Carte blanche

Les violences « ordinaires » dans le centre de rétention Caricole

Il n’est pire douleur que d’être traité de Sans papier ou classé dans la catégorie des irréguliers. Par cette identité, la personne se sait plus adhérer aux valeurs de la société, elle perd la base du respect que l’on a, dans une situation normale.

Dans ce cas, la machine administrative broie la dignité humaine et n’a pas de considération pour les valeurs fondamentales de l’homme. Une fois la mécanique institutionnelle enclenchée, elle prévaut sur toutes les autres considérations. Je relate mon expérience des violences observées et subies lors de mon enfermement à Caricole Zaventem du 30 octobre au 1er novembre 2017, et de mon renvoi illico presto à Lubumbashi.

Le 15 octobre 2017, je suis arrivé à Bruxelles pour un séjour de trois mois dans le cadre d’une bourse postdoctorale octroyée par l’Académie de Recherche de l’Enseignement Supérieur (ARES). Douze jours plus tard, je me suis rendu, depuis Bruxelles, à un colloque à Ndjamena au Tchad. A mon retour, le 30 octobre 2017, la police des frontières m’a interdit l’entrée sur le territoire du Royaume. En cause, l’absence de visa à entrées multiples.

Nous sommes trois personnes retenues – un Bulgare, un Sénégalais et moi, le Congolais – et « condamnées » à rejoindre le centre Caricole en attendant notre refoulement. Nous quittons la salle d’attente de l’aéroport international de Bruxelles (Zaventem) sous l’escorte des quatre policiers.

Le Sénégalais et moi sommes conduits par deux policiers à l’accueil du centre. Trois employés s’occupent de nous. Le trio se compose d’une femme et de deux hommes parmi lesquels un est de type asiatique. La femme me demande ma langue de communication. Je réponds : « le français ». Elle me prie, ensuite, de déposer mon sac à dos sur la table. S’y trouvent mon ordinateur, mon téléphone portable, mes carnets, mes différents documents relatifs à la conférence de Ndjamena, mes stylos et trois livres. Bref, l’arsenal minimal d’un intellectuel de mon rang.

L’un des deux messieurs vérifie le contenu et me présente, ensuite, des documents en néerlandais. Constatant mon hésitation, la dame me demande de les signer et je m’exécute. Par la suite, elle me photographie et me remet le badge portant le numéro BLAUW-K8-38-03. Avant de me conduire dans ma chambre, je suis fouillé. Mes ordinateur et téléphone sont confisqués et consignés. En revanche, le trio « geôlier » me rend le sac à dos et le reste de son contenu initial.

Arrivé dans ma chambre, cinq lits sont rangés tout le long des quatre murs et sont fixés au mur et au sol. Une étagère est placée du côté droit en entrant dans la chambre. A chaque repas – petit déjeuner, dîner et souper -, l’un des employés du centre invite via le haut-parleur les personnes retenues à rejoindre le réfectoire. Je suis marqué par les logiques d’occupation de l’espace dans ce lieu commun.

Le personnel du centre occupe une longue table à gauche de la salle et ne parlent qu’entre eux et en néerlandais. Ils occupent le réfectoire avant que les retenus ne soient invités. Les retenus font obligatoirement la file indienne devant leur table. Chacun d’eux porte son badge afin d’être identifié. L’un des employés se tient debout avec une liste en main. Celle-ci reprend les noms et la photo des retenus. Chaque retenu montre son badge, l’agent vérifie si la photo du badge correspond à la personne, puis il coche ou la colorie sur la photo. Le côté droit est occupé par les retenus. Huit grandes tables sont rangées et chacune d’elles contient 18 chaises.

A l’intérieur du centre, une autre réalité heurte rudement ma conscience : la contradiction entre la tentative d’humanisation des conditions et l’extrême froideur de la vie carcérale. L’existence, dans cet espace des malheurs, d’un cachot où l’on enferme les retenus jugés insoumis passe, à mes yeux, pour quelque chose d’horrible et d’inadmissible dans un pays prétendument respectueux des droits humains.

Pour que rien n’échappe au centre, le personnel restreint les communications des retenus avec l’extérieur. Aucun retenu ne détient ni ordinateur portable ni Smartphone dans sa chambre. Ces appareils sont récupérés d’office et consignés à l’accueil. Pour les communications téléphoniques, un GSM basique de marque Alcatel et Samsung est remis à chaque nouvel arrivant. Ce téléphone ne permet que de recevoir des appels entrants et sortants. Ceux qui ne peuvent pas communiquer avec l’extérieur par manque de crédits ont droit à deux appels hebdomadaires avec le téléphone fixe du centre. La personne passe sa communication au poste d’observation où il y a forcément un employé du centre. Avoir un téléphone, fût-il basique, est une chose, mais le recharger en énergie et en crédits en est une autre. La recharge de la batterie du téléphone se fait au poste de surveillance.

Pour dormir, il y a un prix que les retenus doivent payer. Les ampoules dans les chambres y sont allumées et éteintes par l’agent commis au poste de surveillance. Il arrive souvent que cet agent n’éteigne pas les ampoules. Les pensionnaires ne pouvant supporté la lumière placent les serviettes de couleur café sur les ampoules pour créer une légère obscurité. Les agents du centre voient ces serviettes pendantes sur les ampoules à chaque fois qu’ils font leur ronde et ne semblent pas s’en préoccuper.

Quant à l’accès Internet, tout est systématiquement contrôlé. Chaque pensionnaire a droit à deux accès par semaine à Internet selon les jours et l’heure fixés et en fonction des blocs auxquels le gestionnaire d’Internet a donné des couleurs. Lundi-jeudi : Bleu, Mardi-vendredi : Orange et Mercredi-samedi : Brun

En clair, les pensionnaires n’ont accès à Internet que les jours qui correspondent à leurs blocs respectifs selon que c’est le Bleu, l’Orange ou le Brun. Cependant, ils doivent préalablement prendre leur inscription auprès du gestionnaire de ce poste afin que ce dernier les programme. Connectés à Internet, ils n’exploitent exclusivement que trois sites: Facebook (30 minutes), Youtube et Google (Une heure). Tous les autres services Internet sont bloqués. Dans tout le cas, un éducateur du centre l’assiste.

Les mêmes restrictions concernent également la toilette des pensionnaires. Le centre met à leur disposition quelques tondeuses, des rasoirs et du lait de beauté. La personne désireuse de se coiffer doit prévenir, la veille, l’un des employés commis au poste de surveillance. Celui-ci peut, ainsi, apprêter la tondeuse. La coiffure a lieu, de 7h30 à 8h30, dans le couloir d’avant la salle de télévision. C’est à cet endroit qu’il y a une prise électrique, et il est dans le visuel des agents assis dans le poste d’observation. Après la coiffure, la personne doit immédiatement rendre la tondeuse et tous les accessoires. C’est pareil pour le rasage de la barbe. Celui qui veut se raser passe au poste d’observation de 7h à 8h30, en matinée, ou de 19h45 à 20h30, en soirée, chercher un rasoir et la mousse à raser. S’il se blesse en se rasant, il repasse pour chercher l’alcool. Après le rasage, il doit obligatoirement remettre le rasoir et la mousse à raser.

Pour le lait de beauté, il est mis dans un petit flacon au couvercle rouge. La quantité est de 100 Ml. Dès que c’est terminé, le pensionnaire en redemande en retournant préalablement le premier flacon.

Le centre Caricole dispose d’un dispensaire. L’on y accueille les patients pour les premiers soins. Les pensionnaires malades se pointent devant le poste d’observation et les agents leur remettent les produits pharmaceutiques qu’ils prennent en leur présence. Chacun se munit d’un gobelet en plastique.

En conclusion, mon passage au centre fermé Caricole m’a permis de relever les ambivalences d’un milieu qui se veut humanisant et les violences subies par les personnes retenues. Bien que le système conçu tienne à ce que rien de certaines pratiques de l’intérieur ne filtre à l’extérieur, des chercheurs et des collectifs associatifs parviennent, fort heureusement, à dénoncer les atteintes à la liberté et aux droits humains caractéristiques de l’organisation de la vie dans les centres fermés, en général, et à Caricole, en particulier. Les retenus subissent, de plein fouet et aux dépens de la dignité humaine, le poids et la logique administrative de l’institution. Autrement dit, les personnes n’ont des droits que ceux que le centre considère comme tels. Il en résulte que l’institution piétine, en toute impunité, les valeurs humaines fondamentales.

Certains employés commis à la gestion du centre développent, par excès de zèle, des comportements qui relèveraient de l’idiosyncrasie. Ils n’ont pas de respect pour les retenus, ils les dégradent et leur font voir qu’ils n’ont plus le contrôle de leur être. Les résidents sont dépossédés de tout et dépendent entièrement du centre. Au regard des pratiques vécues, le respect est un vain mot. Le centre érige des mécanismes qui dépouillent les retenus de leur dignité. Ces violences ordinaires ne s’ébruitent pas à l’extérieur parce que l’information est subtilement contrôlée d’où tous les mécanismes de surveillance communicationnelle. Ces violences latentes sont ressenties par les retenus comme un acte d’exclusion sociale. Intériorisant ces mécanismes d’humiliation, de dénigrement et de surveillance permanente, ils se montrent agressifs et violents.

Olivier KaholaTabu

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