Permis de séjour
L’idée de retirer leur permis de séjour aux étrangers qui ne travailleraient pas depuis un certain temps ne séduit pas les députés MR, dont le chef de groupe à la Chambre Benoît Piedboeuf. . © BELGA

Retirer le permis de séjour des étrangers qui ne travaillent pas n’emballe pas les députés MR: «Il y a des gens qui ne méritent pas d’être jetés dehors»

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

L’idée de retirer leur permis de séjour aux étrangers qui ne travailleraient pas depuis un certain temps ne séduit pas les députés MR.

Le MR doit une partie de sa grande victoire du 9 juin 2024 à la faculté de son président, Georges-Louis Bouchez, de porter des propositions polémiques mais populaires dans le débat public. Les communicants appellent la fenêtre d’Overton l’ensemble des idées considérées comme plus ou moins acceptables par l’opinion publique d’une société donnée. Eh bien, Georges-Louis Bouchez, en Belgique francophone, a élargi la fenêtre d’Overton, en mobilisant l’opinion sur des thématiques comme l’immigration, la place de l’islam ou les allocations versées aux personnes inactives. Bien en prit au Montois, d’élargir cette lucarne, et heureux sont, désormais, les réformateurs. Ils ont gagné les élections, sont dans tous les gouvernements ou presque, et peuvent mettre en œuvre des idées qui, il y a quelques années encore, semblaient impensables ou radicales. L’étape suivante pour le MR, désormais, est de se trouver de nouveaux coins sur lesquels tirer afin d’agrandir le cadre des idées admissibles.

L’idée de retirer son permis de séjour à un étranger qui vivrait en Belgique depuis un certain temps sans travailler, bénéficiant donc d’allocations, en serait un. Il y aurait de très gros débats, et beaucoup d’électeurs seraient pour, ce qui les rendrait susceptibles d’encore plus voter pour le MR. La mesure procède d’une certaine logique du point de vue historique. Elle figure en effet dans les fameux 70 points du programme du Vlaams Blok, devenu Vlaams Belang, pour lutter contre l’immigration. Il s’agissait alors de retirer le permis de séjour au travailleur étranger après trois mois de chômage.

Or beaucoup de ces 70 points (l’interdiction de l’abattage rituel, le durcissement des politiques d’accès au territoire et à la nationalité, l’expulsion des criminels étrangers, la déchéance de nationalité, la réduction des allocations familiales, les centres fermés, etc.), impensables dans les années 1990, sont devenus si admissibles socialement et rentables électoralement qu’ils ont été des sujets de campagne pour les partis vainqueurs du 9 juin 2024.

Et que certains sont des points de programme de l’accord de gouvernement Arizona. Un de ceux-là prévoit notamment que les étrangers arrivant en Belgique ne pourront pas recevoir de prestation sociale pendant les cinq premières années de leur séjour. C’était également l’un des septante points du VB. Ici, il s’agirait de boucler la boucle: si les étrangers ne peuvent pas percevoir d’allocations au début de leur séjour, pourquoi pourraient-ils le faire à la fin, après avoir perdu leur travail, et donc leur principale source de revenus?

Les députés fédéraux du MR auxquels Le Vif a soumis l’idée y sont unanimement réticents.

«Non, non, ça, c’est de la connerie. Le gars, il perd son boulot, il n’est plus apte à travailler, non non non. Après un certain temps, quand tu es arrivé en Belgique, tu as travaillé, ou même tu es installé depuis un certain temps, tu vis en société avec nous, tu as déjà eu les notions de comment on vit dans notre société, tu dois pouvoir t’intégrer. Le lier avec le travail, non, c’est juste impossible. Pour les gens qui ont fondé une famille, non, non!  Ce n’est pas une bonne mesure, elle fragilise l’intégration des gens en société», lance le Bruxellois Youssef Handichi.
Son chef de groupe Benoît Piedboeuf considère suffisantes les dispositions que l’Arizona prévoit dans le cadre de la politique migratoire «la plus stricte de l’histoire de Belgique». «Les mesures qu’on va mettre en place maintenant, qui n’ouvrent des droits qu’après un certain temps aux primo-arrivants, ça, c’est raisonnable. Cela ferme une espèce d’aspiration à l’immigration, notamment clandestine. Je trouve que des mesures générales comme ça, c’est difficile de les reprendre. Il faut voir les cas individuels, quoi. Il y a des gens qui peuvent être dans des conditions individuelles malheureuses, qui ne méritent pas d’être punis et d’être jetés dehors…»

Sa collègue Florence Reuter appuie le propos d’une précision, pour justifier que la durée d’attente soit de cinq ans plutôt qu’éternelle. «J’ai participé aux négociations à ce moment-là, à partir de quand on donne une aide sociale. On parle quand même d’aide sociale et d’argent public. Je me souviens très bien qu’un des négociateurs demandait « mais que vont-ils faire s’ils n’ont pas d’aide sociale pendant cinq ans ? » Ben, ils travaillent, hein

Et après les cinq ans, faudrait-il, alors, expulser ceux qui ne travailleraient pas? «Ce sont des questions fort simplistes, l’accord de gouvernement dit qu’il ne faut pas aller plus loin. Est-ce qu’on va renvoyer quelqu’un qui a travaillé, qui est installé ici? Parce qu’il ne travaille pas, il va devoir rentrer chez lui? Non, on va l’inciter à chercher du travail, plutôt», répond-elle.

Spécialiste des questions migratoires, et président de la Commission affaires sociales de la Chambre, Denis Ducarme est également raccord. «Au niveau du regroupement familial, nous avons déjà prévu un renforcement des conditions pour les personnes qui sont admises à être regroupées, il faudra que le regroupant ait davantage de moyens pour la prise en charge des regroupés. Une fois que le regroupement familial est accepté, les personnes ont tout à fait les mêmes droits et les mêmes statuts. Cela vaut aussi pour les demandeurs d’asile. A partir du moment où sa demande est acceptée –on sait qu’il y a plus ou moins 56% de réponses favorables–, eh bien il n’y a pas de raison de rentrer dans un sous-statut. Je pense que si tu veux intégrer mais que tu crées des sous-statuts à vie, tu n’intègres pas. Je crois qu’une fois que les preuves de l’intégration sont faites, que la démonstration est faite que chacun essaie de travailler et répond à un certain nombre de conditions de base pour vivre sur le territoire belge, en ce compris ce que l’on prévoit pour la déclaration du primo-arrivant par exemple, à partir du moment où tous ces éléments sont rencontrés, si on veut assimiler ou intégrer, on ne place pas les gens ad vitam aeternam dans un sous-statut», complète le Carolorégien.

L’ancien secrétaire d’Etat Mathieu Michel, lui, y verrait une certaine cohérence, mais dans l’hypothèse où la Belgique ferait le choix d’inviter davantage de travailleurs qualifiés étrangers. «Ca dépend de la nature du titre de séjour, si c’est déjà via un permis de travail,… Cela réinterroge sur le fait que la politique de séjour soit une politique qui est uniquement liée à une réflexion sur l’humanitaire. On devrait pouvoir être proactif et être à l’initiative d’une vraie politique d’immigration économique. Moi je suis totalement favorable à une réflexion plus ambitieuse sur les personnes qui viendraient avec des compétences, des profils. Donc, là, quand tu es arrivé, tu as ton séjour, tu bosses, eh bien j’ai envie de te dire qu’à un moment donné, si tu reviens sur le chômage… Vous êtes au chômage, vous avez un contrat de travail, c’est pour cela que vous avez eu votre permis de séjour, si les deux sont liés, cela me semblerait logique. Mais, attention, hors réflexion sur l’accès à la nationalité. Car moi parfois je suis perturbé quand on dit à des personnes qui ont la double nationalité de rentrer chez eux. Cela me choque. Mais le seul droit de séjour, sans que la personne ait eu accès à la nationalité, s’il est en lien avec le permis de travail, oui, c’est connecté», dit-il, prudent néanmoins.
Car ses quatre collègues et lui ne se sentent pas trop, là tout de suite, de se spécialiser dans le redimensionnement de châssis politiques, et certainement pas sur cette question.

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