La libérale Alexia Bertrand est à l’Open VLD aujourd’hui, mais toujours au MR, où elle était hier. Ils ont changé de parti, l’ont quitté pour un autre, ou pas, et ils en sont toujours fiers. C’est notre série d’été «Partir un jour».
C’est tout simple, même si on ne le dirait pas, «mais oui, j’ai encore ma carte au MR!», confirme, en s’asseyant, Alexia Bertrand, la députée fédérale de l’Open VLD, dont elle est la cheffe de groupe à la Chambre. On est au Sablon, et elle vient d’un parlement bruxellois, qu’elle avait animé comme cheffe de groupe MR entre juin 2019 et le 19 novembre 2022, jour où elle est devenue secrétaire d’Etat au Budget à la demande d’Alexander De Croo. Le parti libéral de l’ancien Premier ministre est de la sorte devenu le sien aussi, sans qu’elle ne quitte le MR, même si cela ne fut pas sans tensions avec son ancien président de parti, qui est également son actuel puisqu’elle a encore sa carte au MR. C’est tout simple vous dit-on.
«Je n’ai pas quitté, on est venu me chercher, contrairement au move qu’ont fait d’autres politiciens d’un parti vers un autre».
Elle venait d’une réunion du groupe régional bruxellois de l’Open VLD, avant d’arriver un peu en retard au Sablon. Elle a passé la nuit à la Chambre, à se bagarrer avec les partis de l’Arizona, sur le banc VLD, juste à côté de ses copains MR, «j’ai Daniel Bacquelaine à côté de moi, Denis Ducarme est juste derrière, Florence Reuter, Gilles Foret, Hervé Cornillie, Benoit Piedboeuf évidemment… Tous en fait. Il n’y en a pas un avec qui c’est compliqué», assure-t-elle, en poursuivant avec simplicité, même si assis juste après Daniel Bacquelaine, sur les bancs de la Chambre, il y a Georges-Louis Bouchez, avec qui «ça n’a pas toujours été simple». Oui, oui, elle a toujours sa carte au MR, elle a même été élue députée fédérale comme candidate Open VLD à la quatrième place sur la liste MR. C’était une première, cette liste commune à Bruxelles. Ce n’est pas compliqué mais cela ne se fit pas sans tensions, et quand elle n’était encore que MR, c’est elle qui avait lancé une liste commune Open MR, entre libéraux flamands et francophones, pour les communales d’octobre 2018, quand elle n’était encore que MR, cela avait été tout simple cette fois-là.
Alexia Bertrand est libérale, elle est, elle le dit elle-même, issue d’un milieu très privilégié, où l’on sut s’enrichir autour du port d’Anvers comme dans le grand immobilier bruxellois, l’entreprise familiale possédant de prospères segments de l’un comme de l’autre et de tant d’autres choses. Elle a étudié le droit à l’UCLouvain, puis Harvard, elle a été avocate dans le monde entier mais surtout ici et à New York. Elle est francophone et flamande, les deux en même temps, mais pas simultanément selon le niveau de pouvoir. A la Région bruxelloise elle est en effet francophone pour toujours, puisqu’elle a été, en mai 2019, élue, comme députée régionale MR, dans le groupe linguistique français du parlement bruxellois, et que l’on ne peut constitutionnellement en changer. Pour le fédéral, elle est néerlandophone à vie, puisqu’elle a, en juin 2024, prêté serment d’abord en néerlandais comme députée de l’arrondissement de Bruxelles à la Chambre des représentants, et que c’est constitutionnellement irréversible. Ce n’est pas simple, c’est même tout le contraire, c’est absolument absurde, et elle en rigole, parce que c’est «la preuve qu’il faut imposer des listes bilingues à Bruxelles. Je ne sais pas si la comparaison est pertinente mais un Belgo-Marocain m’expliquait qu’on l’appelait « le Belge » au Maroc et « le Marocain » en Belgique… Il me disait « je ne suis pas assis entre deux chaises, j’ai deux chaises, je ne renonce à rien », et je me sens comme ça, c’est ce que je suis, je n’ai pas une identité, mon identité est multiple, je suis libérale et flamande, libérale francophone, francophone et flamande, femme, libre, ces identités multiples ne se contredisent pas, elles se complètent. Et mon électorat ne me le reproche pas, au contraire», détaille-t-elle avec entrain.
D’où vient alors cette impression qu’Alexia Bertrand est passée d’une chaise à l’autre en troquant un siège, députée régionale MR et candidate ministre-présidente, pour un autre, secrétaire d’Etat fédérale puis cheffe du groupe fédéral de l’Open VLD?
Du fait que la transition fut rapide? Elle s’est jouée en 24 heures. «J’étais à une formation sur l’accompagnement en soins palliatifs, dans le centre-ville. Egbert Lachaert m’appelle, il me demande si on peut se voir à midi, je lui réponds que je n’ai pas beaucoup de temps, et on se voit trois quarts d’heure au Starbucks, sur la place Rogier. Là, je tombe des nues, je lui dis « mais enfin, vous n’allez pas remplacer Eva! »», raconte-t-elle. Mais, la séance plénière à la Chambre, prévue l’après-midi, sera, comme Egbert Lachaert et Alexander De Croo le savent déjà, ravageuse pour la secrétaire d’Etat Eva De Bleeker, qui démissionne quelques heures plus tard. Le lendemain matin, Alexia Bertrand, qui ne savait encore rien mais qui avait tout de même pensé à mettre un tailleur, termine de déjeuner avec sa collègue Anne-Charlotte d’Ursel, après un débat au parlement de la Cocof. Et là bing, à 14 heures, l’appel d’Egbert Lachaert, peut-elle venir au parti? Oui, elle le peut, elle y va, elle devient secrétaire d’Etat selon Alexander De Croo et doit filer chez le roi, où elle devient secrétaire d’Etat selon la loi. «C’était la Saint-V, on a traversé le cortège, quel tourbillon», se rappelle-t-elle. Elle a mis des semaines à répondre à tous les messages et les e-mails, mais il a fallu expliquer à ses enfants le soir, «il y en a un qui a demandé dans le groupe WhatsApp familial c’était quoi mon nouveau boulot de secrétaire».
«Mon identité est multiple, je suis libérale et flamande, libérale francophone, francophone et flamande.»
Et puis, il a fallu aussi annoncer la nouvelle au président de parti qu’elle ne quittait pas, mais à qui elle faisait tout de même un sale coup.
Le président qu’elle allait, le premier jour de bureau de son nouveau parti, peu après sa désignation, qualifier de «petit enfant». Et c’est sans doute cela qui a donné cet air d’entre-deux-chaises à Alexia Bertrand, libérale francophone et flamande. Sa nomination a résonné comme un transfert parce qu’ellea eu lieu à une période d’extrême tension entre libéraux francophones et néerlandophones. Une période de fortes frictions entre elle-même et Georges-Louis Bouchez, que surprirent, et qu’encolérèrent, le parti frère et l’ancienne alliée bruxelloise, ce jour-là. «Il était aux Emirats, pour un Grand Prix je crois, Egbert a essayé de le joindre, moi aussi, mais voilà», dit-elle. A l’été, Georges-Louis Bouchez avait choisi Hadja Lahbib pour succéder à Sophie Wilmès, et beaucoup avaient vu en Alexia Bertrand une candidate frustrée. Pas elle. «Mais la manière dont ça s’était passé et la conversation qui n’avait pas eu lieu, ce qui n’était ni courtois, ni respectueux, ni digne des ressources humaines correctes de n’importe quelle organisation», l’avait déçue. Et le changement de ligne sur la tête de liste régionale, promise par Bouchez à David Leisterh, avait fini de crisper les relations intrafrancophones, d’où cette assise sur des chaises interlibérales. Ce qui fait dire à Alexia Bertrand que, à la différence des autres femmes et hommes politiques interrogés dans notre série d’été, «moi, je n’ai pas quitté, on est venu me chercher, et ce n’était pas préparé du tout, contrairement au move qu’ont fait d’autres politiciens d’un parti vers un autre». Mais après n’avoir pas quitté son parti, il fallut tout de même traverser une année de discussions «franchement pénibles», sur la liste libérale fédérale commune à Bruxelles, année pendant laquelle la parfaite bilingue assise sur deux chaises envisagea sérieusement de présenter une liste Open VLD concurrente à celle du MR.
Et après ça, une fois la quatrième place sur la liste conjointe assurée, une fois l’élection officielle, il fallut à Alexia Bertrand se réjouir de la victoire des siens et encaisser la défaite des siens, la victoire des libéraux francophones était si belle, et la défaite des Flamands était si laide, que les uns allaient se retrouver au pouvoir, et les autres dans l’opposition, «alors que nous avions même envisagé de faire un groupe commun à la Chambre», soupire-t-elle.
«Mais si on n’a pas une opposition de qualité, c’est bien simple, il n’y a pas de démocratie, et pas de gouvernement de qualité non plus», reprend-elle. Même quand on ne le dirait pas, c’est donc tout simple.
Cinq dates
30 mai 1979
Naissance à Wilrijk, dans la jolie banlieue d’Anvers. Alexia Bertrand est une héritière. Son père, Luc Bertrand, dirige une des plus puissantes multinationales de Belgique, Ackermans et van Haaren. Elle étudie le droit à l’UCLouvain, puis à Harvard.
Fin 2011
Avocate inscrite aux barreaux de Bruxelles et de New York, elle approche, via une connaissance, le cabinet d’Alexander De Croo à la fin de la crise des 541 jours. Il ne donne pas suite, elle approche Didier Reynders, dont elle deviendra vite cheffe de cabinet. Comme quoi.
17 janvier 2020
Cheffe de groupe au parlement régional, elle renonce à se présenter à la présidence de la fédération MR de Bruxelles, et soutient David Leisterh. En échange, Georges-Louis Bouchez annonce sa volonté de «placer une femme, en la personne d’Alexia Bertrand, à la ministre-présidence» en 2024.
17 novembre 2022
A midi, elle rencontre Egbert Lachaert, président de l’Open VLD, au Starbucks de Rogier. Il lui annonce que la démission d’Eva De Bleeker est inévitable. Alexia Bertrand n’y croit pas trop. Vingt-quatre heures plus tard, elle devient secrétaire d’Etat au Budget d’Alexander De Croo.
4 février 2025
Elue à la Chambre sur une liste commune MR-VLD, Alexia Bertrand devient cheffe de groupe VLD, dans l’opposition. Le MR, sur les bancs d’à côté, est dans la majorité. Eva De Bleeker est désormais sa présidente de parti, et Alexander De Croo un simple député fédéral.
L’idée qu’elle ne défend plus
Comme le MR, elle s’opposait à la limitation des allocations de chômage dans le temps, que défendait le VLD.
L’idée qu’elle conserve
Le service citoyen, qu’elle reproche au MR de démanteler avec l’Arizona.
La pire vacherie
Le silence de quelques-uns, «au sommet du MR», quand elle est devenue secrétaire d’Etat pour l’Open VLD.
La personne qui l’a fait changer
«Elles sont deux»: Alexander De Croo et Egbert Lachaert