Pandora Papers: « Il y a beaucoup plus de Belges impliqués »
Baptisée Pandora Papers, une nouvelle fuite de 11,9 millions de documents contenant des informations financières dévoile les constructions offshore secrètes de 35 chefs d’État et de gouvernement, de plus de 330 politiciens et hauts fonctionnaires, de 130 milliardaires, de célébrités, de criminels et de meurtriers. Cette nouvelle fuite aura-t-elle un impact sur la législation ?
Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui a travaillé avec 600 journalistes issus de 117 pays, a enquêté sur les documents. Knack, Le Soir et De Tijd ont analysé les documents pour la Belgique. Entretien avec notre confrère de Knack Kristof Clerix, membre du ICIJ et co-auteur de l’enquête.
Les Pandora Papers ont-ils une ampleur plus importante que les Panama Papers, publiées en 2016?
Kristof Clerix : Pour les Panama Papers, il s’agissait d’une fuite de 11,5 millions de documents, cette fois, il y en a 11,9 millions. La différence en termes de quantité de documents n’est donc pas énorme, mais la différence d’ampleur réside dans la provenance des documents. Pour les Panama Papers, la fuite venait du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca. C’était un cabinet qui avait monté des constructions offshore pour des gens installés partout le monde. Cette fois, il ne s’agit pas d’un cabinet, mais de pas moins de 14 fournisseurs de constructions offshore. Ces derniers servent une clientèle beaucoup plus large que ce que nous avons dévoilé il y a cinq ans.
Par conséquent, nous constatons qu’il y a beaucoup plus de Belges impliqués : cette fois, nous en avons dénombré 1200 alors que pour les Panama Papers, il y en avait « seulement » 735. Il y a aussi beaucoup plus de chefs d’état. Cette fois, il y a 35 chefs d’état et de gouvernement, plus de 330 politiciens et hauts fonctionnaires. Comme les informations proviennent d’une palette beaucoup plus riche de fournisseurs offshore, nous pouvons y puiser beaucoup plus d’informations. C’est pourquoi ICIJ parle de Panama Papers on steroids.
Les Panama Papers ont-ils eu un impact sur la législation fiscale?
Oui et non. Comme l’explique le professeur en droit fiscal international Luc De Broe (KULeuven), plusieurs initiatives ont été prises après les Panama Papers. Premièrement, il y a l’échange international de renseignements. Auparavant, les paradis fiscaux ne transmettaientpratiquement jamais d’informations. C’était leur Unique Selling Proposition (proposition unique de vente). Si vous alliez là-bas, votre anonymat était garanti. Ces dernières années, on voit qu’il y a beaucoup plus d’échange d’informations, notamment grâce au rôle important de l’OCDE. Deuxièmement, il y a la taxe Caïman, qui permet au fisc d’imposer un certain nombre de ces structures étrangères. Troisièmement, il y a une évolution au niveau des multinationales : on oeuvre à un impôt minimum global. Le but est que les multinationales paient un impôt sur les sociétés de 15% dont l’OCDE débattra ce mois-ci. Les Panama Papers ont bel et bien rapporté quelque chose. L’ISI a ouvert 269 dossiers, dont la plupart (255) sont entre-temps clôturés. Ces enquêtes ont rapporté 15,9 millions d’euros au trésor. En tant que journalistes, nous pouvons uniquement espérer que le fisc puisse se servir des informations que nous dévoilons dans nos articles.
Si les Pandora Papers prouvent quelque chose, c’est que cinq ans plus tard, il y a toujours énormément de gens qui continuent à utiliser les paradis fiscaux. Pour les Pandora Papers, il s’agit de pas moins de 29 000 UBO (Ultimate Beneficial Owner ou bénéficiaires effectifs). Même si certaines de ces constructions offshore ont peut-être été liquidées entre-temps, elles prouvent l’ampleur gigantesque. Nous avons progressé dans la lutte contre les paradis fiscaux, mais nous aurions pu aller encore beaucoup plus loin.
Qu’est-ce qui bloque la lutte contre les paradis fiscaux ?
Parce que des chefs d’état et de gouvernement utilisent ce système que la communauté internationale devrait combattre. Tout cet argent parqué dans des paradis fiscaux, et d’après une étude de l’OCDE, il s’agit de 10 billions d’euros, n’est pas utilisé pour financer l’enseignement, aménager de nouvelles infrastructures, lutter contre le changement climatique, ou combler les pertes économiques dues à la pandémie. Tous ces montants parqués dans des sociétés-écrans ne servent pas l’intérêt général. La question, c’est combien de ces 10 billions euros sont « propres ». Il y a certainement des fonds légitimes, mais il y a évidemment aussi de l’argent criminel, de l’argent blanchi. Il reste donc beaucoup de pain sur la planche. En Belgique, le problème c’est le manque d’enquêteurs financiers spécialisés, tant au niveau de police que du parquet.
Toutes ces constructions offshore sont-elles forcément illégales?
Non, mais il y a une série de règles à appliquer. Premièrement, ces constructions ne peuvent pas servir à abriter de l’argent noir, deuxièmement, il faut déclarer cette construction offshore au fisc belge, et troisièmement, il faut qu’elle soit administrée sur place, dans le paradis fiscal. On peut s’interroger sur l’utilité d’une telle construction si l’on suit toutes ces règles. Dans certains cas, s’il s’agit de personnes qui souhaitent rester anonymes pour des raisons de sécurité ou il y a des raisons d’investissement légitimes. Mais soyons honnêtes. Les 1200 Belges mentionnés dans les Pandora Papers n’ont pas tous une bonne raison de parquer de l’argent dans un paradis fiscal.
Les Pandora Papers exerceront-ils un impact plus important que les Panama Papers ?
Je ne l’exclus pas, dans le sens où les Panama Papers ont eu plusieurs conséquences. En premier lieu, les chefs d’État d’Islande et du Pakistan ont été obligés de démissionner. En 2016, 150 enquêtes judiciaires, parlementaires et fiscales ont également été ouvertes dans 76 pays. C’est donc bien possible que cette fois l’impact soit encore plus important. Au niveau mondial, les Panama Papers ont rapporté plus d’un milliard d’euros.
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