L’impôt en Belgique: histoire d’une fiscalité libérale et conservatrice

Créée comme un État-tampon entre les grandes puissances européennes au début du XIXe siècle, la Belgique a cherché dès 1830 à séduire les richesses étrangères pour se financer. Une politique qui l’a amenée jusqu’à aujourd’hui à faire preuve de clémence vis-à-vis des fortunes mobilières. Dans un ouvrage intitulé « Lever l’impôt en Belgique. Une histoire de combats politiques (1830-1962) », le professeur Simon Watteyne (ULB) revient sur ce récit d’une fiscalité libérale conservatrice.

En un siècle et demi, ce postulat de départ libérant les fortunes mobilières privées et les banques s’est trouvé renforcé, au cours de la période étudiée, par une politique conservatrice menée par les catholiques. Au XIXe siècle, plusieurs ministres libéraux dont Walthère Frère-Orban tentent de remoraliser le système qui fait de la Belgique le plus vieux paradis fiscal du monde avec la Suisse. En vain. Les premiers socialistes à la manœuvre n’y parviendront pas plus. Les forces conservatrices résisteront même… à l’occupant. Il faudra attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour qu’une nouvelle donne corrige quelque peu le postulat de départ.

Deux périodes tentent de s’en écarter. Durant les années 1920 apparaît l’impôt global progressif et cédulaire (déclaration obligatoire), à l’initiative du POB, mais le secret bancaire et la non taxation des holdings permettent de préserver, voire renforcer l’attractivité fiscale du pays.

La correction sera de courte durée, le généreux système libéral du XIXe à l’égard des valeurs mobilières étant rapidement réinstauré. À partir de cette période, et surtout après la Seconde Guerre mondiale, ce sont surtout les travailleurs qui se verront infliger une augmentation de la fiscalité sur leurs revenus, le tout dans un cadre fiscal resté globalement figé.

Il y eut bien l’exception de « l’opération Gutt » qui – rare victoire sur les catholiques – taxa tous azimuts, pendant quelques années, au nom de l’effort de réparation et en guise d’équité pour faire participer « les bénéfices de guerre ». Les contribuables doivent justifier qu’ils ne se sont pas enrichis alors que la population souffrait pendant la guerre.

Il répond avec humour aux menaces des contestateurs, dignes de ce qui peut se lire aujourd’hui sur X (anciennement Twitter): « L’énergie est remarquable, l’orthographe approximative (…) Je vous jure bien que si on fraudait l’impôt en 1940, ce n’était pas la faute du ministre des Finances ». Et de conclure qu’on pouvait effectivement être « un très bon Belge » en voyant son patrimoine augmenter pendant la guerre mais qu’on en serait assurément « un très mauvais » à hésiter de reverser à la communauté alors même que l’enrichissement s’est produit au cours « d’un désastre national ».

Après la guerre, l’impôt sur le travail change de nature alors qu’émerge l’État-providence et à travers lui l’expertise bureaucratique. Cette émergence s’accompagne de la mise en place de politiques keynésiennes d’encadrement du capitalisme, qui aboutiront à la globalisation des impôts sur les revenus en 1962, « dernière étape de la mise en place d’un capitalisme civilisé ». Elle durera vingt ans jusqu’en 1983, lorsque l’IPP sera déglobalisé.

Pendant ce temps, les fortunes mobilières étaient restées et restent toujours largement à l’abri. « En 2021 », note Simon Watteyne, « les économistes Thomas Torslov, Ludvig Vier et Gabriel Zucman placent la Belgique parmi les six paradis fiscaux européens, aux côtés des Pays-Bas, du Luxembourg, de l’Irlande, de Chypre et de Malte ». Tout est politique, à commencer par la fiscalité. « Lever l’impôt en Belgique », 422 pages, a reçu le Prix Jean Stengers 2022 décerné par la classe des Lettres et des Sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique. Simon Watteyne est docteur en histoire.

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