.
Ces trois axes se croisent pour soutenir Bart De Wever.
En Flandre, sa Région, c’est un axe N-VA-Vooruit, c’est important pour lui, c’est une alliance qu’il a nouée avec le jeune président de Vooruit Conner Rousseau bien avant les élections, et Vooruit est le seul parti flamand, extrême droite et extrême gauche exceptées, à ne pas avoir perdu les élections par rapport à 2019.
En Belgique francophone, ce n’est pas la Région de Bart De Wever, c’est un axe MR-Les Engagés, c’est important pour les francophones mais aussi pour Bart De Wever. C’est une alliance que Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot ont triomphalement nouée grâce aux électeurs, qui les ont tous deux portés à un triomphe wallon et à une bonne performance bruxelloise.
Au fédéral, c’est le pays de Bart De Wever bien qu’il le déplore, c’est un axe N-VA-MR, c’est important pour tous les Belges. C’est une alliance que Bart De Wever et Georges-Louis Bouchez ont nouée après les élections, que le Premier n’avait pas perdues et que le second avait gagnées. Cet axe fédéral ne dénoue pas les alliances régionales, au contraire même, il les complète. Même si parfois il y a de la bagarre, des chevrons qui se désaxent ou des voliges qui triangulent, surtout ces derniers temps.
Parce que ces quatre partis qui forment trois axes ont un point commun, tous les quatre sont au pouvoir partout où c’est possible, et ont porté en campagne une rhétorique similaire, celle du renouvellement, de l’alternance, de la nouveauté, contre l’usure du pouvoir partout où il s’exerçait. Les plus légitimes à cette position, et ceux qui en conséquence se sont autorisés les promesses les plus irréalistes en campagne électorale, ce sont Les Engagés, qui étaient dans l’opposition partout pendant toute la législature précédente. Mais le dégagisme contemporain, la seule recette prouvée qui ne fait pas perdre les élections, est la déresponsabilisation. Il faut décrire la charpente comme mérulée, et en faire porter l’architecture aux autres. Vooruit l’a fait depuis l’opposition à l’échelon flamand, la N-VA l’a fait depuis l’opposition au fédéral, le MR, qui est la formation qui a le plus pesé sur les politiques publiques francophones ces dix dernières années, l’a fait en étant au pouvoir partout. Dans une gouvernance multiniveau comme la Belgique, il est particulièrement audacieux de faire semblant que tout est la faute de ceux d’avant, alors qu’on était soi-même là, avant, et qu’on est donc toujours un peu responsable de quelque chose. Mais les vainqueurs des trois axes, se sont rejoints, dans les gouvernements flamand, wallon, de la Fédération Wallonie-Bruxelles et fédéral, pour proclamer leur irresponsabilité quant à tout ce qui va mal. Les gagnants du 9 juin l’ont mieux fait savoir que les perdants. Mais ceux-ci, fussent-ils lancés sur la voie autocritique de refondations sans tabou, répètent tout autant que ce qui va mal n’était pas de leur faute: aussi bien Paul Magnette que la nouvelle coprésidence écologiste ne cessent d’attribuer leurs mauvaises fortunes électorales à la méchanceté du MR, à la fourberie des Engagés, au cynisme de la N-VA, au trumpisme, aux fake news, aux médias, à la droitisation du monde et à tous ces phénomènes à la confortable exogénéité.
Les convaincantes déclarations d’irresponsabilité ont mené leurs partis au pouvoir. Ils font des choses, oui bien sûr, mais ces choses consistent surtout à défaire ce qu’ils accusent les autres d’avoir fait. C’est toujours le plus grand parti qui porte le plus de poids politique, bien sûr, mais le plus petit apporte une orientation décisive. La constitution de l’axe N-VA-Vooruit, en Flandre, a mené à un renforcement de dispositifs sociaux et quasi régaliens en Flandre. Ainsi la ministre flamande de la Justice, Zuhal Demir (N-VA), paie-t-elle plus de bracelets électroniques qu’elle ne devrait le faire pour compenser l’impécuniosité du Service public fédéral Justice. Et les ménages modestes flamands profitent pour l’achat d’électroménager durable de généreuses primes obtenues par Conner Rousseau et distribuées par la ministre flamande de l’Energie et du Climat, Melissa Depraetere (Vooruit) tandis que les écoliers devraient bientôt gratuitement «dîner chaud» le midi. Avec Vooruit en Flandre, la N-VA n’est pas du tout opposée à un Etat social, pourvu qu’il soit flamand.
Alors que l’axe régional flamand ajoute des moyens, des politiques publiques, des symboles aussi, l’axe MR-Les Engagés, en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles, doit, lui, conduire à la réduction de la voilure à ces deux niveaux de pouvoir, et idéalement aussi à Bruxelles, parce que des décennies de socialisme régional ont fini par étrangler les classes moyennes, qui votent pour ces deux partis, au profit de certains inactifs qui, eux, quand ils votent, ne le font pas pour eux. Les Engagés et le MR ne sont pas contre des économies qui atteignent d’autres électorats que le leur –pour résumer, les malades et les mutuelles, non, les chômeurs et les syndicats, oui– pourvu que le leur, d’électorat, ne se laisse pas trop toucher.
Au fédéral, l’axe N-VA-MR s’accorde sur cette compatibilité en diminuant l’amplitude de l’Etat social belge. Les nationalistes flamands de Bart De Wever se satisfont de la modestie imposée aux finances publiques belges libérées, autant que possible, des pesants transferts nord-sud, modestie que doivent compenser des initiatives flamandes. Les libéraux de Georges-Louis Bouchez peuvent se gargariser de l’allégement des dispositifs d’assurance et d’assistance sociales, auquel contribuent les entités francophones enfin libérées des lourdeurs socialistes. Le MR est heureux de s’en prendre à ce qu’il y a de socialiste dans l’Etat social national, la N-VA se plaît d’en limiter ce qu’il a de national. Dans les deux cas, ce n’est jamais leur faute si la Belgique est aussi belge ou aussi socialiste.
Et cela ne sera pas leur faute s’ils ne mènent pas leur mission à bon terme.
Bart De Wever tout spécialement, qui trône au faîte de sa charpente tout en donnant l’air d’en porter tout le poids sur ses seules épaules, est déjà en train de s’exonérer de la responsabilité de n’avoir pas défait tout ce qu’il accusait les autres d’avoir fait. Sa tâche est titanesque, dit-il partout dans les deux langues, parce qu’à cause de son prédécesseur, la Belgique est le Titanic. Mais le sécessionniste qui promettait d’empêcher la scission de la Belgique s’est engagé pour cela à remettre de l’ordre dans le budget, et la Cour des comptes, la Banque nationale et même, c’est pire encore, la Commission européenne ont ridiculisé ses ambitions budgétaires. La trajectoire, disent-ils, n’est pas meilleure sous De Wever que sous De Croo, et c’est même plutôt le contraire.
Il n’est pas exclu que demain, les axes se fracturent entre paires d’autres coupables.
Ils vont faire savoir qu’il faut parler d’autre chose
Sur les trois axes et sur le faîte de la toiture, on profite de sa visibilité pour dire que c’est toujours la faute des autres si ce qu’on fait pour défaire l’œuvre des autres booste la mérule plutôt que de l’éliminer. Il n’est pas exclu que demain, les axes se fracturent entre paires d’autres coupables, que le MR trouve que c’est la faute des Engagés qui sont trop à gauche et de la N-VA qui est trop séparatiste, que la N-VA trouve que c’est la faute de Vooruit qui est trop à gauche et du MR qui est trop belgicain, et que Les Engagés trouvent que c’est la faute du MR qui est trop à droite et de la N-VA qui est trop séparatiste si tout va toujours aussi mal.
Et il est certain que tous feront savoir qu’ils travaillent aussi et surtout sur d’autres choses, l’immigration, la guerre en Ukraine, le conflit au Proche-Orient, l’Eurovision de la chanson ou le respect qui se perd dans l’enseignement, que ce sur quoi ils avaient dit travailler en priorité, l’économie et les finances publiques.