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Un an sans gouvernement à Bruxelles: comment tous les partis ont menti (la preuve par 10)

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Beaucoup de choses ont été dites, sur l’interminable formation du gouvernement bruxellois cuvée 2024. Elles ont façonné des négociations, un récit, des idées et ont même influencé l’inédit blocage. Parmi toutes ces choses, dix au moins étaient fausses.

«Tu sais, on en est à un point où ils ne veulent même pas commander les sandwichs pour les réunions entre partis, parce que ça veut dire que si tu commandes les sandwichs, tu as pris le lead.» Voilà, à la sortie de l’hiver, le niveau auquel volaient les négociations pour la formation d’un gouvernement bruxellois. Pourtant, prendre le lead ou ses responsabilités, c’est une chose qui plaît normalement à David Leisterh (MR), Ahmed Laaouej (PS), Christophe De Beukelaer (Les Engagés) ou Elke Van den Brandt (Groen), si bien que l’expression est utilisée à chaque déclaration publique ou presque depuis le 9 juin 2024. Force est de constater que, sur cette histoire de responsabilités, ils ont fait le contraire de ce qu’ils ont dit publiquement. A l’occasion du premier anniversaire du blocage bruxellois, Le Vif revient sur les dix petits mensonges de la grande crise.

Petit mensonge n°1: le MR a gagné les élections

Quelle est la définition d’une victoire? Terrasser ses adversaires ou améliorer son résultat personnel? L’idéologie libérale, avec la croissance comme boussole, pourrait tendre vers la seconde option. Seulement, le discours des hautes sphères du MR depuis le 9 juin 2024 a appuyé sur le résultat «historique» du parti. Or, le score des libéraux est, en réalité, un score plutôt moyen si l’on regarde ses standards bruxellois. Sur huit élections régionales, à Bruxelles, le MR s’est placé sept fois dans le Top 2. Les cartels (de 1995 à 2009) avec le FDF ont probablement aidé, mais la «victoire» reste moins hégémonique qu’en Wallonie où les partis de gauche sont passés de 45 (54,33%) à 32 (42,29%) sièges entre 2019 et 2024. A Bruxelles, le bloc de socialo-communiste-écologiste francophone est, lui, passé de 42 (54,62%) à 39 (52,82%) sièges.

Petit mensonge n°2: pendant un an, on n’a pas parlé de fond

Ce 28 mai, Georges-Louis Bouchez et David Leisterh présentaient à la presse une note amenée à être la prochaine Déclaration de politique régionale (DPR) bruxelloise. D’abord débattre des idées pour, ensuite, trouver une coalition. Sauf qu’un accord sur les idées existe depuis le 31 juillet. Il rassemblait le MR, le PS et Les Engagés sous dix thèmes peu surprenants tels que l’emploi, la sécurité, et bien sûr le budget. Eponger la moitié de la dette était en effet l’objectif, les partis bleus voulaient le faire en cinq ans, le PS l’avait négocié sur dix. La DPR présentée par le duo libéral fin mai veut atteindre cet objectif pour cette législature, soit en quatre ans. A part cela, il y avait des accords sur une baisse des droits d’enregistrement, une simplification administrative et institutionnelle, l’abandon du plan Good Move. Certes, en novembre, avec le veto du PS envers la N-VA, tous ces accords ont volé en éclats. Mais en février, investis d’une mission d’information, Christophe De Beukelaer et Elke Van den Brandt avaient, eux aussi, parlé de fond et avaient conclu qu’un accord était possible. Sans la N-VA.

Petit mensonge n°3: une majorité progressiste et de gauche est possible

Alors que les militants les plus fanatiques le réclament depuis un an, le spectre d’un gouvernement bruxellois à gauche toutes surgit tardivement dans le blocage. Ahmed Laaouej a attendu le 1er mai pour répondre à l’appel de la «société civile», puis a temporisé encore près d’un mois pour rassembler ses camarades d’autres partis. «Il aurait dû le faire bien plus tôt», concède même David Leisterh, quand on lui demande s’il s’estime parasité. Si le PS bruxellois souhaite peut-être emmener les communistes dans cette majorité afin de diluer leur force de frappe communicationnelle, le PTB n’a, lui, pas intérêt à monter avec le PS. Gouverner une Région de gauche dans un pays de droite, ce n’est pas gouverner une commune. Les communistes le savent, il faut faire une chose à la fois. Chez Ecolo, trop occupé à se refonder et à se recentrer, nombreux sont ceux qui pensent, sinon souhaitent, que PS et MR finissent toujours par s’entendre.

Petit mensonge n°4: comme la N-VA est le parti du Premier ministre, elle doit être au gouvernement régional

Depuis la création de la Région bruxelloise, chaque Premier ministre a eu un membre de son parti au sein du gouvernement bruxellois. Chaque, sauf deux: Charles Michel et Sophie Wilmès. «Avoir au sein du gouvernement  bruxellois le parti du Premier aide, résume une source régionale qui a connu cette asymétrie. Mais durant cette période, d’autres partis présents dans les gouvernements bruxellois et fédéral ont fait office de tampon», notamment via le kern. Tous les scénarios, même celui d’une coalition de gauche impliquant la présence de Vooruit, établissent une connexion entre les deux niveaux de pouvoir.

Petit mensonge n°5: la N-VA veut «dépecer» la Région bruxelloise

Les socialistes bruxellois unanimes ont usé du registre du dépeçage, manifestement issu de rigoureux éléments de langage, pour qualifier la volonté de la N-VA de s’en prendre à la Région bruxelloise. La vérité, qui est là de leur côté, est que le nationalisme flamand n’a jamais apprécié Bruxelles, ville francisée aux dépens de son histoire flamande, ni sa Région, pièce rapportée d’un fédéralisme communautaire que les Flamands auraient voulu ériger en duel nord-sud. Mais comme son parti, la schaerbeekoise Cieltje Van Achter, désormais ministre flamande des Affaires bruxelloises, héritière du fondateur de la N-VA Geert Bourgeois, s’est accommodée de l’existence de la troisième Région du pays. Celle-ci a l’avantage de surprotéger la minorité flamande, et de la doter de très nombreux mandats, au contraire des communes. Si bien que même Bart De Wever, Theo Francken ou Sander Loones ne veulent pas, ou plus, détruire la Région de Bruxelles-Capitale, mais plutôt y fondre les pouvoirs locaux, tout en y donnant davantage de place aux Communautés, principalement la flamande, dont Bruxelles est et restera la capitale éternelle. Dans le confédéralisme porté par «le parti du Premier ministre», point de dépeçage, puisque «Bruxelles disposerait de nombreuses compétences supplémentaires», dont notamment la sécurité, reprise des communes, peut-on lire (en français) sur le site du parti.

Georges-Louis Bouchez et David Leisterh ont présenté à la presse une note amenée à être la prochaine Déclaration de politique régionale bruxelloise. D’abord débattre des idées pour, ensuite, trouver une coalition. © BELGA

Petit mensonge n°6: la situation budgétaire de la Région est meilleure que celle de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Professé par le ministre-président en affaires courantes Rudi Vervoort, l’émollient constat n’est pas fondé uniquement sur du vide: les agences de notation sont en effet plus sévères, actuellement, avec la Région wallonne (notée A par Standard & Poor’s) et la Fédération Wallonie-Bruxelles (notée A par S&P)  qu’avec la Région de Bruxelles-Capitale, évaluée à A+. Bruxelles est donc à une dégradation de la FWB, et à deux de la Région wallonne, au palmarès fédéral de la trésorerie la plus embarrassante. Il est donc vrai que la capitale est mieux notée, et qu’elle pourra continuer à financer ses déficits et sa dette dans les prochaines années. Mais sur le moyen terme, ses finances se sont bien plus violemment dégradées que celles de ses homologues, à la suite, spécialement, d’une sixième réforme de l’Etat mal digérée. Son solde de financement annuel est, proportionnellement à celui des deux autres entités francophones, plus mauvais. Et, moins aimée et plus politiquement isolée, elle pourra bien moins que les autres bénéficier d’un éventuel soutien d’autres niveaux de pouvoir dans les années, voire les décennies, à venir. 

Petit mensonge n°7: la politique de mobilité d’Elke Van den Brandt a été légitimée par l’électeur

Elke Van den Brandt est arrivée en tête du scrutin côté néerlandophone et c’est un fait. Son parti a même gonflé son résultat précédent de 4.000 voix, et la ministre sortante de la Mobilité aussi, ce que personne d’autre ne fait dans le collège néerlandophone bruxellois, hormis le Belang. Elle doit probablement cette «victoire» à la vague de près de 30.000 électeurs qui ont cette fois décidé de voter pour un parti néerlandophone sans pour autant devenir néerlandophones eux-mêmes, selon les baromètres linguistiques. Ceux-là ont beaucoup voté pour Fouad Ahidar et sa team, mais aussi pour Elke Van den Brandt et Groen afin de faire barrage à une menace de montée en puissance de la N-VA et du Belang. Mais finalement, le bloc écologiste qui a souvent assimilé ses versants néerlandophone et francophone durant la campagne, a perdu 32.000 de ses 88.000 électeurs entre 2019 et 2024. Un gouffre. Il n’est pas certain que ces déserteurs fassent la différence entre la politique du ministre de l’Environnement et de la Propreté publique Alain Maron, Ecolo, et celle de la Mobilité et des Travaux publics Elke Van den Brandt, Groen. Même les rapports secrets d’Ecolo en attestent.

La vérité est que le nationalisme flamand n’a jamais apprécié Bruxelles, ville francisée aux dépens de son histoire flamande.

Petit mensonge n°8: le MR veut mettre fin au «communautarisme»

Dans son programme de campagne, le MR a explicité (de manière un peu plus timide que sur les réseaux sociaux) son attachement à la neutralité de l’Etat en mettant sur la table, notamment, l’importance d’une administration où le port de signes convictionnels serait interdit. Dans la «note de départ» signée fin juillet dernier entre les libéraux, Les Engagés et les socialistes, aucune mention n’est faite de la question de la neutralité des services publics, de l’interdiction des horaires distincts dans les piscines pour les hommes et les femmes, ou encore de la préservation de toute intrusion religieuse à l’école comme le préconise le programme du MR. En présentant sa Déclaration de politique régionale à la presse (et, théoriquement, bientôt au parlement) fin mai, le MR réintroduit ces éléments programmatiques au document dont il autorise des annotations à la marge. De là, deux constats sont possibles: soit le MR ne souhaite pas voir son texte de la dernière chance débattu (du moins par les socialistes), soit la lutte contre le communautarisme demeure une variable d’ajustement dans le programme des libéraux dont ils font pourtant feu de tout bois dans la communication, particulièrement dans la communication présidentielle.

Petit mensonge n°9: le refinancement de Bruxelles que réclame le PTB est possible

Les comptes de la Région affichent, en 2024, 7,8 milliards de recettes pour 9,1 milliards de dépenses. Or, le déficit public bruxellois peut s’expliquer de deux manières, pas mutuellement exclusives. Soit on considère que la Région dépense trop d’argent, soit qu’elle n’en reçoit pas assez, soit les deux. Le PTB, dès avant les élections, penchait résolument pour l’hypothèse des recettes trop basses. La seule vraie revendication régionale de sa campagne électorale, très réussie puisque le PTB a doublé son résultat de 2019 en 2024, portait sur un refinancement de Bruxelles. C’était même, avant le 9 juin, la principale condition posée par les communistes pour participer à des négociations régionales, auxquelles personne ne les a invités avant le 1er mai dernier. Depuis, le confort de son caractère intenable est remobilisé par le PTB, qui l’avance pour ne pas devoir monter. Car le refinancement bruxellois passerait par une majorité spéciale au fédéral, si bien que pour que le PTB-PVDA accepte d’entrer au gouvernement bruxellois sans la droite, sans le MR, sans l’Open VLD, sans la N-VA, il faudrait que la même droite, au fédéral, accepte une réforme de l’Etat qui refinancerait la Région de Bruxelles et qui la relèguerait dans l’opposition. C’est presque aussi possible qu’obtenir la libération de la Palestine depuis la rue du Lombard –où est situé le parlement bruxellois.

Petit mensonge n°10: les Engagés ne veulent pas négocier avec Ahidar

Qu’y a -t-il de plus fiable qu’un président de fédération bruxelloise des Engagés, Christophe De Beukelaer, qui déclare à LN24 «on pourrait gouverner avec la Team Fouad Ahidar comme on pourrait gouverner avec le Parti socialiste, le MR ou les écologistes»? Un président national des Engagés, Yvan Verougstraete, qui affirme deux jours plus tard sur X que le positionnement de la Team Fouad Ahidar, «conservateur et religieux, est incompatible avec le nôtre». Mais qu’y a-t-il de moins fiable qu’un président national des Engagés, Yvan Verougstraete, le 1er juin, alors? Un candidat président national des Engagés, Yvan Verougstraete, qui avait dit, le 20 février, au Soir, «on ne gouvernera pas avec le PTB, mais ils peuvent bien sûr venir à la table. Avec la Team Ahidar, on peut discuter». A Bruxelles, pour Les Engagés l’engagement est toujours négociable, mais la Team Fouad Ahidar ne l’est que parfois.

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