Sammy Mahdi
Sammy Mahdi

Crise gouvernementale: assiste-t-on à une « Bouchezrisation » de la politique flamande ?

Muriel Lefevre

Le gouvernement Jambon vogue, une fois de plus, en eaux troubles. Il n’est pas parvenu à obtenir un accord budgétaire et la déclaration de septembre a dû être reportée, une première. La faute au nouveau président du CD&V, Sammy Mahdi, qui a surpris tout le monde en se montrant intraitable. C’est aussi un camouflet cinglant de plus pour Jan Jambon. Analyse avec les politologues flamands Carl Devos (UGent) et Dave Sinardet (VUB).

Alors que la population et les entreprises attendent des mesures concrètes pour les aider à traverser cette crise, ils sont depuis quelques jours les spectateurs atterrés de ce qui ressemble à une partie de poker politique douteuse entre un CD&V en crise existentielle, la N-VA et l’Open Vld.

Cette fois, c’est le CD&V et son intransigeance qui sont les principaux fautifs dans cette dernière crise en date. Et cela a tout à voir avec la nouvelle ligne dure de son nouveau président Sammy Mahdi. Une ligne qui semble renier le principe de « bonne gouvernance » prônée jusque-là par le parti. Une attitude qui avait pour corolaire de ne pas provoquer de crises gouvernementales de façon intempestive. Le CD&V, ou en tout cas son nouveau président de parti, semble néanmoins avoir changé son fusil d’épaule puisqu’il ne craint plus de se montrer intraitable, quitte à aller au clash. Il n’hésite pas non plus à tenir bon puisqu’il n’est pas certain que les principaux ministres flamands se réunissent à nouveau ce mercredi pour trouver une issue à cette crise que certains, en interne, qualifient même d’impasse.

Une Bouchezrisation ?

«Cette attitude peut s’expliquer par le fait que le CD&V a beaucoup de dossiers délicats à traiter pour l’instant et ne s’en est pas toujours sorti à son avantage», précise Dave Sinadert. « Par exemple, tout ce qui concerne le dossier autour du problème des émissions excessives d’azote en Flandre ou encore le dossier Ventilus (une ligne de haute de tension où ? NDLR). Deux dossiers dans lesquels il aurait aimé faire la différence, mais qui se sont révélés particulièrement compliqués. C’est pourquoi, au CD&V, ils ont fait de la question de l’indexation des allocations une question de principe afin de pouvoir se profiler comme le parti des familles. Et puis Sammy Mahdi est un nouveau président de parti qui veut se démarquer. Un autre élément qui a dû jouer, c’est que Hilde Crevits, ministre du Bien-être et de la Santé, était malade lors des négociations et n’a donc pas pu temporiser. Contrairement à Jo Brouns et Benjamin Dalle, les deux négociateurs du CD&V autour de la table, elle aurait probablement pu tenir tête ou tenter d’adoucir la position de Medhi grâce à son plus important poids politique. »

Carl Devos se demande lui s’il ne faut pas y voir «ce qu’on appelle une Bouchezrisation de la politique flamande. Un peu comme le fait Georges-Louis Bouchez en tant que président du MR lorsqu’il communique beaucoup, de façon très assertive et surtout offensive. Il n’hésite pas non plus à mettre la pression, même si c’est souvent pour arriver, in fine, à un compromis. La différence c’est que Sammy Mahdi va lui encore plus loin puisque lui ne semble pas prêt, pour l’instant, à en faire.  Bien sûr, cette attitude n’est pas non plus étrangère aux faibles résultats de son parti dans les sondages.»

La nuit où le CD&V s’est braqué

Cette intransigeance s’est particulièrement fait sentir dans la nuit de dimanche à lundi et durant la matinée qui a suivi. Le ministre président flamand Jan Jambon aura mis plusieurs propositions de compromis sur la table. Des propositions qui repoussaient chaque fois un peu plus ses limites budgétaires. La dernière mouture avait, semble-t-il, toutes les chances d’obtenir un feu vert, mais, à la surprise générale, les ministres CD&V Jo Brouns et Benjamin Dalle vont revenir avec un « niet » après un passage chez le président de parti Sammy Mahdi.

S’ils jouent les étonnés, ce « niet », les différents partis autour de la table auraient cependant dû le voir venir. « Cela fait en effet plusieurs mois que le parti ne fait pas mystère que le sujet de l’indexation des allocations familiales lui tient particulièrement à cœur« , dit encore Carl Devos. «Depuis quatre mois, le CD&V se repositionne dans le domaine du bien-être, entre autres. Quand il nomme Hilde Crevits, l’un de ses poids lourds, au poste de ministre de la Santé, à la place de Wouter Beke, le parti fait clairement passer le message que l’indexation de l’allocation familiale était très importante pour lui. Un message encore répété il y a quelques semaines par Benjamin Dalle. Le parti cherche à se profiler, veut clairement faire la différence dans ce domaine et n’hésite pas à le faire savoir. Les autres partis auraient dû comprendre qu’il s’agissait là d’un point crucial. Mais ils ont clairement sous-estimé la détermination du président bien décidé à ne rien lâcher. Jan Jambon a lui aussi sous-estimé la détermination du CD&V. Il pensait que le parti était trop petit et finirait pas s’écraser. Il s’est trompé.» 

La surprise passée, ce dernier camouflet est de trop pour Jambon qui claque la porte. La crise gouvernementale en Flandre est dès lors un fait.

Le gouvernement flamand va-t-il tomber ?

Tant que le CD&V ne sort pas de son retranchement, il est inutile de relancer les discussions, a-t-on laissé entendre mardi au sein du gouvernement flamand. Jambon n’a pas non plus envie de se heurter deux fois au même mur. La pression est donc désormais sur le CD&V pour qu’il accepte un compromis ou prenne la responsabilité de la paralysie totale du gouvernement. Au sein même du parti, quelques-uns deviendraient nerveux puisque tout le monde n’est pas certain que Mahdi sache comment éteindre l’incendie qu’il a allumé.

Pire, la crise semble si grave, et alors qu’il y a quelques jours encore l’hypothèse semblait hautement improbable, il commence à se murmurer qu’une chute du gouvernement pourrait être une éventualité. Une éventualité que nuance tout de même Carl Devos : «Il n’y a pas vraiment de possibilité d’effectuer des élections régionales anticipées et il n’y a pas non plus de véritables alternatives. Même si le gouvernement tombe, on va fort probablement se retrouver avec les mêmes partis autour de la table. En admettant que la N-VA et l’Open Vld veuillent former un gouvernement sans le CD&V, ils n’ont pas de majorité. Il pourrait demander à Vooruit de les rejoindre, mais rien ne dit qu’il accepte ». Comme le précise encore Carl Devos, «pourquoi ce parti voudrait-il dépanner la N-VA si tard, à peine deux ans avant des élections, alors même que son rôle dans l’opposition lui apporte des voix ? Cette hypothèse me semble très peu probable, et ce même si le gouvernement tombe. »

Pour Dave Sinardet aussi, le parti Vooruit a un rôle à jouer puisqu’il y aurait une alliance en vue. «Il n’y a pas beaucoup de doute sur la composition du prochain gouvernement flamand qui devrait être composé de la N-VA et de Vooruit. La question est de savoir qui sera le troisième parti. Cela pourrait être le CD&V ou l’Open Vld. Sauf que si c’est avec l’Open Vld la majorité ne sera pas très large. »

Les règles politiques sont en train de changer

Quoi qu’il en soit, la situation des prochaines semaines est très difficile à prévoir. Un flou encore entrenu par le fait que les règles du jeu politique sont en train de changer. « Avec tous ces nouveaux et jeunes présidents de partis, les règles de politiques semblent être en train de changer. Ce sont de drôles de temps politiques que nous vivons avec de nouveaux et jeunes présidents de partis. Ils jouent le jeu politique autrement et ils sont donc plus difficiles à lire pour nous les analystes. Si on s’en tient aux anciennes règles, on devrait trouver un compromis politique d’ici jeudi. Mais je n’exclus rien. Nous devons voir ce qui va se passer durant les prochaines 48h. D’ici la fin de l’ultimatum, on en saura plus sur les différentes positions». Pour Dave Sinardet également, l’on devrait logiquement parvenir à un compromis d’ici les prochains jours, même si ce ne sera pas forcément facile. « Si le prochain ultimatum est pour jeudi, c’est qu’ils pensent tout de même que la crise ne semble pas insoluble. Et puis la N-VA doit aussi faire preuve d’un peu d’honnêteté intellectuelle et admettre que Zuhal Demir s’est aussi déjà profilée de façon tout aussi ferme.»  Si, selon l’hypothèse la plus probable, le gouvernement devrait donc tenir bon, une chose semble acquise, cette crise va laisser des traces et pas que dans le gouvernement flamand.

Quel impact pour Jambon et pour la Vivaldi ?

La dernière crise en date montre en effet que le gouvernement flamand, qui devait servir d’exemple de bonne gouvernance face à la cacophonie de la Vivaldi, n’est plus un argument électoral. Selon Sinardet, le plus ironique c’est que la N-VA vient d’envoyer des flyers stipulant qu’au fédéral tout va de travers, mais qu’il n’en va pas de même au gouvernement flamand. La crise actuelle montre à quel point ce n’est pas le cas et que la N-VA ne va plus pouvoir utiliser cet argument pour attaquer le fédéral. Il va donc falloir autre chose pour convaincre les électeurs.

A plus court terme, cette crise pourrait aussi créer un stress au sein de la Vivaldi. «Ainsi les critiques les plus acerbes envers le CD&V sont venues de membre de l’Open Vld. De quoi envenimer l’ambiance entre ces deux partis partenaires au sein de la Vivaldi», dit Devos. Par contre, une amélioration des relations entre l’Open Vld et la N-VA pourrait avoir des répercussions pour les négociations d’après 2024.

Enfin, les deux analystes se rejoignent également sur le fait que ce énième affront enterre un peu plus Jan Jambon. Son gouvernement n’avait déjà pas une image très reluisante, mais le fait que la déclaration de septembre a été au minimum reportée n’est rien d’autre qu’un affront personnel. Toujours selon Carl Devos, « si on ne peut jurer de l’avenir, ce serait un miracle si Jan Jambon rempilait en tant que ministre président». Pour Dave Sinardet aussi, l’image du ‘Sterke Jan’ n’est plus qu’un lointain souvenir et ce dernier soubresaut risque bien d’être le dernier clou sur son cercueil politique.

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