Les parlementaires ont torpillé, par leur absence, les travaux de la Commission, au sein de laquelle des experts avaient pourtant préconisé, concernant certaines plaintes, un signalement auprès du procureur du Roi.
Parus en juillet dernier, les rapports reprenant les travaux de la Commission de contrôle des dépenses électorales lors du scrutin fédéral (et européen) de juin 2024 ne risquent pas d’inquiéter les parlementaires qui y sont mis en cause. La raison: au moment de se prononcer, le 29 avril dernier, le président de la Commission, Peter De Roover (N-VA), qui préside également la Chambre des représentants, a dû acter que le quorum requis en vue de prendre une décision relative au traitement des plaintes introduites n’était pas atteint.
En cause, les sièges laissés vides, le jour dit, par un certain nombre de parlementaires, dont les rapporteurs Sofie Merckx (PTB), qui évoque sa présence «sur le terrain» lors de la grève générale du 29 avril dernier pour justifier son absence, et Steven Coenegrachts (Open VLD).
Autres absents (non suppléés): Alexander Van Hoecke (Vlaams Belang), Steven Vandeput (N-VA), Nabil Boukili (PTB) et Dieter Van Biesen (Ecolo-Groen). Pierre-Yves Dermagne (PS), l’un des deux membres titulaires de son parti dans cette commission, s’est absenté en cours de route. Tout comme Sofie Merckx, le socialiste déplore un calendrier parlementaire serré et le fait que son départ n’a «pas été déterminant car après avoir rappelé les us et coutumes et palabré un peu, le président n’a pu que constater que le nombre de députés requis n’était pas atteint, moi y compris.»
«Pas de quorum, pas de décision», confirme un porte-parole du président de la Chambre, précisant au passage que le délai, courant jusqu’au 4 mai, pour transmettre éventuellement les plaintes au parquet compétent, a été dépassé, la Commission n’ayant pu se réunir entre-temps.
Di Rupo et Close épargnés
Trois socialistes en particulier ont ainsi échappé à un potentiel signalement judiciaire: Elio Di Rupo et Dorcas Kayembe Stamili (candidats au parlement européen), ainsi que Philippe Close, actuel bourgmestre de Bruxelles. Les deux premiers ont fait l’objet d’une plainte de Georges-Louis Bouchez, président du MR, qui leur reprochait une invitation à un «drink» intitulé «La passe décisive», à Mons, le 1er juin 2024, l’invitation comportant les photos des deux candidats socialistes pour les élections européennes. Or le Code électoral interdit d’offrir des boissons aux électeurs.
Georges-Louis Bouchez demandait à l’époque que la Commission se penche sur l’événement et «impute l’équivalent financier de cette promotion à charge des candidats concernés». D’après le rapport faisant état de cette plainte, les experts au sein de la Commission étaient d’avis que celle-ci se déclare compétente et dénonce les faits au Procureur du Roi de Mons. Il n’en aura donc rien été.
Idem en ce qui concerne Philippe Close, là aussi visé par une plainte de Georges-Louis Bouchez pour un slogan lié à une affiche commerciale: «Vote for Philippe Close, PS, number 4 Brussels Parliament», une affirmation qui a toutefois paru «douteuse puisque M. Close n’était pas candidat au parlement bruxellois» (NDLR: étant candidat à la Chambre), a noté la Commission, dont les experts n’ont toutefois pas exclu que les faits puissent être signalés au procureur du Roi de Bruxelles «en raison d’un début de preuve d’infraction […] au motif qu’il semble vraisemblable qu’il y avait une publicité pour M. Close sur un panneau commercial».
Si la plupart des plaintes analysées par la Commission sont attribuables à Georges-Louis Bouchez, qui a fait feu de tout bois contre le PS mais aussi la FGTB ou Solidaris (plaintes pour lesquelles la Commission s’est déclarée incompétente et/ou la plainte non fondée), le MR n’a toutefois pas été épargné. Paul Magnette, président du Parti socialiste, s’est pour sa part plaint le 4 mars 2024 de la présence d’affiches électorales trop grandes sur des panneaux dévolus à de l’affichage commercial à Chiny et Châtelet. Compétente selon ses propres experts, la Commission était censée pouvoir «instruire» la plainte dans le respect des droits de la défense du MR». Là aussi, il n’en a rien été.
Pluie de dénonciations
Interrogé sur la «jurisprudence» en matière de contrôle des dépenses électorales, le politologue et directeur du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp) Jean Faniel n’est pas très étonné par le fiasco de l’édition 2024. Et mentionne par exemple le cas de Léon Walry, député-bourgmestre d’Incourt, qui avait lui aussi été inquiété à l’occasion de la campagne fédérale de 2007 pour dépassement de son plafond de dépenses. Mais, une fois de plus, un quorum non atteint avait joué en sa faveur.
Pourtant, on aurait tort de croire que la Commission de contrôle –du moins au fédéral– n’a jamais été effective. Lors des élections fédérales suivantes, en 2010, une pluie de signalements judiciaires s’est abattue sur les candidats, la Commission dénonçant par courriers recommandés 93 candidats auprès des différents parquets.
Ici et là, l’ouverture de ces informations judiciaires avait même incité certains parquets –qui l’ont fait savoir– à poursuivre pénalement des candidats dénoncés par la Commission. Pour quel résultats? Outre l’abandon de certaines poursuites (candidats décédés entre-temps, par exemple), la Commission de l’époque avait dû acter qu’elle ne disposait pas «d’une vue d’ensemble sur le traitement des dénonciations par les différents parquets. Dès lors, on ne sait pas exactement quels candidats font effectivement l’objet de poursuites ni quel en est le résultat, ni quels candidats ont bénéficié d’une décision de classement sans suite.»