Manifestation du 14 octobre. © belga

Mieux évaluer les risques de violences sexuelles: « 53% des dossiers de viol sont classés sans suite »

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Consciente de ses faiblesses en matière de délinquance sexuelle, la Justice fait son examen de conscience.

Le ministre de la Justice l’a réaffirmé récemment : la lutte contre les violences sexuelles est une priorité pour le gouvernement. Vincent Van Quickenborne a également souligné que les Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) ont permis que 70 % de plaintes soient déposées en plus que par le passé.

Davantage de plaintes donc, mais toujours autant de classements sans suite. Les chiffres sont éloquents. En 2019, le Conseil supérieur de la justice (CSJ) dénombrait 4 664 affaires de viol et 4 404 affaires d’attentat à la pudeur. Entre 2010 et 2017, 53% des dossiers de viol ont été classés sans suite. Dans 92 % des cas, ce classement s’explique par un « motif technique », autrement dit par manque de preuves (62 %), parce qu’on n’a pas pu identifier l’auteur (16 %) ou parce que le délit n’a pas été établi (8,5 %).

Mieux évaluer les risques de violences sexuelles:

Les résultats d’un sondage publié en 2020 par Amnesty international Belgique montrent aussi que près de trois Belges sur quatre estiment que la justice n’est pas efficace pour retrouver l’auteur. Sept sondés sur dix pensent que le classement sans suite est dommageable, car cela contribue à l’impunité des violeurs.

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Plus d’experts, mieux formés

Conscient du problème, le CJS a formulé vingt-huit pistes d’amélioration pour rendre la justice plus efficiente. L’une d’elles vise à remédier à l’absence de preuves en investissant dans une collecte plus proactive et élargie à tous les éléments biologiques (examen approfondi des traces laissées sur les lieux et des lésions de la victime ou de l’agresseur présumé) permettant d’identifier l’auteur. Une autre consiste à mener une analyse étendue du profil psychologique de celui-ci et de sa victime.

Problème : lorsqu’ils doivent trancher dans une affaire de moeurs, les magistrats sont confrontés à un manque d’experts judiciaires médicaux et psychologiques. Le CSJ préconise donc de développer davantage l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) ou de créer un autre centre d’expertise au sein des pouvoirs publics. Et s’il est encore nécessaire de faire appel à des experts externes, que ceux-ci soient mieux rémunérés pour pouvoir travailler dans de meilleures conditions.

L’organe judiciaire recommande aussi de multiplier les auditions audiovisuelles (comme c’est déjà le cas pour les mineurs victimes d’agressions sexuelles) et les dernières techniques d’audition, voire de les généraliser. En visionnant les témoignages, le juge peut tenir compte des émotions de la victime qui, par ailleurs, ne sera plus obligée de répéter encore et encore le déroulement des faits. L’appel du Conseil supérieur de la justice a été entendu puisqu’une circulaire allant en ce sens vient d’entrer en vigueur. Dorénavant, la vidéo sera également utilisée pour les victimes adultes ou les témoins de violences sexuelles. Les auditions filmées pourront être menées dans les locaux de la police et dans les Centres de prise en charge des violences sexuelles, qui disposeront également d’une salle d’audition adaptée.

Le ressenti compte aussi

D’autres mesures ont été prises dans le domaine de la prévention. Ainsi, en 2020, un nouvel outil d’évaluation des risques de violences dans le couple a été développé. Jusque-là, policiers et magistrats ne pouvaient intervenir que lorsque les faits étaient objectivables. La nouvelle circulaire des procureurs généraux indique que le ressenti de la victime doit également être pris en compte. Une seconde circulaire adoptée la même année vise à généraliser la pratique de la « revisite ». La crise du Covid et les périodes de confinement ayant déclenché ou aggravé les situations de violences conjugales, il avait été demandé aux policiers de procéder à une nouvelle visite deux mois après le premier signalement.

Enfin, les retours du terrain à propos de l’opération percutante « Fred et Marie » menée il y a dix ont prouvé que ce type de campagnes de prévention ciblées donne de réels résultats, indique Déborah Kupperberg, responsable de la Cellule pour l’élimination des violences faites aux Femmes (CEViF) de la Direction de l’égalité des chances. En 2020, une action de sensibilisation intitulée « Arrête, c’est de la violence » visait à responsabiliser les jeunes auteurs. Une « suite » est prévue d’ici peu. Elle mettra en évidence la possibilité de s’adresser aux CPVS, notamment via deux chats en ligne, un pour les mineures, un pour les majeurs.

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