La nouvelle loi ‘stop féminicide’ a-t-elle les moyens de ses ambitions? Catherine Fonck demande des mesures plus concrètes, Marie-Colline Leroy lui répond

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le projet de loi « stop féminicide », adopté à l’unanimité au parlement, porte en lui de nombreux espoirs pour contrer les violences faites aux femmes. La Belgique est le premier pays européen à légiférer sur le sujet. Pour la députée Catherine Fonck (Les Engagés), « cette loi-cadre est positive mais doit s’accompagner de mesures plus concrètes. » Ces dispositifs « sont déjà prévus dans le plan d’action national », répond Marie-Colline Leroy, secrétaire d’État à l’Égalité des genres.  

Ce projet de loi est historique et important », lance Irène Zeilinger, sociologue et fondatrice de Garance, ASBL qui lutte contre les violences de genre.

Il est historique, de fait, car la Belgique fait office de pionnière en Europe. Aucun autre pays du Vieux Continent n’a légiféré sur la notion de féminicide auparavant. « Cela démontre que c’est un sujet qui n’a pas assez de résonnance au niveau des institutions des Etats », constate la sociologue.

Pour la fondatrice de Garance, cette loi apporte son lot d’avantages. D’abord, parce qu’elle établit des définitions différenciées aux féminicides : directs, indirects ou tentatives. Ensuite, parce que la loi induit une volonté de tirer des conclusions. Avec, à la clé, un espoir d’effet préventif global. « Cela permet à des cas peu médiatisés de prendre du sens. La loi rend aussi visible le caractère structurel des violences faites aux femmes », relève Irène Zeilinger.

Cette loi sera-t-elle suffisamment efficace en l’état ? C’est en tout cas l’espoir qui est placé en elle. Mais ses effets seront difficilement mesurables dans l’immédiat. « La justice se prononce souvent des années après les faits, il sera donc difficile de mesurer son effet rapidement », note Irène Zeilinger.

Pour la députée fédérale Catherine Fonck (Les Engagés), le projet de loi comporte en effet toute une série d’aspects positifs, comme les définitions de féminicide, un ajustement des données chiffrées, ou des formations spécifiques prévues pour la police et la justice. « Ces éléments sont intéressants, mais si on veut vraiment qu’il s’agisse d’un ‘stop féminicide’, il faut d’autres mesures effectives, au-delà de cette loi-cadre. Sans moyens suffisants, le projet ne sera qu’un vœu pieux », lance la cheffe de groupe des Engagés.

Les féminicides interviennent rarement comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Le grand enjeu est de pouvoir dépister les signaux d’alerte beaucoup plus tôt.

Catherine Fonck

« Les féminicides interviennent rarement comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, poursuit Catherine Fonck. Dans la majorité des cas, on constate des signaux d’alerte en amont. Mais les mailles du filet de sécurité sont trop larges, et donc, ces signaux ne sont pas repérés. Le grand enjeu est de pouvoir dépister beaucoup plus tôt », estime-t-elle.

Les Engagés avaient proposé plusieurs amendements dans cette optique. Ils demandaient entre autres la mise en place de personnes référentes dans les hôpitaux et les CPAS. « Les soignants et les assistants sociaux se trouvent souvent en amont de la police, car beaucoup de victimes sont esseulées et n’osent pas porter plainte. Une détection préventive permettrait d’éviter des féminicides. La loi-cadre ne combat pas assez le problème à la racine », regrette Catherine Fonck. Ces propositions d’amendements ont été refusées par la Secrétaire d’Etat Marie-Colline Leroy (Ecolo) « pour des raisons essentiellement particratiques », dénonce la députée Les Engagés.

« Cette loi-cadre a justement pour objectif de mettre en place tout le dispositif possible avant que le féminicide ne se produise », répond la Secrétaire d’Etat Marie-Colline Leroy. « Il y a en effet énormément de signes avant-coureurs, que l’on souhaite mieux comprendre, et mieux détecter. »

Marie-Colline Leroy reconnaît la légitimité des propositions de Catherine Fonck. « Mais il s’agit de dispositifs qui sont déjà prévus dans le plan d’action national 2021-2025. Ce dernier prévoit une répartition des tâches en fonction des compétences de chaque ministre. Etant donné que ces dispositifs sont déjà prévus et en cours d’application, il n’y avait pas besoin de les ajouter dans cette loi-cadre. »

Ces dispositifs qui sont déjà prévus dans le plan d’action national.

Marie-Colline Leroy

La successeuse de Sarah Schlitz développe : « La ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden a développé des projets d’impulsion sur les violences intrafamiliales dans 15 communes, pour un montant de 1,5 million d’euros. La formation de agents de police sera intégrée à la formation initiale et organisée pour les équipes déjà en place. Le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne a dégagé les moyens nécessaires à la formation de 1.800 magistrats et à l’engagement de 15 criminologues spécifiquement affectés aux violences intra familiales. Les outils relatifs à la détection du contrôle coercitif et les socles communs de formation sont déjà prêts. »

Stop féminicide: trop peu de centres de prise en charge

Les centres de prise en charge de victimes sexuelles sont insuffisants en nombre, pointe également Catherine Fonck. En Belgique, on en compte actuellement neuf sur tout le territoire. Il n’y en a aucun dans le Brabant wallon, un seul dans le Hainaut. « En 2022, la Vivaldi avait promis la création de cinq centres supplémentaires. On ne sait pas où sont passés ces budgets, car en pratique, il n’en sera rien en 2023. »

« Il faut remplir cette loi-cadre avec des mesures plus concrètes et des financements adéquats. Elle est globalement positive, mais il y a des pas encore extrêmement importants à franchir », résume Catherine Fonck.

« Notre volonté est qu’il y ait un centre de prévention dans chaque province d’ici 2024″, précise Marie-Colline Leroy.

Une alarme anti-rapprochement

Dans les nombreuses nouveautés apportées par le projet de loi, on note une possibilité, pour les victimes, d’être protégées par une alarme anti-rapprochement. Le système concerne les cas de violence accrue après séparation –tentative de vengeance, de manipulation, etc. « Dans ces cas extrêmes, la police peut décider de donner une alarme à la victime, qui lui permettra d’alerter les autorités lorsque l’auteur s’approche d’elle à une certaine distance », explique Irène Zeilinger.

Le système, testé à Gand, a convaincu, sa présence étant maintenue dans la nouvelle législation. « Le système est utile dans le sens où il permet aux victimes de vivre de façon moins anxieuse, et aux services d’intervention d’arriver rapidement sur les lieux. Mais dans les pays où il est déjà utilisé, prolonge Irène Zeilinger, il y a aussi des individus qui utilisent cette alarme comme arme de déstabilisation. Ils s’approchent juste un peu trop de la victime pour que ça sonne, dans le but de créer la panique. C’est vicieux, car cela maintient la personne dans un état d’alerte constant », souligne la fondatrice de Garance. « Les violences faites aux femmes sont un phénomène très complexe, avec beaucoup de facteurs, et la solution ne se trouve pas dans une seule mesure ».

Pour Catherine Fonck, l’alarme anti-rapprochement est un outil qui peut aider dans un certain nombre de cas. « Mais c’est un élément parmi d’autres. Car quand on en arrive à mettre ce type de bracelet, il faut que la victime ait osé aller porter plainte.  N’allons pas dire que tout va se régler avec une mesure magique, il faut des investissements pour pouvoir tenter de mieux détecter, dénoncer, protéger, et sanctionner. Cet ensemble de la palette est important pour tenter de freiner au maximum les risques de féminicides. »

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