En bureau de parti, Paul Magnette a présenté les «éléments de langage» secrets du PS contre les mesures de l’Arizona. © BELGA

Chômage, pensions, fiscalité: voici les «éléments de langage» secrets du PS contre les mesures de l’Arizona

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les «éléments de langage» de la com du PS contre l’Arizona ont été présentés dans le secret d’un bureau de parti . Le Vif a pu se les procurer.

Le 12 mai dernier, les membres du Bureau du PS ont reçu de leur président Paul Magnette un document important, doublé d’une présentation. Face au rouleau compresseur politique et médiatique de l’Arizona, les socialistes considèrent en effet qu’un rigoureux cadrage de leur communication est indispensable. A cet effet, les cadres du parti ont donc reçu un fichier de sept pages et cinq fiches thématiques, en plein dans l’actualité, évidemment, et dont Le Vif a reçu une copie. Chacune de ces fiches est censée rappeler la position du PS sur la question. Elle offre ce que les communicants appellent des «éléments de langage», que chaque mandataire, à chaque occasion, devra marteler lors de ses expressions publiques, dans les médias, sur les réseaux sociaux, lors de ses rencontres avec les citoyens. Ces éléments de langage doivent installer les socialistes en champions d’une opposition intransigeante mais constructive à l’Arizona au fédéral, mais aussi à la coalition MR-Engagés mise en place en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ces cinq fiches abordent les problématiques de la réforme du chômage, de la fiscalité, de la réforme des pensions, de l’augmentation du budget de la Défense, et du «manque de souffle de la Wallonie».

Chômage, pension, fiscalité: voici les «éléments de langage» secrets du PS contre les mesures de l’Arizona.

1. La réforme des allocations de chômage

La limitation dans le temps des allocations de chômage après deux ans est une mesure plutôt populaire mise en œuvre par l’Arizona. Les sondages montrent depuis longtemps une forte adhésion à l’idée, y compris dans l’électorat des formations de gauche, et les cinq partis de la coalition fédérale avaient d’ailleurs fait campagne là-dessus. C’est pourquoi la position du PS doit, selon la fiche présentée au bureau du 12 mai, commencer par un rappel: «Le PS est pour le plein emploi: c’est l’essence même de notre parti, qui est celui des travailleurs et des travailleuses», dit la note à mémoriser.

Le problème du dispositif incarné par le ministre Clarinval est que «les réforme de l’Arizona mettent tout le monde dans le même sac, et sont à la fois inhumaines et inefficaces». Mais puisqu’il faut impérativement se montrer constructif, l’idée socialiste de proposer un emploi à chaque chômeur au terme de cette période de deux ans, idée puisée dans le programme électoral des Engagés, doit être rappelée immédiatement.

La fiche se poursuit par une mise en situation, dans laquelle un électeur se demanderait si le PS, lorsqu’il quittera l’opposition fédérale, imposerait un retour à ce que les libéraux ont efficacement baptisé «chômage à vie». Il se le demanderait deux fois, cet électeur curieux, c’est dire si la question paraît sensible. Au vu des réponses, sinueuses, il est manifeste que non:

«- Si vous revenez au pouvoir, allez-vous revenir en arrière et supprimer la limitation du chômage dans le temps?

– C’est une question absurde. Les élections, c’est dans quatre ans, c’est maintenant qu’il faut agir! Si on ne fait rien aujourd’hui, dans quatre ans, 100.000 familles auront sombré dans la pauvreté. Et 100.000 autres seront à charge des CPAS, donc des communes et au final des citoyens. Nous proposons une alternative, sans attendre les prochaines élections avec la «loi plein emploi»: on propose que toutes les grandes entreprises engagent 3% de personnes au chômage depuis plus de deux ans et nous les aidons avec un soutien de 15.000 euros par emploi. De cette manière, on crée près de 100.000 emplois et on évite de condamner les gens à la pauvreté. Tout le monde y gagne: le travailleur, l’employeur et la sécurité sociale.

– Oui mais, est-ce que vous remettrez le chômage sans limite dans le temps?

– Quand nous reviendrons, nous changerons évidemment le système mis en place par l’Arizona qui est terriblement injuste, en offrant un vrai emploi à toute personne qui est en état de travailler et qui n’a pas trouvé après deux ans.»

2. La justice fiscale

La deuxième fiche résume la proposition dite «Zucman» déposée par Paul Magnette à la Chambre. Celle-ci doit taxer les grosses fortunes («Vous avez cinq millions d’euros: vous payez 1% de taxe. Vous avez au-delà de 100 millions d’euros: vous payez 2%») et la spéculation boursière («Vous jouez copieusement en bourse, vous faites de l’argent, vous serez désormais taxé à 30%»). Trois contre-arguments possibles sont alors avancés par un électeur fictif.

D’abord, la crainte que cela ne touche la classe moyenne: «Absolument pas. Nos mesures ne touchent que les 2% des plus riches et serviront à augmenter le pouvoir d’achat de la classe moyenne», répond la fiche.

Ensuite, le reproche d’avoir subitement haussé le seuil de fortune pour être soumis à cette taxe, qui était en campagne électorale d’un million d’euros, et qui passe à cinq millions, alors qu’en campagne le PS avait violemment critiqué le PTB qui avait accompli un mouvement similaire quelques mois plus tôt: «Entre-temps, grâce aux socialistes, on a mis en place une taxe sur la fortune (taxe comptes-titres) qui touche déjà les patrimoines financiers de plus d’un million d’euros», réplique l’élément de langage. L’argument est totalement faux, puisque la taxe compte-titres date de plus de dix ans, et n’a donc pas du tout été adoptée «grâce aux socialistes» depuis la dernière campagne électorale.

Enfin, l’autre reproche, selon lequel «les socialistes ne l’ont jamais fait quand ils étaient au pouvoir»: «C’est faux puisqu’on a instauré la taxe sur les comptes-titres. Ce premier impôt vise les personnes détenant de nombreuses actions, obligations, ou des parts dans des fonds. Cette taxe rapporte déjà 500 millions d’euros par an à l’Etat. Par ailleurs, sous le gouvernement Di Rupo, la moitié de l’effort budgétaire a été porté par les revenus du capital, la lutte contre la fraude fiscale et les secteurs qui font de gros bénéfices (banques, énergie…) Et si nous n’avons pas été plus loin, c’est parce que le MR s’y est toujours opposé!». Ici encore, il faut constater que c’est faux, puisque ce ne sont pas les socialistes francophones qui ont instauré la taxe sur les comptes-titres.

3. La réforme des pensions

Les éléments de langage socialistes contre la réforme fédérale des pensions tiennent en une demi-page, et en une seule réponse à une simple question. «Si vous revenez au pouvoir, reviendrez-vous sur la réforme des pensions?», demande un électeur imaginaire.«Evidemment!, doivent répondre les socialistes. Vous pensez que tous les travailleurs pourront travailler jusque 67 ans? C’est impossible. Vous imaginez des ouvriers sur les chantiers à 67 ans, les personnes en titres-service, les aides-soignants, les policiers, les pompiers, et beaucoup d’autres? C’est vraiment ne rien connaître à la vie des gens! Les deux tiers des travailleurs disent qu’ils ne tiendront pas jusque 67 ans. Si on ne fait rien, ils tomberont malades. Ce sera un drame pour eux, pour les entreprises et pour les finances publiques. Les femmes seront les principales victimes des attaques du gouvernement Arizona. Quand nous reviendrons, nous ferons donc des pensions une priorité absolue. Avec deux grandes réformes», poursuit la note.

Ces deux réformes promises sont, d’une part, un système qui tiendrait vraiment compte de la pénibilité des métiers, et d’autre part un grand plan pour les fins de carrière, qui permettrait de «réduire son temps de travail pour rester en bonne santé».

4. Le budget de la Défense

L’explosion du budget de la Défense décidée par l’Arizona ramène un autre électeur fictif face à un débatteur socialiste. Celui-ci ne doit pas se montrer hostile au réarmement: «Face à Trump et à Poutine, nous devons assurer nous-mêmes notre sécurité. Mais pas sur le dos des travailleurs!». Pour cela, la démonstration socialiste s’administre en cinq points. D’abord, «cela doit se faire de manière responsable, graduée et globale, comme nous l’avons fait avec Ludivine Dedonder». Ensuite, «il faut confisquer les avoirs russes gelés, l’argent des oligarques et de l’agresseur, à savoir l’Etat russe. On parle d’au moins 200 milliards d’euros». Puis il faut «cesser l’aveuglement pro-américain de Francken (…). Vouloir continuer à acheter des F-35 aux Américains, c’est un non-sens géopolitique et un gaspillage colossal d’argent public, sur le dos des citoyens». En outre, «il faut garantir un retour sur investissement important pour le tissu industriel belge et européen». Et enfin, «le renforcement de la défense européenne et belge n’a de sens que s’il s’inscrit dans une ligne politique claire. Pour le PS, cette ligne repose sur un principe non négociable: le respect du droit international».

5. La Wallonie

La cinquième fiche d’éléments de langage du PS, celle consacrée au «manque de souffle de la Wallonie», semble être une pièce rapportée. Elle n’a pas la même structure que les quatre autres, qui portent toutes sur des sujets fédéraux, elle n’est pas inclue dans le titre du document, et elle se structure à partir de trois affirmations, qu’elle contredit factuellement.

La présentation des «éléments de langage» secrets du PS contre les mesures de l’Arizona contient également une fiche sur la Wallonie.

Un: «On nous avait dit que l’emploi et le travail seraient la priorité en Wallonie: neuf mois après, le constat est là. Le chômage augmente. L’emploi baisse. Les faillites se multiplient».

Deux: «On nous avait dit que le budget serait mieux géré: le MR et Les Engagés ont accru le déficit en neuf mois! Comment? En prenant des mesures fiscales ultra coûteuses, inefficaces et injustes».

Et trois: «On nous avait dit qu’on allait relancer l’économie: rien ne bouge. Dernier exemple en date: la Défense. (…) La Wallonie excelle dans ce domaine. On doit en profiter pour créer de l’emploi. Mais rien ne se passe».

«Et tout cela sur fond d’augmentation du coût de la vie pour les citoyens (…). Les familles wallonnes vont payer en moyenne 2.000 euros de plus par an», conclut la fiche.

On mesurera l’efficacité de ces cinq fiches d’éléments de langage au nombre de fois que ces termes reviendront dans le débat public. Si d’autres que des socialistes se les approprient, c’est gagné pour le PS. S’ils restent cantonné aux cercles rouges, ceux-ci auront définitivement perdu la maîtrise des termes de l’agenda, donc de l’agenda lui-même.

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