Les fumées des usines ont-elles pollué les jardins wallons ?

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Les retombées des fumées des usines wallonnes ont-elles, au cours du temps, pollué les jardins des environs au point de rendre les légumes impropres à la consommation ? La Spaque a analysé la production des potagers des zones d’ancienne industrie, à la recherche des résidus toxiques. Pas d’alarmisme, mais la prudence reste recommandée, surtout pour les enfants.

Dix communes (1), 398 jardins visités et 1 341 légumes prélevés et analysés à la recherche de 50 substances présumées toxiques: c’est la partie potagère de l’enquête Pollusol menée par la Spaque (Société publique wallonne d’aide à la qualité de l’environnement) depuis 2009 et dont les résultats sont enfin connus. Le triple objectif ? Déterminer dans quelle mesure les sols restent pollués par les retombées au cours des XIXe et XXe siècles des fumées des usines plus ou moins proches, même si celles-ci ont fermé depuis bien longtemps. Mieux connaître le transfert de ces polluants dans les légumes. Et mieux mesurer les risques que représente pour l’homme leur consommation.

Le pays « noir »

Gérard Pétry habite au pied d’un terril, sur les hauteurs de Châtelet en face de Montignies-sur-Sambre, en surplomb de la vallée où étaient concentrés de nombreux charbonnages, les installations sidérurgiques de Hainaut-Sambre ou les usines Solvay. « Depuis que nous sommes installés ici, en 1971, explique-t-il, nous avons toujours consommé les légumes du jardin, plus frais et bien meilleurs que ceux du commerce. Et pas d’engrais chimiques avec moi, rien que du fumier séché, des algues et du purin d’ortie. Je n’ai donc jamais été vraiment inquiet, d’abord parce que, point de vue pollution, on ne savait rien, et ensuite parce que nous prenions soin de convenablement laver ou éplucher les légumes. Mais là, les résultats de l’enquête m’ont totalement rassuré… » Des 50 substances analysées après l’enquête wallonne, seules six peuvent finalement représenter un problème (arsenic, cadmium, manganèse, molybdène, plomb et zinc). Et de fait, les analyses des 123 légumes prélevés dans les potagers de Châtelet sont totalement rassurantes selon la Spaque, qui note que la contamination en métaux lourds des légumes du bassin carolorégien est assez faible.

Teneurs attendues dans les sols de Wallonie
Teneurs attendues dans les sols de Wallonie © Spaque

La verte vallée

Marcelle Bolland réside dans le vert village de Fraipont (commune de Trooz, en province de Liège). « Cela fait plus de quarante ans que ma famille et moi consommons les légumes du jardin, déclare-t-elle. Mes quatre enfants (l’aîné a 50 ans) sont en bonne santé. Et les résultats de l’enquête ne sont, à première vue, pas trop mauvais. » Sauf que les légumes des potagers de Trooz, tout comme ceux d’Aubange, dans l’ancien bassin sidérurgique transfrontalier du sud du Luxembourg, présentent des teneurs en arsenic assez élevées. Les plus élevées de Wallonie. Oh, pas de quoi s’alarmer outre mesure : il n’y aurait aucun risque pour les adultes, précise la Spaque.

En revanche, pour un enfant dont 20 % des légumes consommés proviendraient du potager, le seuil de toxicité est tout de même dépassé. Pareil à Verviers pour la teneur en plomb. Et si 60 % des légumes ingérés par un enfant sont cultivés localement, le seuil de toxicité est dépassé également pour le plomb à Trooz, pour le plomb et le cadmium à Engis, et pour le molybdène à Charleroi.

« On pense que parce qu’on habite à la campagne on ne court pas ce genre de risque, note Marcelle Bolland, mais on oublie le vent. Chaque printemps, je retrouve sur mes appuis de fenêtre du sable dont on m’explique qu’il vient du Sahara. Alors évidemment, les produits polluants de la région… Mais on ne nous a jamais informés de rien ! Je vais bien sûr en parler à mon médecin traitant. »

L’expertise médicale

La Spaque a soumis les résultats à un collège d’experts, toxicologues et médecins, qui répond que les mesures de Pollusol « ne permettent pas d’affirmer l’existence d’un risque pour la santé ». Le collège souligne que les hypothèses de calcul adoptées par la Spaque sont très précautionneuses, mais conclut tout de même qu’on « ne peut exclure la possibilité d’exposition excessive dans une fraction restreinte de la population », d’autant que « l’enquête ne tient pas compte de la consommation d’eau et de l’inhalation des poussières en suspension », ni du comportement individuel (tabac, exposition professionnelle…), des facteurs qui s’ajoutent à la seule consommation des légumes (et de la terre par des enfants qui jouent au jardin). Ces experts préconisent d’ailleurs, puisqu’on ne peut « exclure l’absence totale de risque pour la santé », la réalisation d’un biomonitoring chez les personnes (adultes et enfants) les plus exposées : analyses de sang pour le plomb, d’urine pour le cadmium et l’arsenic.

Les pires hypothèses

« Jamais un expert ne vous dira qu’il n’y a pas de risque, réagit le bourgmestre de Trooz Fabien Beltran (PS). Aucun n’assurera jamais, après un sinistre, qu’un bâtiment ne s’effondrera pas. L’enquête peut sembler alarmante, mais elle prend en compte les pires des hypothèses, impossibles à rencontrer dans la réalité, et elle ne justifie pas d’inquiéter la population. Trooz est une commune verte, très étendue. Elle a connu dans le passé une pollution due à l’usine métallurgique de Prayon, c’est un fait, mais une pollution très localisée. Je pense néanmoins qu’il n’est pas inintéressant de communiquer, de rassurer la population, de cibler les quartiers concernés. Et peut-être de rappeler les mesures de précaution élémentaires : laver ou éplucher les légumes, brosser les animaux, se laver les mains avant de manger… »

Et les autres polluants ?

Un point de vue que partage le Dr Marc Dujardin, « citoyen, médecin généraliste au sein de la Maison médicale de Trooz, spécialiste en santé publique et médecine du travail » comme il se définit lui-même. Il se veut lui aussi rassurant, mais ajoute que « les soignants doivent garder à l’esprit que dans certaines communes et pour certaines personnes qui cumulent les situations défavorables, il faut penser aux maladies apportées par les métaux lourds. Il serait utile de faire un dossier résumé de ces pathologies à l’intention des médecins généralistes et je compte contacter la Société scientifique de médecine générale (SSMG) à ce sujet. En cas de doute, les examens proposés par le collège d’experts permettront de clarifier la situation et d’inclure ou rejeter une participation de l’environnement à la pathologie du patient. Il serait utile que ces dosages soient centralisés dans une structure comme l’Institut scientifique de santé publique (ISP) de façon à identifier la géographie d’éventuelles situations problématiques. »

Dans les régions les plus concernées, c’est aux administrations communales qu’il revient d’agir, estime-t-il : avoir le cadastre des dépôts, clandestins ou non, exiger une couverture végétale sur tous les sols, interdire les pratiques qui mettent dans l’atmosphère des poussières (cyclo et moto cross par exemple).

« Il faut remercier la Région wallonne et les scientifiques impliqués dans cette étude Pollusol, poursuit-il. Mais il faut maintenant obtenir la réalisation d’une étude semblable pour les produits phytosanitaires, leurs résidus et les organochlorés (PCB, PBB, dioxines, furanes) car ces produits sont absents de l’étude actuelle et posent des problèmes croissant à la santé publique et individuelle. » ●

(1) Amay, Aubange, Charleroi, Châtelet, Colfontaine, Engis, La Louvière, Seraing, Trooz et Verviers.

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