Dans tous les parlements du pays, le PTB veut déposer des textes visant à supprimer les privilèges des ministres.

Jusqu’à 2.000 euros d’indemnités logement, un indécent complément de salaire des ministres? «Quand je touchais ma paie, je ne savais même pas que ça existait»

Sylvain Anciaux

Dans chaque gouvernement du pays, les ministres peuvent percevoir des indemnités de logement et d’autres avantages financiers. A l’heure de l’austérité budgétaire, le PTB ferraille pour supprimer ces privilèges. Le débat pourrait s’ouvrir.

L’air qui souffle sur les plaines de l’Arizona est un vent d’austérité, très certainement. Un vent qui agite aussi les entités fédérées –à l’exception de l’île bruxelloise, où gronde toujours la tempête politique. Les 46 ministres actuellement en poste à tous les niveaux de pouvoir du pays peuvent cependant s’emmitoufler dans une épaisse couverture nommée «allocation de logement», parfois appelée «indemnité pour frais de logement et domesticité», qui permet aux ministres venus de lointaines communes de jouir d’un logement adéquat proche des lieux de pouvoir bruxellois après des réunions qui se clôturent parfois aux petites heures.

Le montant de ces allocations, qui sont donc ajoutés aux salaires, est fixé par le chef de chaque gouvernement pour ses collègues*. Ainsi, comme le révélait Le Vif en mars dernier, Bart De Wever octroie à chacun de ses ministres 1.923,82 euros, et ce malgré la présence de petits appartements de fonction souvent installés dans les cabinets ministériels. Au sein du gouvernement wallon, comme Le Vif le révélait toujours en mars dernier, cette allocation s’élève à 1.377,15 euros, tout comme pour les élus de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui, s’ils cumulent les mandats, ne cumulent pas les allocations. Les Flamands ont fait preuve d’un comportement un peu plus orthodoxe, puisque les allocations de logement de leurs ministres s’élèvent à 1.152,52 euros par mois. En région bruxelloise, à peine vaste de 32,61 kilomètres carrés, une allocation de 400 euros en frais de logement et de 1.250 euros en frais de domesticité (donc 1.650 euros au total), est en vigueur depuis 2001, sans néanmoins avoir jamais été indexée. A cela s’ajoutent –pour les élus de la majorité comme de l’opposition– les frais de représentation (qui servent par exemple à s’acheter une cravate pour un discours important ou à faire un cadeau diplomatique), moins uniformisés encore, qui varient de 384,76 euros, pour un «simple» ministre, à 796,53 euros pour les membres du kern. (Pour info, les députés wallons et fédéraux touchent également des frais de représentation, plus élevés même: 2.496 euros par mois). Détail important: tous ces montants sont défiscalisés.

La N-VA désaccordée

Ces privilèges, le PTB estime qu’ils ne vont plus vraiment dans le sens du vent, et entend les abattre. Pour ce faire, le parti a mobilisé ses députés les plus médiatiques dans chaque hémicycle du pays. Jos D’Haes en Flandre, Germain Mugemangango en Wallonie (et probablement à la Fédération Wallonie-Bruxelles), Sofie Merckx au fédéral, et Françoise De Smedt à Bruxelles. «A tous les niveaux de pouvoir, on parle d’austérité, on dit qu’on va couper dans les dépenses. Par contre, quand il s’agit de payer les ministres, il n’y a pas de problème, dénonce Sofie Merckx. Avec leurs salaires élevés et leurs indemnités supplémentaires, comment les ministres peuvent-ils encore rester en contact avec la population et savoir ce que cela signifie lorsque les loyers des logements sont si élevés?» Tous déposeront bientôt un texte visant à supprimer la mesure, mais chacun devra batailler différemment en fonction des partis (voire même des fédérations de partis) auxquels sera présentée l’abrogation.

Au parlement flamand, Vooruit soutient la proposition des communistes et semble prêt à y accéder. Le CD&V ouvre la porte de manière un brin plus ambiguë en acceptant de revoir le système. Mais le ministre-président, Matthias Diependaele (N-VA), arguant une économie de 8% par rapport à la législature précédente, se montre plus réticent. Il devra peut-être accorder ses violons avec son Premier ministre (et président de parti empêché), Bart De Wever, qui n’a pas fermé la porte à un accord sur le sujet si les partis de la majorité y consentaient. Les Engagés ne se prononcent pas encore, le MR national non plus, mais le cabinet du Ministre-Président wallon, Adrien Dolimont, «n’alimente pas les sorties du PTB sur le sujet. Par expérience, quoiqu’on dise ou qu’on fasse, ce sera toujours contesté, critiqué, instrumentalisé». DéFI étudie encore le sujet et lib.res, le nouveau parti créé par Olivier Maingain, y sera «certainement favorable».

Au passage, à gauche, le PS «demande qu’il n’y ait pas de doublon: si un logement est mis à disposition, pas d’indemnité en plus. Nous voulons plus de transparence, un plafonnement clair, et des règles justes». Ecolo veut pour sa part agglomérer privilèges et allocations dans un package salarial unique, fiscalisé, et surtout diminué de 35%.

Pour les ministres, c’est un détail

Le Vif a contacté plusieurs ministres passés par le gouvernement fédéral ces 20 dernières années. Aucun d’entre eux ne semble accorder une importance déterminante à ces primes, d’ailleurs aucun n’a affirmé ne les avoir demandées –bien qu’elles furent pour certains automatiques. «Quand je touchais mon salaire qui s’élevait à plus ou moins 11.000 euros, je voyais le net arriver, je n’ai jamais regardé à cette histoire de logement, confesse l’un d’entre eux. Je ne savais pas qu’elle existait.» C’est que le sujet ne fait pas vraiment débat, dans le conseil des ministres, personne ne l’ayant mis sur la table, ni même en aparté. D’autres auraient cumulé ces indemnités de logement avec un appartement en centre-ville cette fois financé par la Régie des Bâtiments.

C’est typiquement ce que reprochent les trois partis de gauche, maintenant que deux d’entre eux sont dans l’opposition, aux autres: la déconnexion. «On demande aux gens de faire des efforts, de travailler plus longtemps, de vivre avec moins… C’est d’abord au monde politique de faire des efforts», estiment en substance le PS, le PTB et Ecolo. Pourtant, la somme cumulée des frais de logements de chaque gouvernement n’excède pas le million d’euros annuels, pas de quoi sauver les finances du pays. «Dans les années antérieures, attaquer la classe politique relevait souvent d’un certain côté populiste, rembobine le politologue de l’UNamur, Jérémy Dodeigne. Dans un contexte où la démocratie fonctionne, ce débat est plus difficile à faire prendre puisque la vie est bonne. Mais dans un contexte d’austérité budgétaire assumée, le gouvernement serait en bonne position s’il acceptait d’abandonner ces privilèges. Si l’on regarde le débat sur les pensions, ce sont justement les privilèges de certaines professions qui ont été attaqués.»

Le politologue ne remet pas en cause les bons salaires des politiques, qui occupent des fonctions harassantes presque 24/24 heures, sept jours sur sept. «Mais il faut des salaires transparents, fixés par la loi, sans privilèges. Cela devient une question de légitimité du système.» Au risque de prendre une vilaine tempête.

*Sollicité par mail, le cabinet du Ministre-Président de la communauté germanophone, Oliver Paasch (ProDG), dont le gouvernement compte quatre membres, n’a pas répondu à notre question.

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