#notinmyname: « Enjoindre les musulmans à dénoncer publiquement l’EI est une logique très malsaine »
Partout dans le monde, et notamment en Belgique, des musulmans expriment leur opposition à l’Etat islamique auto-proclamé en utilisant le hashtag #notinmyname. Mais de nombreux croyants s’interrogent: pourquoi devraient-ils se distancier publiquement d’actes qu’ils n’ont jamais approuvés? La question divise aussi les experts de l’Islam en Europe.
Initiée par l’association britannique « Active change foundation », la campagne « Not in my name » (Pas en mon nom) suscite un intérêt grandissant sur les réseaux sociaux.
Pour Corinne Torrekens, chercheuse au Germe (Groupe d’études sur l’Ethnicité, le Racisme, les Migrations et l’Exclusion) de l’ULB, « enjoindre les musulmans à dénoncer publiquement l’Etat islamique est une logique très malsaine. Cela ne fait que renforcer le lien entre Islam et terrorisme ». La campagne « Not in my name » provoque des remous sur les réseaux sociaux, observe-t-elle. Si elle comprend la démarche, elle ne voit pas pourquoi les musulmans devraient forcément s’exprimer. « Demande-t-on aux catholiques de se désolidariser des prêtres pédophiles? »
« C’est important de rassurer les occidentaux qui connaissent tellement mal les réalités vécues par les musulmans », estime de son côté Brigitte Maréchal, directrice du Cismoc (Centre Interdisciplinaire d’Etudes de l’Islam dans le Monde Contemporain) à l’UCL. « Beaucoup de musulmans en ont marre de devoir sans cesse se justifier et je le comprends. Ils sont constamment acculés. On leur parle d’événements qui se passent loin de chez eux alors que, pour eux, l’Etat islamique n’a rien à voir avec l’Islam. Mais certains terroristes agissent bien au nom de l’Islam. Il faudrait davantage critiquer la façon dont ils se réapproprient cette religion plutôt que de nier tout lien entre Islam et terrorisme », estime la professeur.
Alors que Brigitte Maréchal appelle de ses voeux la tenue de débats de fonds au sein de la communauté musulmane, Corinne Torrekens considère qu’il y a déjà des discussions théologiques et que les valeurs démocratiques sont de toute façon très partagées par les musulmans de Belgique.
Succès des théories du complot
Les deux universitaires se rejoignent néanmoins sur le fait que la grande majorité des musulmans de Belgique sont choqués et scandalisés par les agissements de l’Etat islamique, tout comme le reste de la population. Elles pointent aussi un phénomène plus interpellant: le succès des théories du complot auprès d’une partie d’entre eux. « Dans un certain nombre de milieux, circule l’idée que Daesh (l’acronyme en arabe de l’Etat islamique, ndlr) serait une création de l’Occident ou du moins un mouvement encouragé par lui pour justifier son intervention. On entend des informations sans aucune possibilité de vérification », relève Brigitte Maréchal. « L’absence de réaction des pays occidentaux depuis les premières manifestations en Syrie a contribué à un malaise; elle donne l’impression d’un deux poids deux mesures. En réalité, à l’époque, le refus de la Chine et de la Russie d’intervenir a joué un rôle énorme, par exemple, mais ce n’est pas mis dans la balance », analyse la spécialiste de l’UCL. Certains jeunes ont des difficultés à contextualiser l’information et à en saisir la complexité, alors ils préfèrent simplifier, déplore-t-elle. « On constate une crise de confiance par rapport aux médias. Ici, les médias traditionnels ont leur rôle à jouer. Ils doivent mieux décrypter l’information », ajoute sa collègue de l’ULB.
En août dernier, l’Exécutif des musulmans de Belgique avait publiquement condamné les crimes commis par l’Etat islamique. Ils « n’ont rien à voir avec l’Islam qui, au contraire, prône des valeurs nobles de fraternité, de respect et de paix », avait-il déclaré. L’Exécutif concluait en appelant à « éviter l’amalgame: il entraîne si souvent toute la communauté musulmane qui est d’ailleurs la première victime de ces dérives ».