Nicolas De Decker

La certaine idée de Nicolas De Decker: les aventuriers de la neutralité

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Pour des raisons électorales, la neutralité de l’Etat est mise à toutes les sauces, en Belgique francophone. Le plus souvent, en racontant n’importe quoi. Comme sur les piscines ou pour les échevins…

En Belgique, l’Eglise est si séparée de l’Etat que si la Belgique s’est séparée d’un Etat, c’est à l’Eglise qu’elle le doit.

En 1830, en effet, l’Eglise catholique a appuyé de toutes ses forces la sécession des provinces belges, catholiques, du royaume uni des Pays-Bas, trop protestant et donc trop sécularisateur à son goût.

Les demandes d’immixtion de l’Eglise dans les affaires publiques furent reçues avec une telle hostilité qu’elle se vit confier l’exercice de prestations de service public dont aujourd’hui personne n’ose plus demander la déconfessionnalisation.

Le combat pour la neutralité de l’Etat fut si simple, et si bien mené, que, près de deux siècles plus tard, les curés sont encore payés comme des fonctionnaires, que plus de la moitié de élèves sont inscrits dans des écoles catholiques où les cours de religion sont obligatoires, et que des millions de patients se font soigner pour pas cher dans des hôpitaux chrétiens.

C’est sans doute de cette tradition si claire et de cette intransigeance si pure que s’inspirent aujourd’hui les conséquents défenseurs, en Belgique francophone, d’une si stricte neutralité de l’Etat que leurs plus rationnels promoteurs l’appellent même laïcité, parce que, disent-ils, ça serait plus clair. Aucun de ces neutres ancrés dans la tradition ni de ces laïques hissés sur les épaules de leurs ancêtres ne trouvent qu’il faut en finir avec le financement public des cultes, des écoles religieuses et des institutions de soins chrétiennes.

Mais c’est parce que la neutralité de l’Etat, disent-ils, est à défendre ailleurs, aujourd’hui. Elle est à confirmer dans les collèges communaux, d’abord.

Une échevine doit être neutre, les a-t-on entendu dire il y a deux semaines, parce qu’une échevine socialiste flamande de Molenbeek allait prêter serment tout en portant un voile islamique. Et c’est vrai qu’il faut toutes les lumières de voltairiennes vigies pour s’apercevoir qu’une personne qui est élue en faisant campagne pour un parti et en mettant sa tête sur des affiches pour un métier consistant à voter chaque mois lors des séances publiques du conseil communal et à prendre des décisions politiques qu’il faut placarder sur les valves communales afin de se faire réélire en donnant des interviews pour promouvoir ses idées et en faisant du porte-à-porte pour dire qu’il faut voter pour elle est toujours neutre en apparence et n’exprime jamais ses convictions, sauf quand cette personne a un voile islamique sur la tête.

Elle est à réaffirmer dans les bassins de natation, ensuite.

Une piscine doit être neutre, les a-t-on entendu dire, cette semaine, parce que dans la piscine communale de Schaerbeek, le règlement n’interdisait pas des combinaisons de natation qui couvrent l’ensemble du corps, pour autant qu’elles respectent toutes les conditions d’hygiène, ce qui semble arranger d’hypothétiques nageuses musulmanes en burkini. Et c’est vrai qu’il faut toute la science de rationalistes pointus pour comprendre que les usagers d’un service public, fût-il aquatique, sont neutres, sauf quand une nageuse se couvre parce qu’elle croit que c’est ce que veut son dieu. Vont-ils aussi bientôt l’exiger des usagers d’un train ou des patients d’un hôpital public?

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