extrême droite
Bart De Wever et son gouvernement, si le Conseil d’Etat ne rend pas son avis suffisamment rapidement, verront une partie de leurs réformes retardées dans le temps. © BELGA

Des partis de gauche qui «s’associent» à l’extrême droite? Pourquoi ça risque encore d’arriver

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Les partis d’opposition au fédéral, à l’exception de l’Open VLD, ont renvoyé la loi-programme de l’Arizona au Conseil d’Etat. Avec le concours du Vlaams Belang, donc. Cette situation, qualifiée de rupture du cordon sanitaire par le MR, pourrait bien se reproduire durant la législature, sans pour autant qu’il y ait d’alliance entre l’extrême droite et les autres partis.

Une alliance avec l’extrême droite a-t-elle permis aux partis de l’opposition de retarder les plans de l’Arizona? C’est en substance le reproche formulé par le MR et son président, Georges-Louis Bouchez, à l’égard des formations du centre ou de la gauche que sont le PS, le PTB, Ecolo, Groen et DéFI. Ceux-ci s’en défendent, bien entendu, et insistent sur le fait que des situations comparables sont déjà survenues, en d’autres temps.

Que s’est-il passé? Mercredi, les partis d’opposition ont déposé une série d’amendements à la loi-programme, que la majorité aurait souhaité voter. Il s’agit d’un texte comprenant une flopée de mesures, dont la fameuse réforme des allocations de chômage, censée être approuvée formellement pour le 1er juillet pour pouvoir produire ses premiers effets au 1er janvier 2026, comme souhaité par le gouvernement fédéral.

L’opposition (à l’exception de l’Open VLD) a demandé que ces amendements soient envoyés au Conseil d’Etat pour qu’il émette un avis. Cette disposition n’est pas rare dans le cheminement des textes parlementaires. Concernant ces amendements, en revanche, la procédure veut qu’un minimum de 50 députés souhaitent le renvoi pour qu’il s’effectue. Le vote est réalisé par assis et levé dans l’hémicycle. Il était indispensable, en l’occurrence, que les députés Vlaams Belang suivent les autres partis pour faire le nombre, ce qui fut le cas.

A côté des aspects procéduriers, il peut aussi s’agir d’une manœuvre dilatoire, comme s’en plaint la majorité. A vrai dire, c’est une technique bien connue d’obstruction parlementaire (ou «flibuste parlementaire»), employée de longue date au Parlement. Les partis d’opposition cherchent, pour des raisons qui leur sont propres, à mettre des bâtons dans les roues du gouvernement: rien de nouveau sous le soleil.

Les partis de la majorité ont opportunément critiqué la manœuvre parce qu’elle contrecarre la mise en œuvre, dans les temps, de plusieurs de ses projets, dont une réforme primordiale à ses yeux. Le MR ne s’est pas non plus privé d’égratigner des partis de gauche sur la thématique du cordon sanitaire, alors qu’ils reprochent régulièrement au président libéral d’y faire des entorses.

Ce n’est pas vraiment une première

Que des partis démocratiques votent dans le même sens que le Vlaams Belang n’a rien d’inédit, c’est même courant. Lorsqu’il s’agit de passer au vote, chaque groupe parlementaire est responsable de sa position. Que l’extrême droite approuve un texte qu’elle n’a pas elle-même déposé n’engage pas les autres partis. Elle est présente au Parlement et elle vote, tout simplement.

Mais l’affaire est un peu différente, ici, puisque le concours du Vlaams Belang était indispensable pour faire nombre. Du côté du MR, on en est persuadé: plusieurs des partis se sont entendus –plus ou moins tacitement– avec le Vlaams Belang pour s’assurer que suffisamment de députés se lèvent. Les partis d’opposition concernés réfutent cette critique, assurant qu’ils ne savaient pas quelle serait l’attitude du parti d’extrême droite. Le président de la Chambre a décidé que le vote sur le renvoi au Conseil d’Etat porterait sur la centaine d’amendements déposés, en un seul paquet. Conséquence: les élus du Vlaams Belang se sont levés aussi.

Surtout, ce n’est pas une première, insistent PS, Ecolo et PTB. L’exemple le plus connu est celui du renvoi à plusieurs reprises au Conseil d’Etat, en 2020, de la loi portant sur la dépénalisation totale et l’assouplissement des conditions d’accès à l’IVG. Alors que la Vivaldi ne s’était pas encore formée, une majorité de circonstance s’était rassemblée autour du texte. Mais la N-VA, le CD&V et le cdH (à l’époque) avaient aussi dû compter sur l’appoint du Vlaams Belang. «Flibuste parlementaire», «manœuvres dilatoires»: les mêmes qualificatifs étaient alors scandés, en grande partie à l’adresse des centristes. Les «flibustiers» ont eu gain de cause, en quelque sorte, puisque le texte n’est toujours pas passé.

La situation s’est reproduite à d’autres reprises encore lors de la législature précédente, rappellent les actuels partis d’opposition, lorsqu’il s’est agi de retarder le vote de textes sur l’Autorité de protection des données ou d’interdiction de publicité pour les paris sportifs, par exemple.

Cela pourra encore se produire

L’avenir le dira, mais il n’est pas impossible qu’une telle situation se reproduise en cours de mandature. Il s’agit d’une réalité purement mathématique. S’il faut recueillir l’approbation de 50 députés autour d’un tel renvoi au Conseil d’Etat et que seule l’opposition le souhaite, l’appui du Vlaams Belang sera indispensable. C’était déjà le cas sous la Vivaldi, soit dit en passant.

La montée en puissance du parti d’extrême droite, concomitante à l’atomisation du paysage politique belge, mène à cette arithmétique inéluctable. Additionnés, les députés du PS (16), du PTB-PVDA (15), d’Ecolo-Groen (9), de DéFI (1) et de l’Open VLD (8) ne sont jamais que 49. Le Vlaams Belang, lui, compte 20 députés.

Le calcul est vite établi. Même si les partis peuvent décider d’envoyer un texte au Conseil d’Etat pour des raisons fondamentalement différentes, il se fait que l’opposition sans l’extrême droite n’est pas suffisamment fournie.

S’agit-il d’une alliance?

Pour autant, le fait que le concours d’un parti d’extrême droite soit indispensable pour effectuer cette démarche implique-t-il qu’une alliance a eu lieu?

Du point de vue de l’Arizona, il est évident qu’au-delà de la procédure, la manœuvre est éminemment politique. L’objectif principal ne consisterait pas à obtenir un avis du Conseil d’Etat, mais à contrarier l’agenda du gouvernement.

L’opposition de gauche rétorque qu’il n’y a pas la moindre entente politique avec l’extrême droite, qu’il n’y en a jamais eu et qu’il n’y en aura jamais. Il ne s’agit pas de cosigner une proposition de loi avec le Vlaams Belang, ni de soutenir ses amendements ou de se concerter sur la moindre question de fond. On se situe, de ce point de vue, dans des éléments de procédure et rien d’autre. Personne ne savait que le Vlaams Belang soutiendrait le fameux renvoi, répète-t-on au PS, au PTB et chez Ecolo.

Eviter le carrousel

Toujours est-il que la coalition Arizona redoute de voir le scénario se reproduire au cours de la législature. En marge des débats autour du cordon sanitaire, c’est la question du carrousel qui fait l’objet d’une appréhension.

Une fois encore, le phénomène n’a rien de neuf et aucun parti passé par l’opposition ne peut se targuer de ne jamais y avoir eu recours. La loi sur la dépénalisation totale de l’IVG en fut un bel exemple: les sollicitations du Conseil d’Etat sont des dispositions parfaitement démocratiques, mais peuvent aussi être utilisées pour gagner du temps.

Le MR, à travers son chef de groupe Benoît Piedboeuf et le député Pierre Jadoul, a déposé une proposition de loi pour modifier le règlement de la Chambre, précisément pour éviter ce carrousel. Après trois soumissions au Conseil d’Etat, la majorité simple serait requise pour tout nouveau renvoi. Les 50 votes ne suffiraient alors plus.

«Au cours de ces dernières années, il est arrivé que les successions d’envois d’amendements soutenus par une minorité de membres, ne comportant aucun élément nouveau et portant sur le même texte de loi, soumis pour avis au Conseil d’Etat, permettent de reporter plusieurs fois de suite le vote des membres de la Chambre des représentants en séance plénière. Ce mécanisme peut prolonger le travail parlementaire pendant plusieurs mois», indique la proposition de loi, qui avait été recalée (par le CD&V) lors de la législature précédente.

Le MR sonde actuellement les autres partis de l’Arizona pour savoir s’il est possible d’obtenir une majorité autour de cette proposition «anti-carrousel».

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