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Quand le MR et Ecolo collaborent: comment ces élus locaux, censés ne pas trop s’aimer, parviennent à s’entendre

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

De nombreux collèges communaux sont composés d’élus locaux qui, politiquement, ne sont pas programmés pour s’aimer. Oui, des élus MR peuvent s’entendre avec des écologistes. Et des Engagés peuvent former une majorité de centre-gauche en renvoyant les libéraux dans l’opposition. Vade-mecum des bonnes pratiques pour gérer sa commune en toute cordialité.

«Oh, vous savez, au niveau communal, on est pragmatiques», disent les élus locaux. Un an après les élections, alors que les accords de majorité sont encore chauds, il ne faudrait pas s’attendre à ce que les bourgmestres et échevins de Wallonie et de Bruxelles laissent apparaître des dissensions. En apparence, tout se passe donc pour le mieux, dans la grande majorité des collèges. Pourtant, il existe plus d’un exécutif communal dans lequel les membres appartiennent à des partis qui ne sont a priori pas faits pour s’entendre.

Le scrutin de juin 2024 a donné lieu à une nette montée en puissance du MR et des Engagés, côté francophone. Ces deux formations se sont rapidement entendues pour former des majorités à la Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), puis pour embarquer ensemble dans l’attelage fédéral. Côté francophone, excepté la Région bruxelloise, le paysage s’est clarifié: deux partis au pouvoir, disons de centre-droit et de droite, face à une opposition essentiellement de gauche.

Les élections communales du 13 octobre ont confirmé la tendance, ce qui n’a pas empêché la formation de majorités locales plus originales, où des membres de partis qui s’écharpent notoirement ailleurs parviennent à collaborer avec sérénité.

En Wallonie, le ministre des Pouvoirs locaux, François Desquesnes (Les Engagés) a récemment livré des statistiques sur les forces en présence. Parmi 5.225 élus des communes wallonnes (hors Communauté germanophone), 4.496 ont choisi l’apparentement. Le MR est le parti le plus représenté, passant de 28% des élus locaux en 2019 à 32% désormais. Les Engagés sont passés de 18,9% (pour le CDH à l’époque) à 24%. Le PS est descendu de 27% à 23%, et Ecolo de 10,5% à 4,9%. On notera encore qu’en chiffres absolus, le MR compte le plus de bourgmestres apparentés (109), devant Les Engagés (64), le PS (54) et Ecolo (3).

Compte tenu de ces chiffres et du rapprochement entre le MR et Les Engagés, il n’est guère étonnant de retrouver des élus apparentés à ces partis dans de nombreux exécutifs communaux.

Le MR et Les Engagés en tête des élus locaux wallons

En épluchant la composition des 252 collèges communaux wallons (francophones), il apparaît que presque quatre sur dix comptent des membres du MR et des Engagés autour de la même table. Cela ne signifie pas nécessairement que leur liste communale porte le nom du parti, mais bien que les élus sont apparentés à l’une ou l’autre formation. Cela n’empêche pas non plus que siègent à leurs côtés, quelquefois, des échevins, voire un bourgmestre sans apparentement.

La situation la plus courante, rencontrée 56 fois en Wallonie, est celle où une seule formation politique communale est au pouvoir, mais compte à la fois un ou plusieurs membres de collège apparentés au MR et un ou plusieurs membres apparentés aux Engagés. La plupart sont des communes de petite et moyenne tailles.

Ensuite, 19 communes ont vu le MR et Les Engagés (ou des listes à forte dominante libérale ou centriste) former une coalition. C’est le cas de Namur, par exemple. On trouve encore 22 communes où ces deux partis sont associés à une troisième composante, comme le PS ou Ecolo. C’est le cas de la tripartite PS-MR-Les Engagés à Liège.

Par conséquent, il reste encore nombre d’entités dans lesquelles les collèges communaux sont composés différemment: neuf fois MR-Ecolo (dont quatre fois avec une troisième composante), 29 fois MR-PS, 18 fois Les Engagés-PS, cinq fois Les Engagés-PS-Ecolo, etc.

Parmi les 19 communes bruxelloises, où les partis néerlandophones figurent aussi dans plusieurs coalitions, on trouve une majorité de type libérale-centriste (Woluwe-Saint-Pierre) et huit où le MR et Les Engagés sont associés à d’autres formations. On notera encore que le MR et Ecolo cohabitent dans quatre communes, sans oublier les deux autres majorités plutôt «atypiques», à Molenbeek et Forest, où le PTB participe au pouvoir.

Qu’est-ce qui pousse des élus locaux à unir leurs forces, dans leur commune? Lorsque la question leur est posée, des réponses similaires arrivent souvent. La commune, c’est la commune. Elle se gère en relative autonomie par rapport aux autres niveaux et aux QG des partis. Surtout, c’est l’arithmétique électorale qui a conditionné les possibles.

Lorsqu’il s’agit de choisir ses alliés dans une commune, le facteur «humain» compte.

Nouer de bonnes relations

Politologues à l’ULiège, Geoffrey Grandjean et Valentine Meens ont publié, en 2022, une étude analysant les raisons pour lesquelles les majorités absolues issues des précédentes élections communales, en 2019, avaient choisi de s’ouvrir à un partenaire. Les enseignements, assure Geoffrey Grandjean, peuvent être extrapolés à l’ensemble des coalitions, même hors des cas de majorité absolue.

Le choix d’ouvrir sa majorité est souvent motivé par une volonté d’être plus représentatif de la population, mais aussi de permettre une meilleure efficacité dans la gestion, ou de s’assurer des relais politiques à d’autres niveaux de pouvoir. Quant aux raisons qui poussent un parti à se lier à tel partenaire plutôt qu’à un autre, il est frappant de constater à quel point interviennent, avant même des considérations plus politiques, des motivations telles que les affinités interpersonnelles ou les souvenirs des expériences du passé. En un mot comme en cent: lorsqu’il s’agit de choisir ses alliés dans une commune, le facteur «humain» compte vraiment.

On ne s’étonnera donc pas que, interrogés sur les relations à l’intérieur de leur collège communal, les élus locaux évoquent systématiquement l’indispensable qualité des relations.

A Charleroi, par exemple, les socialistes disposent de la majorité absolue en sièges, mais ont fait «le choix de l’ouverture, comme c’est le cas depuis une petite quinzaine d’années», indique Thomas Dermine (PS). Selon le bourgmestre carolo, «au-delà de la réalité politique, il y a vraiment une excellente relation de travail avec l’échevin Eric Goffart, j’ai presque envie de parler d’une relation intuitu personae. De longue date, ces contacts sont très bons. La confiance est totale. D’ailleurs, je tiens à dire que les relations sont bonnes avec le gouvernement wallon aussi, en particulier avec le ministre des Pouvoirs locaux (NDLR: François Desquesnes, Les Engagés)

«Evidemment, nous avons nos propres sensibilités, mais nous travaillons entre gens intelligents, de façon aussi pragmatique que possible. Franchement, ça se passe bien et les relations avec le partenaire MR sont très bonnes. On ne doit pas se laisser perturber par l’extérieur», assure Manu Disabato (Ecolo), dont la formation Be Frameries, de tendance centro-écologiste, s’est associée au groupe MR & Vous.

Rester pragmatiques

La dimension très «concrète» de l’échelon communal est souvent évoquée aussi. Le plus souvent, on n’y mène pas de grands combats idéologiques, considèrent plusieurs bourgmestres et échevins. «On est dans le réel: les trottoirs, la propreté, le développement commercial, etc.», poursuit Manu Disabato.

A Uccle, le bourgmestre Boris Dilliès (MR), en coalition avec les écologistes, insiste également sur le pragmatisme. «Je dirais tout d’abord que notre majorité correspond au résultat des élections. Cela reste le facteur le plus important, après tout. Les deux premières familles politiques travaillent ensemble.»

A l’échelle des partis et au sein des parlements, pourtant, libéraux et écologistes ne s’entendent que très peu, la plupart du temps. «On est entre gens raisonnables, recadre-t-il. Au niveau local, nous collaborons avec des gens qui ne sont pas dogmatiques, mais pragmatiques. L’enjeu, c’est le service au citoyen, une commune propre, une bonne gestion, des services pour les jeunes, les personnes âgées, etc.»

Eviter les sujets qui fâchent

Auprès de plusieurs mandataires communaux, on devine entre les lignes qu’au-delà des divergences de vues normales, il convient aussi d’éviter d’aborder certains sujets plus explosifs. Ou potentiellement conflictuels. Ainsi, les effets des réformes prises à d’autres échelons de pouvoir se feront progressivement sentir auprès des pouvoirs locaux. Il est alors possible que l’une ou l’autre tension apparaisse.

C’est un peu ce que redoute Diana Nikolic (MR), députée wallonne et cheffe de groupe au conseil communal de Liège, dirigé par une tripartite PS-MR-Les Engagés. «On a une feuille de route, on s’y tient. On avait déjà travaillé six ans avec le PS avant. Jusqu’ici, le travail du collège n’a pas été pollué par des considérations liées à d’autres niveaux de pouvoir», assure la Liégeoise. Mais un an après les élections, «on sent monter une fébrilité chez le partenaire socialiste. Je dois dire que le bourgmestre Willy Demeyer, lui, est au-dessus de la mêlée. Cette fébrilité d’autres socialistes n’est pas problématique, mais il ne faudrait pas qu’elle le devienne. Liège a suffisamment de défis à relever, il ne faudrait pas s’enfoncer dans des guéguerres sur des sujets qui nous dépassent.»

«On siège au conseil communal, pas à l’assemblée générale de l’ONU.»

A Liège comme ailleurs, il arrive que les débats s’enveniment sur des sujets moins directement liés aux affaires communales, à l’occasion de motions portant sur des questions internationales, par exemple. «Chez nous, à Uccle, expose Boris Dilliès, le règlement demande que les motions ne relèvent que de l’intérêt local. On siège au conseil communal, pas à l’assemblée générale de l’ONU.»

Faire la part des choses, c’est aussi ce que préconise le bourgmestre de Malmedy, Jean-Paul Bastin. Son groupe, de tendance centriste-écologiste, gouverne avec les socialistes locaux, le MR se trouvant dans l’opposition. Dans cette commune des cantons de l’Est, deux députés communautaires siègent au collège, Jean-Paul Bastin (Les Engagés) et Ersel Kaynak (PS) –Simon Dethier (Les Engagés) était aussi député fédéral jusqu’il y a peu. «C’est un peu particulier. On est dans une configuration majorité contre opposition au parlement le matin et on se retrouve côte à côte au conseil communal le soir. On en rit un peu, parfois.»

Avoir un «ennemi» en commun

On s’associe aussi pour des raisons inhérentes à la politique locale. A Nivelles, comme à Wavre, le MR a été envoyé dans l’opposition au bénéfice de coalitions Les Engagés-PS-Ecolo. «C’était une vraie surprise», reconnaît encore le Nivellois Bernard De Ro (Les Engagés). Ce dernier l’assure, il avait prévenu les libéraux qu’il testerait une autre option si l’occasion se présentait. Dans sa commune brabançonne, parmi d’autres sujets, les antagonismes politiques autour d’un projet immobilier (l’ancien couvent des Récollets) ont pesé dans la balance, tant auprès des électeurs qu’au moment de former une majorité.

A Mons, la mésentente entre le bourgmestre Nicolas Martin (PS) et son opposant Georges-Louis Bouchez (Mons en Mieux – MR) a contribué à la création de la majorité avec Ecolo et le PTB. Cet assemblage aussi était plutôt inattendu. «Il est un peu tôt pour faire le bilan, mais malgré nos sensibilités différentes, nous avons pu trouver une série de points d’entente. Nous partageons une vision des services publics, de la défense des emplois montois, etc. On est loin de la catastrophe que certains avaient annoncée», se réjouit l’échevine PTB, Céline De Bruyn.

Prendre son temps

«Dès le départ, nous savions que nous allions être observés. Parmi les habitants de la commune, certains ont fait part de leur mécontentement, ce que je peux comprendre. Mais les résultats des élections étaient clairs», considère le bourgmestre de Forest, Charles Spapens (PS). Là aussi, les socialistes se sont associés avec Ecolo et le PTB.

A l’instar d’autres configurations politiques, ce n’était pas gagné d’avance. Mais, insiste Charles Spapens, comme d’autres élus locaux, une des clés s’est peut-être trouvée dans la préparation. «Nous avons négocié une trentaine de jours, en passant tout en revue. Le but était de construire sur des fondations saines, en toute confiance, en connaissant les positions des uns et des autres.»

«A refaire, nous nous lancerions dans la même aventure», lâche l’échevin forestois Simon de Beer (PTB), qui insiste aussi sur l’importance du travail préparatoire. Jusque-là, personne dans la majorité ne semble vouloir faire capoter cette coalition, qui fait partie de ces assemblages un peu particuliers. Où il reste, à en croire les membres des collèges de Bruxelles et de Wallonie, possible de s’entendre malgré les tensions du passé ou l’exacerbation des divergences à d’autres niveaux de pouvoir.

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