Le «parlement» du MR s’est réuni dans une tension palpable, ce lundi. Les députés ont fait part de leurs doutes et de leurs interrogations quant à la ligne du parti et la stratégie de Bouchez, qui leur a répondu dans un style bien à lui.
Depuis quelques semaines, les échanges lors des grandes réunions internes du MR sont enregistrés, par souci de facilité pour le personnel chargé de rédiger les PV, selon la version officielle du parti. La version officieuse fait plutôt état d’un déficit de confiance dans les rangs libéraux. «Comme La Libre va certainement faire un article dans les cinq prochaines minutes, je voudrais que le journaliste dispose des verbatims précis des uns et des autres», ironisait Georges-Louis Bouchez à l’aube d’un conseil de parti (l’organe souverain du MR entre les congrès) électrique. Jamais repu de coulisses, Le Vif s’est procuré un enregistrement de la réunion du lundi 8 septembre.
L’incident commence lorsque Michel De Maegd demande la parole, avant même l’introduction de Georges-Louis Bouchez, afin de faire part au président de nombreux messages reçus «d’élus locaux, de militants et de mandataires qui m’interpellent et font état d’un vrai malaise profond sur les décisions prises pendant l’été». Ces décisions portant notamment sur la mise à l’écart du député d’une émission de la RTBF sur la situation à Gaza. «Je suis à la tête d’un club de foot, tu sais, et le coach prend des décisions tous les week-ends. Si à chaque fois qu’un joueur doit rester sur le banc, quelle que soit sa qualité, il va gueuler sur le coach, il n’y a plus d’équipe», tacle le président du MR. Qui souhaite passer à autre chose. Or, ce conseil de parti ne portera que sur ce dossier.
Une ligne resserrée
«La position [du MR sur Gaza] a été arrêtée par l’ensemble des ministres, par les chefs de groupe, par le président, reprend ensuite Georges-Louis Bouchez. Je peux entendre, admettre et accepter que des députés ne soient pas à l’aise et l’expriment. Mais être entendu, ça ne veut pas dire que la position doit changer. On a gagné les élections parce que parfois j’ai adopté des lignes qui ne recueillaient pas l’unanimité.» «J’ai défendu mot pour mot ce verbatim [communiqué sur le groupe WhatsApp des députés libéraux], répond Michel De Maegd. Donc, j’ai été on ne peut plus loyal avec la ligne du parti.»
Réunion tendue au MR: un organigramme confus
Face aux inquiétudes des uns, d’autres se muent en médiateurs. Denis Ducarme a salué le travail de son collègue De Maegd, puis l’a recadré. «Ca nous est arrivé à tous d’être écartés d’un débat, et on n’est pas sorti publiquement pour autant. Je pense que tu as fait une erreur.»
«Tu es au moins trois ou quatre fois mieux payé que moi.»
Le duel De Maegd-Bouchez s’est soldé par un échange lunaire concernant la rémunération des protagonistes. On les entend se reprocher un manque de respect dans leurs expressions publiques récentes.
– «Payé pour fermer sa gueule, je ne l’ai pas oublié», commence Michel De Maegd.
– «Je n’ai pas dit ça. Tu vois, tu déformes», rétorque Georges-Louis Bouchez.
– «Très bien payé pour appuyer sur le bouton.»
– «Tu es très bien payé, comme moi», rétorque Georges-Louis Bouchez.
– «Tu es au moins trois ou quatre fois mieux payé que moi!»
– «Pas trois ou quatre fois, j’ai à peine le double de ta rémunération pour un travail important et une responsabilité élevée.»
Soupirs généralisés.
«Quand les gens votent pour un parti politique, c’est what you see is what you get.»
Chacun y va ensuite de son commentaire quant au style présidentiel. Le député wallon Jean-Paul Wahl constate pour sa part un changement de style dans le processus de communication du parti. «Le conseil [du parti] est surtout devenu une instance où on est informé, mais on n’a pas vraiment le temps d’y faire un débat.» Le député brabançon Nicolas Jansen abonde. «Si on prend l’exemple du Brabant wallon, par rapport à Gaza, notre position passe très mal. (…) Sur la question climatique, pourquoi ne pas encourager un message plus nuancé, plus complexe, avec des points de vue différents qui sont relayés?»
«Parce qu’on est un parti politique et pas un centre d’études, réplique le boss du MR. Et quand les gens votent pour un parti politique, c’est what you see is what you get.»
Adrien Dolimont, Ministre-Président wallon, appelle pour sa part à plus de clarté dans l’organigramme du MR, afin que chacun puisse mieux saisir les lignes du parti. «Parce que les réformes, elles commencent seulement, et ce ne seront pas de petites réformes, mais des réformes très difficiles qu’on va devoir porter tous ensemble.» Marie-Christine Marghem, bourgmestre de Tournai, recommande la vigilance à son président. «Nous sommes la lance, la grande famille du MR, et il y a un fer de lance qui est Georges-Louis Bouchez. Mais le fer de lance ne doit pas oublier que sans la lance, il n’ira pas très loin.»
«On tient bon, on s’efforce de rester sur la ligne du parti, mais on aimerait être davantage écoutés, intervient le député bruxellois Sadik Koksal. Si on n’a pas l’occasion de s’exprimer, eh bien on va aussi sortir au niveau des médias.» L’élu est coupé par son président. «Qu’est-ce que tu vas dire que je ne sais pas sur Gaza?»
«En 2029, personne ne vous sanctionnera pour ne pas avoir arrêté la guerre à Gaza.»
Pour le Montois, la parole reste libre en interne. Mais ne doit pas dévier de l’accord de gouvernement à l’échelon du parti. «Parce qu’en 2029, personne ne vous sanctionnera pour ne pas avoir arrêté la guerre à Gaza. Par contre, si les écoles ne sont pas de meilleure qualité, que le transport ne s’améliore pas et que les gens sont toujours au chômage, je peux vous dire que vous pouvez mettre un magicien à la tête du pays, ça va être très compliqué à gérer.»
Un besoin d’unité
Le MR manque donc d’unité, en témoigne l’intervention au cours de cette réunion sous tension du MR de la députée bruxelloise Viviane Teitelbaum, qui pour sa part remercie son président pour la ligne du parti sur Gaza. Même Louis Michel a pris la parole pour répéter que le parti sera plus fort s’il s’unit sur les sujets, ce qui passera par «plus de proximité personnelle». L’intervention du baron loue les qualités du président, mais lui conseille «d’aller au vert», histoire de souffler de temps en temps. «Je veux bien entendre tout ce qu’on veut, lui répond plus tard Georges-Louis Bouchez. Mais il faut arrêter de croire que l’augmentation du nombre de réunions aurait changé quoi que ce soit à des calculs personnels et à des attitudes que l’on ne peut accepter, et pour lesquelles j’aurais aimé un peu plus de condamnation des différents membres ici présents.»
L’échevin anderlechtois, Achille Vandyck, explique que la ligne présidentielle n’est pas toujours facile à tenir, comme lorsqu’il qualifie certains coins d’Anderlecht de «quartiers de merde».
– «Il y a des quartiers de merde et je l’assume. Tout le monde le pense mais on ne peut pas le dire?»
– «Ca ne se dit pas», répond l’Anderlechtois.
– «Ah si, c’est même comme ça qu’on a gagné les élections. (…) Bien sûr qu’il y a des gens qui ne sont pas d’accord, mais on s’en fout. 70% des gens peuvent ne pas être d’accord. Si 30 % d’entre eux le sont, on gagne allègrement les élections.»
«L’injustice de ce monde, c’est que ce n’est pas ceux qui sont en haut de l’arbre qui subissent les premiers effets de la montée des eaux.»
Après diverses autres interventions tempérées (Mathieu Michel, la bourgmestre de Libin Anne Laffut, la députée bruxelloise Françoise Schepmans…) Georges-Louis Bouchez conclut… à sa manière. «Je vais vous dire une chose. Je ne passerai pas mon après-midi à savoir comment on peut prendre en compte tous ces éléments. Je la passerai à savoir comment on peut faire en sorte de réimposer nos thèmes dans l’agenda médiatique, et mettre en œuvre nos réformes. Je vous invite, s’il vous plaît, à en faire de même. Ma voisine n’en a rien à faire de ce que nous avons fait ce matin. Ce qui l’intéresse, c’est de savoir comment elle va avoir ses euros en plus qu’on lui a promis lors de l’élection.»
«Dites-vous bien une chose, met-il en garde. A chaque fois que vous me tapez dedans, vous vous affaiblissez parce que, que vous le vouliez ou non, je suis le président. Si, quand les gens me voient, ils pensent aux problèmes internes du MR, notre score va diminuer. L’injustice de ce monde, c’est que ce n’est pas ceux qui sont en haut de l’arbre qui subissent les premiers effets de la montée des eaux.»
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