Ordres du jour, auditions, notes d’orientation… Selon les partis de l’opposition en Wallonie et à la FWB, la majorité bloque des leviers essentiels pour le contrôle parlementaire. Ce qu’elle conteste fermement.
La majorité MR-Les Engagés met-elle trop de bâtons dans les roues des partis de l’opposition? Aux parlements de Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ceux-ci font état d’un net recul des possibilités de contrôle parlementaire… et donc d’objections éclairées, de la part des élus comme de la société civile, vis-à-vis des réformes en cours. Le PS, Ecolo et le PTB viennent de publier ce 18 septembre un communiqué commun sur le sujet, parallèlement à des échanges avec Le Vif ces derniers jours. «Mises bout à bout, ces entraves empêchent le parlement d’exercer pleinement sa mission de contrôle du gouvernement et conduisent à un verrouillage du débat démocratique, y indiquent-ils. « Cacher, retarder, empêcher ». L’opposition PS-PTB-Ecolo exige que le gouvernement rétablisse la transparence et respecte le parlement.»
La rivalité entre opposition et majorité est certes une constante, tous hémicycles confondus. De même, il est politiquement de bonne guerre que le MR et Les Engagés ne souhaitent pas donner démesurément du grain à moudre aux critiques du PS, d’Ecolo et du PTB. Mais le contrôle parlementaire serait particulièrement mis à mal sous la législature actuelle. «Le gouvernement précédent n’était pas irréprochable en la matière, mais celui-ci a certainement franchi un pas de plus», résume Germain Mugemangango, chef du groupe PTB au parlement de Wallonie, le seul des trois partis à ne jamais avoir garni les rangs de la majorité en Wallonie et en FWB.
Les refus d’auditions, un obstacle au contrôle parlementaire?
De quoi parle-t-on exactement? D’abord, d’un refus jugé trop fréquent de procéder à des auditions au parlement, quand la demande émane de l’opposition, sur des réformes ou actualités essentielles: gestion de la cyberattaque qu’a subie l’administration wallonne, suppression des cellules de reconversion, de la septième année qualifiante dans l’enseignement secondaire, du certificat de management public… Les auditions permettent à des acteurs de premier plan de documenter les élus en exposant leur réalité, leurs chiffres ou leurs inquiétudes à l’égard de mesures qui les affectent directement. Elles peuvent aussi apporter des réponses lorsque des scandales éclosent (Publifin en 2016, les PFAS en 2023…). Retranscrits intégralement, les échanges sont publiés sur le site des parlements –sauf en cas de huis clos. L’opportunité d’une audition étant soumise à un vote des parlementaires en commission, une majorité peut la refuser. Les partis de l’opposition déplorent que le MR et Les Engagés en aient fait une habitude inédite.
«Le gouvernement n’a visiblement pas envie que soient formulées des critiques sur ses choix parfois absurdes.»
Emmené par Christie Morreale, le groupe PS au parlement de Wallonie est le premier à avoir évoqué, lors d’une rencontre avec la presse en juillet dernier, de multiples entraves au contrôle parlementaire, y compris les refus d’auditions. Chef de groupe Ecolo, Stéphane Hazée concède de son côté avoir pu obtenir certaines auditions, notamment concernant les pesticides. Mais pour l’essentiel, «le gouvernement n’a visiblement pas envie que soient formulées, dans le lieu officiel qu’est le parlement, des critiques sur ses choix parfois absurdes, irrationnels ou idéologiques, critique-t-il. Les refus d’auditions sur des enjeux qui concernent des milliers de personnes sont particulièrement saillants.» Pour Germain Mugemangango, «les partenaires de gouvernement sont plus soucieux de leur ligne politique que de la réalité. Ils veulent empêcher toute contestation. Des gens demandent à être entendus sur des réformes présentées comme essentielles, mais le MR et Les Engagés font la sourde oreille.»
Dans le cas des cellules de reconversion comme de la réforme du qualifiant, l’opposition a de ce fait trouvé des parades. Elle a convié les nombreux acteurs qui demandaient à être entendus à des auditions «pirates», qui se sont déroulées au parlement, mais sans avoir ni la même audience ni la même portée officielle. Des acteurs peuvent aussi demander à être entendus au parlement, moyennant le dépôt d’une pétition. Ainsi, une audition sur les cellules de reconversion est bel et bien prévue le 23 septembre prochain, mais elle résulte d’une pétition introduite par le secrétaire général de la FGTB wallonne, Jean-François Tamellini.
«En un an, depuis le début de son installation, ce parlement n’a jamais autant auditionné à la demande de l’opposition.»
Le cabinet du ministre-président wallon, Adrien Dolimont (MR), conteste vivement ces critiques. «En un an, depuis le début de son installation, ce parlement n’a jamais autant auditionné et organisé de débats parlementaires à la demande de l’opposition», rétorque-t-il, listant quelque 33 débats ou auditions depuis le début de la législature. Par rapport aux années précédentes (hormis durant la période Covid, où les audiences ont été anormalement élevées), le nombre d’auditions répertoriées par le greffe du parlement ne semble pas anormalement faible (voir le graphique ci-dessous). Mais ce bilan chiffré ne dit rien du nombre d’auditions refusées, ni de leur importance vu les réformes en gestation. «Des échanges ont lieu en commission pour justifier ces rejets: ces commissions sont publiques, diffusées et font l’objet d’un compte-rendu qui permet à tout un chacun d’en prendre connaissance, poursuit le cabinet Dolimont. Les députés doivent-ils refaire le débat? La séparation des pouvoirs est un principe essentiel, chaque instance assume les responsabilités qui sont les siennes. Ce n’est pas au parlement que se préparent les réformes et les décisions gouvernementales. Les acteurs concernés par ces dernières sont consultés par les ministres. Les parlementaires ne participent pas en toute logique à ce processus.»
La fin des ordres du jour provisoires
Ces dernières semaines, un deuxième changement est venu bousculer le travail parlementaire. Depuis plusieurs législatures, les députés recevaient, chaque lundi, un ordre du jour provisoire des points prévus au gouvernement du jeudi de la même semaine. Celui-ci permettait aux élus de l’opposition de préparer, en amont, des questions orales à soumettre jusqu’au mardi au plus tard. Ce 18 septembre, l’opposition a toutefois reçu la confirmation que ces ordres du jour provisoires ne seraient désormais plus transmis. «Le gouvernement empêche de la sorte d’avoir des discussions légitimes vis-à-vis de projets qu’il prépare», commente Stéphane Hazée. «Cela prive les députés d’une source d’information sur l’activité gouvernementale», acquiesce Christie Morreale.
«Parler d’entrave au travail parlementaire relève soit d’une méconnaissance de ce qui est ou peut être disponible, soit d’une déformation de la réalité, répond-on au cabinet Dolimont, invoquant une volonté de clarification et d’efficacité. Rien n’oblige le gouvernement wallon à transmettre ses ordres du jour provisoires (NDLR: une telle disposition ne figure en effet pas dans le règlement du parlement). Depuis ce gouvernement, l’ordre du jour définitif est transmis aux députés wallons le jeudi matin de la séance. Jusqu’ici, il ne l’était que le vendredi de la semaine suivante, car il était transmis avec les notifications définitives. En procédant de la sorte, ce gouvernement est plus transparent que tous les précédents, car il informe correctement et non partiellement les députés de tous les points qui sont débattus.»
Concernant les répercussions sur le dépôt de questions orales, le cabinet Dolimont précise qu’un «député aura toujours la possibilité de poser sa question au plus tard à la séance de commission suivante. Par ailleurs, si ce point a fait l’objet d’une communication ou d’une actualité, les députés peuvent en séance plénière interroger le ministre concerné via des questions d’actualité ou des questions urgentes. Ils ne perdent donc aucun espace de discussion.» Pour l’opposition, un tel changement nuit à la réactivité du travail parlementaire.
D’autres reculs notables
Enfin, les partis de l’opposition pointent, cette fois dans des proportions variables, une série d’autres reculs en matière de contrôle parlementaire. Le groupe PS, par exemple, dit avoir reçu des courriers de la part de certains cabinets ministériels, lui signifiant qu’il ne recevrait désormais plus les projets de décret au stade de la première lecture. «Il est arrivé qu’on ne les reçoive pas sous cette législature, mais je n’y vois pas encore une règle», nuance pour sa part Stéphane Hazée. «Le PS et Ecolo ont beau jeu de mettre cela en évidence, alors que cela arrivait aussi avec la majorité précédente», relève Germain Mugemangango.
PS, Ecolo et PTB pointent un autre problème fondamental: la non-transmission des notes d’orientation associées aux décisions que prend le gouvernement. «Nous apprenons ainsi qu’il adopte une note sur la stratégie immobilière, sur le régime des mandats, mais en l’absence d’annexe, ces notifications ne disent plus rien, regrette Stéphane Hazée. Certes, nous pouvons écrire aux ministres pour recevoir la note –et c’est souvent le cas– mais entre-temps, un mois est passé et l’information est devenue moins centrale.» Dans leur communiqué conjoint, les partis de l’opposition rapportent que, «depuis quatre ou cinq ans, le gouvernement avait pris les dispositions pour que les notes d’orientation contiennent les éléments de contenu utiles. Ceci est donc la remise en question d’une évolution qui était positive.» De son côté, le cabinet Dolimont rétorque au contraire que ce gouvernement ne revient nullement sur une pratique bien établie.