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Chômage, nucléaire, droits d’enregistrement, zones de police: ces mesures que même le PS, le PTB et Ecolo ne remettront pas frontalement en cause

Ces mesures de l’Arizona que même le PS, le PTB et Ecolo ne remettront pas frontalement en cause

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Soutenues par l’opinion publique, plusieurs réformes mises en œuvre par les nouveaux gouvernements, surtout le fédéral, sont là pour longtemps. Entre révision improbable et dévissage impossible, même les partis d’opposition PS, PTB et Ecolo ne voudront pas revenir sur ces nouvelles mesures.

Dans le vaste lexique de la construction, on les appelle les indévissables. Ce sont des vis qui ne fonctionnent que dans un sens. Elles sont plantées là où elles ont été vissées, et le sont censément pour toujours. En politique, certaines réformes sont ce que les indévissables sont au bâtiment, un truc sur lequel on ne peut pas revenir, y compris si on s’est fait mal en le vissant, même si on n’avait pas envie qu’il soit vissé, et tant pis s’il a été placé de travers. Démettre la pièce étant impossible, la seule solution, lointaine par nature, incertaine par essence, est éventuellement de démonter l’ensemble du bazar, ce qui coûte tellement cher et demande tant d’énergie que personne ne veut s’y engager. C’est pourquoi, en général mais de différentes manières, l’opposition s’y oppose. Elle souhaite, parfois sincèrement, empêcher le vissage. Mais elle sait qu’une fois la mesure passée, il ne sera plus question d’exiger de la réviser. Faire campagne sur la révision de ces dispositifs, c’est s’assurer d’une blessure électorale. L’indévissable est garantie sans dévissage ni révision.   

La taxation des plus-values

La première indévissable de cette législature fédérale était annoncée comme telle par ceux qui s’y opposaient avant les élections, mais qui doivent s’y coller, parce que la pression sur le pas de vis est trop forte. Il y a en effet longtemps que l’absence d’imposition sur les plus-values boursières, en Belgique, choque au-delà des milieux militants. L’Arizona a failli ne pas se faire, en août dernier, parce que le MR, ultime résistant, s’opposait «à ouvrir ce robinet» dans un pays où le niveau général de taxation est si élevé. Mais la taxe sur les plus-values était exigée par Vooruit pour entrer dans la coalition de Bart De Wever. La pression du cruciforme s’imposa aux réformateurs, car le CD&V et Les Engagés réclamèrent eux aussi dès l’été cet effort demandé «aux épaules les plus larges», revendiqué dans leurs programmes électoraux respectifs.

A chaque serrage, les réformateurs et la N-VA ont tenté de limiter la profondeur de l’encoche, mais les trois autres partis de la majorité ont presque crié aussi fort que l’opposition, qui criait déjà très fort, si bien que le retour en arrière est désormais impossible, pour cette législature comme pour la suivante. Les discussions sont encore possibles, et elles sont encore nombreuses, sur les modalités mais plus sur le principe. Il y a eu des débats selon la langue de l’accord de gouvernement -les taux étaient différents dans la première version française et dans la version néerlandaise, celle qui fait foi, de l’accord. Il y a eu des tensions sur la possibilité d’exonération pour les 10.000 premiers euros de plus-value, défendue par la N-VA et par le MR, qui n’est pas inscrite dans l’accord, mais que Bart De Wever a publiquement défendue et sur laquelle Georges-Louis Bouchez disait que les cinq présidents s’étaient accordés par écrit, mais ailleurs que dans l’accord de gouvernement. Et il y a toujours de gros frottements sur son rendement, qui dépendra des modalités du texte que prépare le ministre des Finances Jan Jambon (CD&V). Son collègue du Budget Vincent Van Peteghem a déjà dit que l’exemption sur les 10.000 euros rendrait les larges épaules insaisissables. Et Conner Rousseau a renchéri en disant qu’un tour de vis trop léger sur cette indévissable de gauche briserait toutes les fondations de l’édifice arizonien. Pendant ce temps, l’opposition de gauche a déjà dit qu’elle comptait élargir le pas de vis, enfoncer le clou, ouvrir plus grand le robinet, c’est comme on veut, de cette taxation des plus-values, décrite là comme insuffisante, si elle revenait un jour au pouvoir.      

La limitation du chômage à deux ans

En revanche, cette même opposition de gauche se montre beaucoup moins brave sur la limitation dans le temps des allocations de chômage, une autre réforme indévissable promise par l’Arizona, sur laquelle les cinq partis de la coalition ont fait campagne, les socialistes flamands y compris, et qui est massivement soutenue dans le débat et l’opinion publics. Elle est dextrogyre cette indévissable, elle tourne vers la droite, alors la gauche ne dit pas qu’elle va l’approfondir. Mais elle ne dit pas qu’elle va revenir dessus non plus. Elle laisse ça aux syndicats, que cela expose à la taxation, ravageuse, de promotion de l’assistanat. Mais tandis que la FGTB encourage ses affiliés concernés à attaquer la prochaine réforme devant la Cour constitutionnelle, pour que les chômeurs exclus du chômage ne soient plus exclus, le PS, lui, propose que les chômeurs exclus du chômage ne soient plus chômeurs, en voulant leur garantir une offre ferme d’emplois après deux ans -mesure piquée au programme des Engagés. De la même manière, les socialistes francophones ne s’opposent pas, ou plus, à l’extension du plafond du nombre d’heures de travail étudiant, mais à ce que ces 650 heures annuelles soient constitutives de droits sociaux. Et on a beau, au PS, faire croire que la refondation se fera sans tabous et que tout est permis, tout le monde sait déjà que les socialistes, qu’ils s’appellent encore comme cela ou pas, ne remettront jamais le retour au «chômage à vie»  à leur programme de 2029.  «Oui, comme la pension à 65 ans, ah, ah, ah!», s’amuse un socialiste. Il se souvient de la promesse lancée par Paul Magnette et Elio Di Rupo en 2019, qui avaient juré que l’âge de la pension serait ramené à 65 ans dès que le PS reviendrait au gouvernement, et qui n’en avaient rien fait.

La fin de la fin du nucléaire

L’autre battu des élections du 9 juin, Ecolo, s’est fort abîmé, au cours de la législature fédérale écoulée, sur le nucléaire. Les verts ont été accusés de dogmatisme pendant cinq ans alors qu’ils ont changé d’avis plusieurs fois sur la question. Les rapports secrets révélés par Le Vif et qui lancent la refondation de la formation écologiste ont beau prôner une refixation prioritaire sur les enjeux environnementaux, ils sont beaucoup moins diserts sur la sortie du nucléaire, sur laquelle Ecolo ferait mieux, en tout cas pour le moment, de se taire. L’atome est redevenu populaire. Et c’est pourquoi l’Arizona se multiplie en cette matière. Tout le monde (le fédéral mais aussi la Flandre) promet des SMR (Small Modular Reactor). Mathieu Bihet (MR), ministre fédéral de l’Energie, est surnommé «Atomic Boy» et il en est très fier. Jusqu’au prochain accident nucléaire, imprévisible mais susceptible de renverser les termes du débat public contemporain, sur l’énergie atomique les verts ne vont certainement pas trop en faire.        

La baisse des droits d’enregistrement wallons

Au niveau régional, la baisse à 3% des droits d’enregistrement en cas d’acquisition d’une première résidence plombe les finances publiques wallonnes, mais elle est plébiscitée par les ménages. Mais elle favorise proportionnellement davantage les acheteurs des biens les plus chers, et est à cet égard assez inégalitaire. Pourtant, le PS et le PTB n’ont pas voté contre cette réforme fiscale et c’est tout dire. L’ancien système des chèques-habitat, plus juste mais moins lisible, ne sera pas réintroduit de sitôt, notamment, dit un parlementaire de l’opposition wallonne, parce que «ceux qui y perdent ne s’en rendent pas compte». Les partis de gauche dénoncent les conséquences sociales et budgétaires de la mesure, répètent que c’est un cadeau pour les épaules les plus larges, mais ne la remettent pas en cause. Les droits d’enregistrement wallons resteront pour longtemps à 3%. Y compris s’ils gagnent tout de même, sait-on jamais, les prochaines élections régionales. Les ingénieurs ont été si bons avec ce tournevis que réintroduire plus d’égalité demandera alors peut-être de démonter tout le bazar, dans une plus large et donc fort lointaine réforme fiscale régionale.       

© BELGA

La fusion des zones de police bruxelloises

L’accord du gouvernement De Wever impose aux six zones de police bruxelloises de fusionner en une seule. Pourtant, dix-huit bourgmestres bruxellois sur dix-neuf (celui d’Etterbeek, Vincent De Wolf, dit avoir changé d’avis et finalement soutenir la fusion) et une majorité de députés au parlement de la Région capitale s’y opposent. Mais en Flandre, dans les médias francophones et dans l’esprit du ministre fédéral de l’Intérieur Bernard Quintin (MR), la fusion présente une telle force d’évidence qu’elle est inéluctable en théorie. La tactique des opposants, elle, impose de compliquer le vissage en pratique. Ce qui ne sera pas compliqué. Car cette fusion, présentée comme le moyen de simplifier un brol, prendra beaucoup de temps, plusieurs années, même si l’objectif est de l’inaugurer en 2027, et mangera beaucoup d’énergie. Elle passera par des phases complexes, la création d’un tout nouveau cadre juridique, administratif et réglementaire ad hoc, l’installation d’organes nouveaux, entre la zone unique, les dix-neuf bourgmestres d’en bas, qui garderont l’autorité en matière de police administrative, le fédéral qui imposera d’en haut, et la région qui sera associée depuis le côté. Il est fort probable que cet instrument proclamé de rationalisation sécuritaire ajoutera du brol sur le brol actuel. Mais si la pointe de la vis s’enfonce au bout du trou foré par Bernard Quintin, le retour au brol précédent sera impossible pour les nostalgiques des six zones.  Rien de plus inexpugnable qu’une vis plantée de travers.

Les socialistes ne remettront jamais le retour au «chômage à vie» à leur programme de 2029. 

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