Marie Christine Marghem (MR) a porté plainte pour injure publique avec constitution de partie civile © Belga © Belga

Plainte des deux députées MR pour cyberharcèlement : « Elles n’obtiendront rien sans collaboration judiciaire »

Stagiaire Le Vif

Les députées Marie-Christine Marghem et Aurélie Czekalski (MR), cibles d’insultes et de calomnies en ligne, ont porté plainte. Manque de transparence des plateformes, collaboration difficile, usurpation d’identité… les obstacles sont nombreux pour condamner des comptes anonymes sur les réseaux sociaux. Analyse.

Cibles de cyberharcèlement par des comptes anonymes, deux députées fédérales, Marie-Christine Marghem et Aurélie Czekalski (MR), ont récemment porté plainte, rapportent ce mercredi La Libre et La Dernière Heure. Avec une constitution de partie civile, elles saisissent un juge d’instruction en espérant pouvoir identifier les personnes derrières ces pseudonymes. Axel Legay, chercheur et professeur à l’UCL, est spécialiste de la sécurité en ligne.

Axel Legay, que peut faire la justice pour débusquer les personnes derrière ces comptes anonymes ?

Axel Legay : « Parfois, la personne pense être anonyme mais elle raconte tellement de détails de sa vie sur Twitter, qu’on finit par l’identifier au travers de ses amis. C’est une façon phare de trouver les identités. Si ce n’est pas le cas, il faut savoir que les compagnies américaines (Meta, Twitter…) ne sont pas des plus révélatives quand il s’agit de dévoiler qui se trouve derrière un compte. Je comprends donc pourquoi ces deux députées ont porté plainte avec constitution de partie civile : c’est pour qu’il y ait un juge d’instruction désigné. Tant qu’il n’y en a pas, les compagnies américaines ne vont pas collaborer. Se constituer partie civile, c’est quasiment la seule façon de faire. »

Pourquoi Twitter serait si réticent à collaborer ?

Ils détestent donner le nom de leur utilisateurs. S’ils le faisaient, qui leur ferait encore confiance ? Ils ont besoin qu’il y ait beaucoup de personnes réelles sur leurs réseaux parce qu’il vivent de la publicité. S’ils donnent l’identité d’une personne dans le cas de cette plainte, d’autres utilisateurs pourraient se dire que cela créé un précèdent et qu’il faut partir sur un autre réseau social. Twitter perdrait, in fine, des parts de marché. En tout cas, c’est ce qu’ils pensent. Voilà pourquoi ces plateformes sont toujours très froides quand on leur demande de collaborer. En Belgique, la police, même la Computer Crime Unit (l’unité de lutte contre la criminalité informatique), ne peut hacker qui que ce soit sans l’autorisation d’un juge d’instruction. Et même quand on l’a, cela reste compliqué. Ces compagnies ne sont pas sur notre territoire, on dépend donc de la collaboration internationale. L’autre difficulté, c’est que même si ces compagnies ont des données, suivant la créativité des utilisateurs, elles ne sauront pas toujours qui se cache derrière un pseudo. On n’est jamais sûr de qui a créé le compte. Je peux voler vos informations, votre carte d’identité, créer un compte anonyme en prétendant être vous… Il y a toujours une limite dans la cybercriminalité.

Récemment, on voit plusieurs utilisateurs et utilisatrices qui arrivent à tracer les adresses mails des profils anonymes pour connaitre leurs identités. C’est une solution ?

Cela dépend de comment vous les cherchez. Si c’est via une recherche classique et que cette adresse mail est disponible, ça peut le faire. Tout est légal jusqu’à ce que vous détourniez un système d’information de ce qu’il est censé faire. Au niveau de la décision, c’est laissé à l’appréciation du juge. Se faire justice soi-même sur les réseaux sociaux, ce n’est pas la meilleure idée. Tant que l’information utilisée est disponible, lisible, fournie… c’est légal. Essayer de l’extraire soi-même en hackant un système de façon illégale, ça n’aura aucune valeur juridique. Pire, une telle mesure pourrait faire annuler une procédure : cette personne se rendrait coupable de piratage.

Les députées Marie-Christine Marghem et Aurélie Czekalski n’ont donc pas d’autre levier d’action que cette plainte ?

Je pense que dans ces cas-là, malheureusement, il faut laisser faire la justice. Il faut collaborer avec la plateforme et espérer qu’elle accepte de donner les informations du compte anonyme. Une preuve n’est valable que si elle est obtenue par un moyen légal. Je crois que ces deux députées n’obtiendront rien sans collaboration judiciaire. Peut-être que la police arrivera à croiser ces comptes avec d’autres, et retrouvera des preuves de leur identité par ces moyens. Si elle doit s’embarquer dans de plus vastes recherches, ça prendra beaucoup de temps.

Il y a une volonté de faire évoluer la législation au niveau international ?

Oui, la question des comptes anonymes se pose déjà au sein de l’Union européenne. Est-ce que c’est normal qu’on puisse appeler au viol, à la haine raciale… alors que si vous le faites dans l’espace public, vous pouvez être arrêté ? Peut-être que pour avoir le droit de s’exprimer avec un pseudo, il faudrait d’abord s’identifier sur le réseau social, pour permettre à la police de retrouver les personnes qui font des bêtises. Mais l’identification ne nous sauvera pas toujours, un compte identifié peut toujours usurper une identité. En cybersécurité, il y a toujours de petits reports de problème.

Les usurpations d’identités, c’est si récurrent ?

On n’a aucun chiffre en cybersécurité, ils sont sous-estimés en permanence. C’est bien ça le drame. Les gens ne déclarent pas leurs attaques. L’unité cyber (de la police fédérale, ndlr) m’a dit qu’il y avait peut-être 10% des personnes attaquées qui le déclaraient. Le chiffre est bien pire, c’est notre malheur pour l’instant. Etant donné qu’on manque de chiffres, les entreprises ne pensent pas que c’est utile d’investir dans la cybersécurité.

Elon Musk, nouveau patron de Twitter, veut justement lutter contre les comptes anonymes…

Ce qu’il propose, et je n’y suis pas opposé, c’est de payer pour certifier un compte, et ne plus avoir de publicité. Ces réseaux sont gratuits, c’est le Far West, parce que la publicité finance tout et qu’il n’y a pas de régulation. Soit on continue comme ça, avec les dérives que l’ont voit avec ces deux députées qui portent plainte, soit on va vers quelque chose qu’on certifie, qu’on peut authentifier et qui est payant. Mais ce sont des problèmes différents, Elon Musk veut une certification payante pour faire éviter les publicités.

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