RIS
Parmi les députés fédéraux MR interrogés par Le Vif, seuls Denis Ducarme et Youssef Handichi ne sont pas défavorables à la limitation dans le temps du RIS. Mais, dit ce dernier, pas tout de suite. Il faut y aller "step by step". © Photo News

La limitation du RIS dans le temps, prochaine idée libérale à la mode? «Les gens vont s’émanciper naturellement et n’en auront même plus besoin»

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La limitation du RIS dans le temps après celle du chômage? Les députés MR sont partagés. Youssef Handichi, transfuge du PTB, n’y est pas défavorable, et Denis Ducarme veut « ouvrir le débat », au contraire de trois de leurs camarades auxquels Le Vif a proposé l’idée.

Le MR doit une partie de sa grande victoire du 9 juin 2024 à la faculté de son président, Georges-Louis Bouchez, de porter des propositions polémiques mais populaires dans le débat public. Les communicants appellent la fenêtre d’Overton l’ensemble des idées considérées comme plus ou moins acceptables par l’opinion publique d’une société donnée. Eh bien, Georges-Louis Bouchez, en Belgique francophone, a élargi la fenêtre d’Overton, en mobilisant l’opinion sur des thématiques comme l’immigration, la place de l’islam ou les allocations versées aux personnes inactives. Bien en prit au Montois, d’élargir cette lucarne, et heureux sont, désormais, les réformateurs. Ils ont gagné les élections, sont dans tous les gouvernements ou presque, et peuvent mettre en œuvre des idées qui, il y a quelques années encore, semblaient impensables ou radicales. L’étape suivante pour le MR, désormais, est de se trouver de nouveaux coins sur lesquels tirer afin d’agrandir le cadre des idées admissibles.

La limitation dans le temps du Revenu d’intégration sociale (RIS) en est un, de coin. Il y aurait de gros débats. Et beaucoup d’électeurs susceptibles de voter pour le MR seraient pour. Exactement comme il le faut. La limitation dans le temps des prestations sociales est en effet une revendication très efficace autant qu’un moteur de l’action publique contemporaine. La fin du «chômage à vie» est annoncée comme une révolution par le gouvernement fédéral, tandis que le gouvernement wallon travaille à mettre un terme définitif au «logement social à vie».

Alors, dans la même logique, pourquoi ne pas limiter dans le temps le RIS? Ce revenu distribué par les CPAS et pour lequel les bénéficiaires sont tenus d’entamer un Projet individualisé d’Intégration sociale (PIIS). Il est limité dans ses montants et dans ses conditions d’accès, puisqu’il faut démontrer un état de besoin. Mais pas dans le temps.

Le député fédéral Youssef Handichi est ouvert à l’hypothèse. Pourtant, ce transfuge du PTB vient selon lui de plus loin que ses collègues… 

«Le gars qui est en face de vous a été biberonné au logement social à vie. C’était mon modèle. J’ai grandi avec ça, je suis un gars des quartiers qui a vécu dans la génération des films La Haine, Ma Cité va craquer, et je rêvais d’être dans un logement social. Pourquoi ? Parce que je serais au chaud, machin machin, ça donnait une certaine forme de garantie, et j’étais rassuré. J’étais vraiment rassuré, et je pensais que ce modèle à vie était le plus performant», commence-t-il. Mais ça, c’était avant.

«Aujourd’hui j’ai plus de maturité, et effectivement je pense que ces modèles « à vie » ne sont jamais bons, ils sont un vrai frein à l’émancipation, un frein à se lancer et à oser réfléchir autrement. En fait c’est un frein à l’évolution sociétale dans sa globalité. Donc, le RIS à vie… Je ne pense pas qu’aujourd’hui annuler un RIS à vie soit idéal. Il faut y aller step by step. Il faut d’abord un petit peu voir comment les gens s’émancipent, parce qu’il faut les accompagner aussi dans cette émancipation. Une fois qu’on a un beau pot de gens qui s’émancipent, alors, oui, on peut y aller. Et j’ai même envie de vous dire que naturellement les gens s’émanciperont et n’auront même plus besoin de ces RIS», conclut-il.

Ses collègues Denis Ducarme et Florence Reuter, comme son chef de groupe Benoit Piedboeuf, partagent l’objectif d’émancipation, beaucoup moins l’hypothèse de la limitation dans le temps généralisée des prestations sociales.

«Le revenu d’intégration sociale c’est vraiment le dernier filet de la solidarité. Il ne s’agit pas de mon point de vue de laisser les gens s’enfoncer dans la misère, on est dans un système politique de démocratie sociale libérale. La solidarité c’est un enjeu. Et même quand les gens ont perdu leur emploi et sont au chômage depuis plusieurs années, il ne s’agit pas de les priver d’aide sociale. L’aide sociale, l’action sociale sont à préserver. Alors, il faut activer encore davantage les Projets individualisés d’Intégration sociale (PIIS), se donner la possibilité de pousser encore davantage les gens vers des emplois en pénurie, pose Denis Ducarme. Pour deux raisons. Budgétaire et morale: l’idée est d’aider les gens à s’émanciper. Maintenant, si après plusieurs années de RIS, aucun effort d’émancipation n’est produit, envisager que le RIS soit partiellement dégressif pourrait faire l’objet d’un débat…», augure-t-il.

Florence Reuter, elle, fait remarquer que le RIS «n’est pas à vie, parce qu’il y a une pension après, la pension de survie, la GRAPA», mais la remarque vaut pour le chômage. Elle précise. «Un RIS ce n’est pas un chômage. Le chômage c’est une assurance, pour si vous avez un problème dans la vie, une restructuration ou quelque chose. Ce n’est pas une allocation sociale. Une allocation sociale, l’assistance, c’est purement la solidarité de la société qui joue en plein pour quelqu’un qui n’a droit à rien, pour ne pas qu’il se retrouve dans la rue. On ne peut pas comparer ça à une limitation du chômage. Le chômage c’est justement vous permettre de rebondir à un moment donné pour aller retravailler, c’est deux choses complètement différentes. On ne peut pas comparer les deux. L’aide sociale de base, c’est l’aide sociale de base ! »

Quant à Benoit Piedboeuf, il recadre la fenêtre d’Overton, et fait une habile référence à l’ancien combat de son président de parti, Georges-Louis Bouchez, en faveur de l’allocation universelle, « On se trouve dans la société avec des cas que l’on peut résoudre et d’autres pas. Quand on a évoqué le revenu minimum garanti à tout le monde, c’était une sorte de reconnaissance qu’il y a des cas dans lesquels il n’y a pas de solution. Et donc maintenir un revenu qui permet à des gens de subsister, ce n’est quand même pas scandaleux. Dire qu’il faut mettre fin au RIS à vie, ça me paraît impraticable en termes de cohésion sociale. Si on fait ça, on va créer peut-être une réaction, une criminalité. »

Mathieu Michel, lui, ne recadre pas, il n’élargit pas, il repasse par la porte alors qu’on attendait de lui qu’il emprunte la fenêtre d’Overton. Car l’ancien secrétaire d’Etat n’était pas spécialement en faveur de la limitation dans le temps des allocations de chômage. «Je pense que les outils ne sont pas adaptés. En fait, le RIS n’est qu’une prolongation du chômage mais à charge des communes. L’effet pervers de la limitation du chômage dans le temps, c’est ce transfert de charges, et je vous avoue que je n’ai jamais été fan de cette idée de contraindre le chômage illimité par un renvoi vers le RIS. Ce n’est pas une bonne idée parce que le RIS devient une espèce de chômage local… Avec un argument qui est qu’au niveau local on va pouvoir avoir un accompagnement plus précis. Moi, j’ai commencé ma carrière comme conseiller CPAS. Les CPAS et les gens qui y travaillent font un boulot génial, mais ils ne peuvent pas, en fait, recueillir, accompagner et surtout activer tous ceux qui potentiellement, sont concernés. Donc moi j’ai quelques réserves. Par contre, je suis plus favorable à l’idée de bien circonscrire le RIS à un accompagnement plus local et plutôt par des aides plus ponctuelles », veut-il conclure, mais on lui fait remarquer que c’est rare, un député qui se montre réticent à une mesure populaire que défend son parti. «Tu veux que je fasse la liste de toutes les mesures qui ne sont pas totalement…, voilà… Il y a toute une série de concessions à faire en politique. Parfois avec tes partenaires de coalition, parfois avec ton propre parti », rigole-t-il.

Parmi ces cinq bleus-là donc, il n’y a, sur l’idée de limiter dans le temps le RIS, que Youssef Handichi et Denis Ducarme pour envisager l’élargissement de cette fenêtre.   

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