La Flandre bouillonne face au ‘tyran’ Jan Jambon : « Ce qu’on est en train de vivre est inédit »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Ça flambe, au gouvernement flamand. Plus les jours passent, plus la situation du ministre-président Jan Jambon semble se calciner irrémédiablement. Le feu qui a débuté suite aux rejets d’azote prend des formes d’incendie régional, avec, au centre du bûcher, différents enjeux qui s’entremêlent. Analyse avec les politologues Pascal Delwit (ULB) et Carl Devos (UGent).

La crise politique en Flandre atteint un niveau de crispation historique. Dans ce blocage gouvernemental, qui s’est embrasé autour du dossier azote, trois points de friction s’entremêlent : un problème de fond, -à savoir la protection de l’environnement et la contrainte européenne face aux rejet d’azote des agriculteurs-, un jeu politique entre la N-VA et le CD&V et un jeu interne à la N-VA.

Le politologue Pascal Delwit (ULB) développe : « Sur le fond, on retrouve la question environnementale, avec la pression de l’Union européenne comme déclencheur des débats. Mais cette crise illustre aussi la lutte pour le leadership à droite, avec comme but de s’imposer comme le grand parti populaire flamand. Depuis sa création, la N-VA a pour ambition de se substituer au CD&V, qui était jadis le plus grand parti populaire flamand. Les nationalistes flamands tentent d’affaiblir le CD&V, davantage encore qu’il ne l’est déjà. Une stratégie d’anéantissement dictée par le mode de gestion de Jan Jambon. »

Flandre: Enjeux internes et élections communales

L’enjeu se répercute également au-delà de 2024, avec la question centrale de savoir quel sera le candidat N-VA au poste de ministre-président flamand. « Zuhal Demir ne cache pas ses ambitions sur le sujet. On observe un jeu interne qui se noue à la N-VA autour de cette question. Ces mêmes tensions intra-muros sont présentes pour le potentiel futur président du parti. Bart De Wever est président de la N-VA depuis 20 ans… il ne le sera pas éternellement », indique Pascal Delwit.

L’année 2024 sera aussi celle des élections communales. Un enjeu de taille, pour la N-VA. Car dans les 300 communes flamandes, on retrouve encore 140 bourgmestres CD&V, dénombre Pascal Delwit. « Les ancrages chrétiens-démocrates se situent essentiellement dans les milieux ruraux ou périurbains, où le rayonnement de la revendication des agriculteurs est plus élevé qu’en ville. La N-VA espère aussi progresser à cet échelon communal, face à la pression du monde agricole et de l’organisation Boerenbond, fortement liée au CD&V ».

Flandre: Crispation et powerplay

Face au blocage gouvernemental, les méthodes de Jan Jambon sont la cible de critiques de plus en plus acerbes en Flandre. « La manœuvre ratée du tyran Jambon », titre un édito du quotidien De Standaard, qui évoque un « jeu de puissance » soldé par un cuisant échec.

Pour le politologue Carl Devos (UGent), la N-VA n’évalue les dossiers que dans une perspective de majorité. « En d’autres termes, ‘si on a la majorité, alors on peut décider’. Sauf que Jan Jambon a oublié le principe de consensus. Les nationalistes flamands mettent souvent les adversaires ou même les partenaires sous pression pour les convaincre. Ce powerplay a échoué ».

« Quand le niveau de crispation est tel, avec de plus en plus de portes qui se referment, il devient extrêmement difficile de résoudre la situation », avance Pascal Delwit. « Quand on monte en action et en parole, redescendre d’une marche n’est presque plus possible. On peut y voir des similitudes avec la friche Josaphat qui oppose le PS et Ecolo à Bruxelles. »

Alors, d’où pourrait venir un déblocage ? Au pied du mur, le ministre-président flamand semble avoir joué toutes ses cartes, ou presque. « C’est à Jan Jambon de trouver une solution. Au-delà du débat de fond, il faut pouvoir trouver un compromis où aucun acteur ne perd la face. Et c’est là que ça coince. Car il n’y aura pas de solution acceptable commune si un acteur se sent floué », selon le politologue de l’ULB, pour qui « la tension a atteint un tel point qu’il devient désormais difficile de trouver un arrangement où personne n’apparaitrait pas comme perdant. »

« La seule possibilité est de trouver un accord dans le gouvernement de Jan Jambon », explique Carl Devos. « Le CD&V ne veut pas partir. La N-VA et l’Open Vld ne veulent pas non plus pousser le CD&V dehors. Donc l’accord doit être trouvé à trois. Il reste une marge limitée de négociation. Mais le gouvernement ne peut pas tomber. Ils sont obligés de rester ensemble. Si un accord n’est pas trouvé ce vendredi, le problème sera reporté à la semaine d’après, et ainsi de suite », détaille-t-il.

Dans la complexe équation, des éléments de confiance, de défiance, de stratégie peuvent toujours changer la donne. « Mais comme le compromis est difficile à trouver, on pourrait encore avoir un blocage de plusieurs jours, sinon de plusieurs semaines », estime Delwit.

Le Vlaams Belang se lèche les babines, la N-VA décrédibilisée ?

Ce combat de coq (ou de lions, plutôt) pourrait faire les affaires d’un autre animal féroce, le Vlaams Belang. « Aux Pays-Bas, la situation est un peu similaire. Et toutes les indications montrent que les intentions de vote profitent aux partis de droite radicale. Dans l’hypothèse où le plan azote serait adopté tel quel, on pourrait voir une translation de l’électorat paysan/rural se reporter sur le Vlaams Belang », prédit Pascal Delwit.

Carl Devos abonde : « C’est pour cela que le CD&V se comporte d’une manière très stricte sur le dossier azote. Ils savent très bien que si l’électorat paysan quitte le CD&V, ce n’est pas pour la N-VA ni l’Open Vld. C’est du pain béni pour le Vlaams Belang, qui est de plus en plus présent dans le milieu rural en Flandre. »

En revanche, et contrairement au politologue Dave Sinardet, Pascal Delwit ne pense pas que cette crise nuira au discours anti-fédéral de la N-VA. « Car la N-VA est toujours capable de trouver un ennemi extérieur, qui pourrait être l’Union européenne ou les francophones. Bart De Wever a utilisé ce filon pour le trafic de drogue à Anvers, en désignant le fédéral comme coupable. Je suis donc dubitatif sur le fait que cette affaire puisse atténuer la portée confédéraliste de la N-VA. Au contraire, on risque de voir, dans les prochaines semaines, des sorties anti-francophones ou anti-fédéral. »

Pour Carl Devos, la crédibilité des nationalistes flamands a clairement pris un coup dans l’aile. « Pour la N-VA, la Vivaldi est synonyme de chaos, de particip-opposition, de non-décision,…Mais le gouvernement flamand connaît exactement ce que la N-VA dénonce au fédéral ! On n’a jamais vu une telle tension en Flandre c’est inédit. Ce à quoi on assiste est exceptionnel. L’image d’un gouvernement flamand simple et efficace n’est plus d’actualité. »

Pour le politologue de l’Université de Gand, la communication de Jan Jambon et de la N-VA est incohérente. « Le chaos dans le gouvernement flamand est créé par la N-VA elle-même et par Jan Jambon en particulier. Leur stratégie paraît incompréhensible. Celui qu’on appelait Sterk Jan lorsqu’il était ministre de l’intérieur s’est transformé en Sterkte Jan (Bonne chance, Jan). Il n’est pas le grand chef que certains annonçaient. »

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