A l'avenir, la croissance de la population ne s'appuiera que sur l'arrivée d'immigrants. © id photo agency

Migration en Belgique: quelles nationalités et quelles raisons ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

De pics en creux, le flux de la migration va croissant en Belgique, brassant sur le territoire une foultitude de nationalités plus ou moins gâtées par le destin. 2.11.0.0 2.11.0.0

Sur le graphique des migrations internationales des non-Belges, le tracé de la courbe s’élève brusquement à partir de la fin des années 1990: pratiquée à grande échelle après la Seconde Guerre mondiale pour attirer des travailleurs, l’immigration des étrangers en Belgique a recommencé à croître fortement à partir de ce moment, après une période plus calme. Depuis lors, cette tendance ne s’est pas démentie. Ainsi, en 2021, 165 534 personnes sont arrivées dans le pays dans le cadre d’une immigration, tandis qu’en sens inverse, 107 416 le quittaient. A la fin de l’année 2021 – dernières données disponibles – 58 118 personnes supplémentaires se trouvaient donc officiellement à l’intérieur des frontières du royaume.

Les demandeurs d’asile ne représentent qu’une minorité des immigrations enregistrées.

«La population belge augmente chaque année de quelque 0,5% en moyenne», relève Sophie Vause, démographe chez Myria, le centre fédéral Migration. Cette augmentation est due à la fois au nombre de naissances, plus élevé que celui des décès, et à l’arrivée d’immigrants. Jusqu’en 2019, ces deux soldes étaient positifs, même si la croissance de la population tenait davantage des flux migratoires que de l’arrivée de nouveaux chérubins. En 2020, en revanche, à la suite de la pandémie de coronavirus et de la surmortalité qu’elle a déclenchée, les décès ont dépassé les naissances en Belgique. «En 2021, le solde naturel était à nouveau positif, observe Sophie Vause. Mais à l’avenir, selon les projections du Bureau du plan, les naissances diminueront. La croissance de la population ne s’appuiera donc que sur l’arrivée d’immigrants. En Allemagne et en Espagne, c’est le cas depuis plusieurs années.»

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La croissance de la taille de la population est cruciale si l’on veut éviter, à terme, une pyramide des âges problématique. Autrement dit, une situation où le pays compterait beaucoup de 65 ans et plus, et très peu de jeunes. Ce rapport entre les générations est déterminant pour élaborer des politiques publiques financièrement tenables.

Des Européens, majoritairement

Depuis 2007, le chiffre des immigrations n’est jamais descendu sous le seuil des 120 000. Cette tendance à la hausse concerne particulièrement les citoyens de l’Union européenne, dont les entrées sur le territoire belge ont plus que doublé entre 2001 et 2019, au fil des adhésions de nouveaux pays. L’immigration a moins augmenté du côté des pays non européens: le chiffre n’a été multiplié que par 1,3 sur la même période.

Le thème de l’immigration charrie donc bien des idées reçues. En 2020, 63% des nouveaux venus sur le territoire belge ont déployé leurs ailes au départ d’autres pays de l’Union européenne. Le solde se compose d’immigrants venus du continent africain (14%), du continent asiatique (12%) ou d’un pays européen hors UE (6%).

Les Français ont longtemps occupé la première place dans le classement des nouveaux venus en Belgique. En 2016, un tiers faisaient ce choix pour des raisons familiales, un autre tiers pour des raisons professionnelles. Quelque 15% se sont rendus en Belgique pour y étudier et 14% disposaient d’emblée de revenus suffisants pour y vivre. Depuis 2017, et encore actuellement, les Roumains sont les plus nombreux à s’installer en Belgique, essentiellement pour des raisons professionnelles. Les Marocains, en revanche, ne cessent de reculer dans ce tableau: ils occupaient la troisième place en 1997, la quatrième en 2007 et la septième en 2020. En 2003 et 2004, ils étaient premiers, devant les Français et les Néerlandais.

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Le nombre d’immigrés marocains, en recul depuis 2011, s’explique largement par une modification de la loi sur le regroupement familial, désormais beaucoup plus restrictive. Or, pendant longtemps, c’est essentiellement pour ce motif que des Marocains gagnaient la Belgique: en 2010, trois immigrations sur quatre se justifiaient par le regroupement familial.

«Le contexte dans lequel intervient la hausse de ces dernières années est nettement moins favorable à l’ouverture des frontières que par le passé», observe Sophie Vause. On est loin, en effet, des années d’après-guerre, et jusque dans les années 1970, lorsque l’Etat belge était demandeur de main-d’œuvre. En 1974, après le premier choc pétrolier, le gouvernement avait mis un terme à cette immigration du travail. Celle-ci ne s’était toutefois pas totalement interrompue: fermer hermétiquement des frontières relève de l’impossible. Les entrées dans le pays avaient même recommencé à croître à partir de 1984, en raison des mesures de regroupement familial mises en place: les immigrés déjà présents en Belgique pouvaient y faire venir les membres de leur famille restés au pays tandis que des citoyens résidant en Belgique, étrangers ou belges, qui avaient épousé des étrangers, avaient le droit d’y être rejoints par leur conjoint ou leur conjointe.

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Dans les années 1990, outre les mesures de regroupement familial toujours en vigueur, d’autres raisons ont sous-tendu l’augmentation de l’immigration: l’arrivée de nouveaux Etats membres au sein de l’Union européenne, et, à partir de 1989, la forte progression des demandes d’asile, notamment d’étrangers venus de pays en guerre. A contrario, les arrivées en provenance de pays membres plus anciens dans l’UE et les immigrations turque et marocaine ont connu un mouvement en sens inverse.

Entre le début des années 2000 et jusqu’en 2010 environ, on observe une plus grande mobilité en général, tant pour les entrées que pour les sorties du pays: les gens bougent et bougent davantage que par le passé. Durant cette période, le nombre d’immigrations recensées fait d’ailleurs plus que doubler. Il est vrai que deux campagnes de régularisation sont décidées par le gouvernement belge, l’une en 1999, l’autre en 2009. Des milliers de personnes qui séjournaient jusqu’alors irrégulièrement en Belgique y obtiennent un statut.

Entre 2000 et 2005, quelque 40 000 personnes seraient concernées par la première vague de régularisations. Elles proviennent essentiellement de l’ex-Yougoslavie (à hauteur de 16%), de Russie (11%), du Congo (10%) et du Rwanda (6%). En 2009, elles sont un peu plus nombreuses, de l’ordre de 50 000. Les trois premières nationalités concernées sont les Russes (10%), les Congolais (8%) et les Arméniens (7%).

Des pays en guerre

Ce n’est pas la modification d’une loi mais un brusque et très violent changement de situation géopolitique qui explique plusieurs vagues d’immigration survenues plus récemment. Celle des Syriens, par exemple, en 2015. «Leur présence ne s’inscrit pas dans les flux migratoires que la Belgique entretient historiquement avec certains pays comme le Maroc ou la France, détaille-t-on chez Myria, ni dans une configuration d’échanges économiques, comme avec la Roumanie. Elle reflète plutôt un état de crise dans le pays d’origine et un besoin de protection important pour cette population

Le constat est le même pour les Ukrainiens, dont on sait qu’ils seront nombreux à figurer dans les statistiques d’immigration de 2022, encore indisponibles. Depuis mars de l’an dernier, 63 356 attestations de protection temporaires ont été délivrées en Belgique, dont une majorité pour des ressortissants qui ont fui l’Ukraine en guerre.

Brexit, Covid et fake news

Le Brexit, lui, n’a pas provoqué de phénomène d’immigration massive mais une vague de changements de nationalité pour les Britanniques qui vivaient déjà en Belgique. L’épidémie de Covid a également eu un effet sur les mouvements de population, poussant à la baisse tant les émigrations que les immigrations. Un tel événement, imprévisible comme l’est d’ailleurs le déclenchement de guerres dans le monde, explique que les mouvements migratoires sont, globalement, très difficiles à prévoir et à anticiper.

«Depuis 2010, observe-t-on chez Myria, le contexte migratoire en Belgique change.» Il n’est plus question d’opérations de régularisations collectives. Sur son site Web, l’Office des étrangers met d’ailleurs en garde contre des fake news qui circulent: «Il n’y a pas de changement dans la politique de régularisation belge, peut-on y lire. Toutes les demandes en attente seront traitées individuellement.»

Ces dernières années, ce sont surtout des demandeurs d’asile qui ont franchi les frontières belges et gonflé les rangs de la population. Très visibles dans les médias, ils ne représentent toutefois qu’une minorité des immigrations enregistrées: sur cent immigrations déclarées, quinze concernent des demandes d’asile.

Que verrait-on comme cliché si l’on photographiait aujourd’hui la population belge (les chiffres sont de 2021)? Sur dix habitants, un aurait une nationalité étrangère, un autre disposerait d’une première nationalité étrangère avant de devenir Belge. Les huit autres seraient des Belges qui l’ont toujours été.

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