Toutes les pistes pour la création d’un gouvernement bruxellois semblent avoir été explorées. Le refus de Frederic De Gucht de prendre la main tendue d’Yvan Verougstraete sonne comme un aveu d’incurie des partis à l’encontre de Bruxelles.
Monsieur «Non» est de retour. En refusant la proposition du facilitateur Yvan Verougstraete (Les Engagés), qui aurait pu mener à une sortie de crise dans la formation d’un gouvernement bruxellois, Frédéric De Gucht (Open VLD) s’est (consciemment) attiré les foudres des autres leaders politiques bruxellois, qui ont eux-mêmes peut-être oublié avoir également dit «non» plus tôt dans cet interminable dossier. Le CD&V a dit «non» à un accès au gouvernement pour un secrétariat d’Etat, le PS a refusé de s’asseoir à la table de la N-VA (comme DéFI et Ecolo), le MR a refusé d’élire un gouvernement via le parlement, Vooruit a enterré l’idée d’une majorité de gauche. Au final, chacun ne serait-il pas satisfait par cette crise? Dans certains cabinets et bureaux politiques, l’idée d’une législature complète en affaires courantes fait son chemin.
Une certaine manière d’affronter le mur budgétaire
«Je ne veux pas croire que le Parti socialiste travaillerait dans l’optique de garder Rudi Vervoort au pouvoir plus longtemps encore», tempère Bernard Clerfayt (DéFI), l’un des hommes politiques bruxellois qui a vu grandir la région. Selon lui, le vrai enjeu est surtout budgétaire. Pourtant, dans tous les scénarios (ou presque), sept partis sont nécessaires pour former le futur gouvernement bruxellois. Parmi ceux-ci, certains veulent un retour à l’équilibre budgétaire en deux ans (comme l’Open VLD), d’autres en dix (comme le PS). «Comme chacun défend des priorités sociales bien différentes, il sera difficile de trouver un terrain d’entente», redoute le politologue du Cevipol, Pascal Delwit.
«C’est vrai que cela évite de se mouiller, de rogner dans les subventions, alors que tous savent que le prochain gouvernement bruxellois sera un gouvernement d’austérité, impliquant forcément peu de gain électoral», complète sa consœur du Crisp, Caroline Sägesser. Pour autant, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un retardement volontaire, du moins du côté francophone. (…) La lassitude de l’électorat aura aussi un coût politique élevé.» En attendant, l’absence d’un gouvernement de plein exercice force les autorités bruxelloises à fonctionner en «mode mineur», idem pour le budget en douzièmes provisoires, en ne renouvelant pas certains projets ou subsides. Tant pis pour le secteur associatif qui en dépend.
Un gouvernement bruxellois fait par des non-Bruxellois
Ce futur gouvernement bruxellois n’a pas pour autant cristallisé toute l’attention politique dès l’apparition de premiers symptômes de crise, à l’automne. L’avènement de l’Arizona était d’abord la priorité de tous les partis, à part peut-être du PS et de l’Open VLD, qui n’étaient pas concernés par la formation du gouvernement fédéral. «La majorité des électeurs de chaque parti victorieux le 9 juin se trouve en dehors de Bruxelles. Les états-majors poursuivaient donc d’autres intérêts ailleurs, estime Caroline Sägesser. C’est le résultat lorsque l’on demande à des partis communautaires de travailler dans une configuration régionale.»
C’est particulièrement le cas pour le MR, mais aussi la N-VA, et plus encore pour l’Open VLD, ce que l’agenda de Frédéric De Gucht confirme encore (l’élection interne à l’Open VLD aura lieu en octobre prochain). En réalité, la politique bruxelloise est en pénurie de leader. «Il y avait autrefois des leaders bruxellois au sein des partis, comme Guy Vanhengel (Open VLD), rappelle Caroline Sägesser. Frédéric De Gucht, lui, est en campagne pour l’Open VLD. Il n’était même pas candidat aux élections régionales le 9 juin 2024.»
Quant aux autres partis, ils sont déjà «servis» et la crise actuelle n’est donc pas un «drame», commente Pascal Delwit. Le MR, au pouvoir partout, a pu distribuer ses postes, et pour le PS, le seul enjeu est de savoir qui remplacera Vervoort et Ben Hamou au sein du gouvernement bruxellois. L’Open VLD, Vooruit, et Groen, eux, sont déjà au gouvernement également. Le politologue du Cevipol abonde dans le sens de Caroline Sägesser, estimant que l’attachement à Bruxelles est peut-être moins fort aujourd’hui que chez les leaders politiques bruxellois comme Charles Picqué, Didier Gosuin, ou Delphine Chabbert. «On a tout de même une ministre du gouvernement flamand, Cieltje Van Achter (N-VA), qui prend part activement aux négociations du gouvernement bruxellois. Certes, elle est ministre de Bruxelles pour la Flandre, mais cela reste du jamais-vu.»
Un système caduque et bloqué
Si la longueur de la crise ne relève pas de la volonté explicite des partis, elle témoigne surtout d’un paysage politique qui témoigne d’un «cadre institutionnel totalement dépassé», estime Pascal Delwit. La double majorité (francophone et néerlandophone) nécessaire à l’avènement d’un exécutif régional fait l’objet de contournements depuis plusieurs scrutins, mais la victoire de la Team Fouad Ahidar (reprenant des candidats plutôt francophones et ayant attiré des électeurs flamands) a jeté les bases d’un nouveau paysage. PS et MR l’ont bien compris, puisqu’ils envisagent chacun d’ouvrir une liste dans chaque collège lors des prochaines élections. Et rien ni personne ne viendra leur couper l’herbe sous le pied en rétablissant un collège électoral unique, puisqu’une réforme du cadre électoral bruxellois nécessite une majorité des deux tiers à la Chambre, au fédéral, ce que les principaux partis flamands (N-VA et Belang) refusent strictement.
«La Région a été créée parce que les partis flamands de Bruxelles en avaient marre de voir Bruxelles bloquée par les grands partis de l’échelon fédéral, sourit Bernard Clerfayt. Il semble que nous soyons arrivés au bout du système.»